aussi clairement que s'ils l'avaient eux-mêmes vérifié avec soin; est admis sans incertitude, indépendamment de toute vérification et de l'enseignement suffisant pour le faire comprendre. Dans la psychologie, au contraire, l'enseignement se borne uniquement à indiquer dans quelles conditions il faut se placer pour vérifier et constater, en les observant soi-même, les faits énoncés. D'ailleurs, la psychologie ne deviendra une source commune d'instruction que du jour où, traitée par un esprit supérieur, elle nous présentera des observations si exactes qu'elles entraînent nécessairement l'assentiment général. Or, à ce compte, ne serat-elle pas sans cesse à recommencer? 8° L'impatience naturelle à l'esprit humain, les imperfections dont le langage abonde, ce sont là encore, en psychologie, de nouvelles et intarissables sources d'erreurs? Certes, je n'ai ni dissimulé ni affaibli les difficultés que peut offrir l'observation psychologique. Mais, si ces difficultés sont réelles, manifestes, multipliées, doit-on les tenir pour insurmontables? Je ne le crois pas, et l'histoire de la philosophie tout entière condamnerait au besoin un semblable découragement. Et d'abord, à l'encontre de ceux qui prennent occasion des difficultés inhérentes à l'observation psychologique pour contester la légitimité de la psychologie, je n'entreprendrai pas de nouveau de démontrer la légitimité de la psychologie. Cette démonstration a été faite. Évidemment, la psychologie et la physiologie sont sœurs, et l'une de ces deux sciences se trouve incomplète sans l'autre. Mais il importe de reconnaître la compétence exclusive de la psychologie dans les questions psychologiques, en maintenant la physiologie dans les limites qui lui sont propres. Bien plus, il convient même d'essayer, quoique discrètement, de guider la physiologie par la psychologie, loin de vouloir diriger par la physiologie la psychologie (1), en les déclarant inséparables à l'analyse. D'autre part, la légitimité de la psychologie une fois établie, il serait contradictoire de ne pas admettre la possibilité, ou, mieux encore, la portée effective de l'observation qui la fonde. Cette observation, aussi bien, nous est familière. « Une vie sans examen, écrivait Platon, n'est pas une vie (2). » Tout homme a pratiqué cet (1) Cf. M. Barthélemy Saint-Hilaire, traduction du Traité de l'Ame, Préface. (2) Phédon. examen, qui consiste à rappeler l'esprit à soimême. Or, cette connaissance de soi-même, qui est commune à tous les hommes, et en quelque sorte instinctive, redouble de puissance en devenant volontaire et savante. Elle se nomme alors réflexion. Telle est l'observation du psychologue. Nonseulement il atteint plus avant que le physiologiste ou le physicien l'objet qu'il observe; mais, en tant qu'observateur, il a sur le physiologiste ou le physicien d'inappréciables avantages. En effet, « comme le but de la psychologie est de connaître l'homme et non pas les hommes, et que l'homme est tout entier dans chaque individu de l'espèce; dans quelque position sociale que se trouve l'observateur, il porte toujours en lui-même tout l'objet de ses études, tout le sujet de ses expériences. Il n'a pas besoin, comme le physiologiste, de mettre sa vie en péril ou de troubler ses fonctions pour l'observer. Pour qu'il puisse sentir la vie intérieure, il faut au contraire qu'il la laisse aller; et plus elle va et mieux il la saisit; et il suffit qu'elle aille pour qu'il en ait le spectacle. Il lui faut attendre les faits s'il veut les attraper, et les surprendre au passage s'il veut les voir au naturel... Il ne s'ensuit pas cepen dant que l'observateur doive abandonner ses découvertes au hasard. Il faut qu'il ait un plan de recherches prémédité; il faut qu'il se propose successivement, et dans un ordre calculé d'avance, les différentes questions de fait qu'il importe à la science de résoudre; de manière à ne pas s'occuper de plusieurs choses à la fois, et à ne donner son attention, dans un temps déterminé, qu'à une certaine espèce de phénomènes; autrement, il se perdrait dans l'immense variété des faits internes et s'éblouirait au lieu de s'éclairer. Il ne doit pas non plus s'arrêter à la notion naïve, mais inachevée, que la vue rapide du fait a donnée à l'intelligence (1). >> Il ne doit pas tant rechercher tout d'abord comment se passent les faits, que constater les faits pris en eux-mêmes. Il lui faut surtout, précepte souverain et qui en renferme beaucoup d'autres, ne point précipiter son jugement, le suspendre en présence de l'obscurité, ne s'avancer qu'avec une circonspection extrême du connu vers l'inconnu, être perpétuellement en garde contre les équivoques du discours. A ces conditions, l'observation du psychologue (1) M. Jouffroy, traduction des Esquisses de philosophie morale, par D. Stewart. 1826, in-8', Préface. ne sera pas moins riche en acquisitions que celle du physiologiste ou du physicien. Ce n'est pas tout. Si le physiologiste, si le physicien peuvent modifier, reproduire, multiplier les données de l'observation, convertissant en expérimentations leurs expériences; le psychologue, de son côté, n'est pas destitué du pouvoir d'expérimenter. La variété des hommes, les récits de l'histoire, les œuvres de l'esprit, les monuments de l'art lui fournissent d'innombrables informations: il trouve, « dans le livre du monde (1)», un commentaire inépuisable du livre de la conscience. En résumé, l'expérience ne se réduit pas à l'expérience sensible, ainsi que l'affirment ies détracteurs systématiques de l'observation psychologique, ou ceux qui sincèrement ne croient pas à son efficacité. Ne rien voir au delà ni au-dessus de l'expérience sensible, c'est se résigner à toutes les ténèbres d'un empirisme grossier. Sans doute il ne convient pas de renoncer à l'expérience sensible; car, cela même, c'est encore l'expérience de l'âme, qui, au moyen des sens, communique avec le dehors et se trouve modifiée par (1) Discours de la Méthode, première partie. |