que le moi qui en prend connaissance est déjà constitué, et il ne l'est que par l'action et par la volition (1). » Qu'est-ce que l'âme, conséquemment ? « Le sentiment primitif du moi n'étant autre chose que celui d'une force libre, qui agit ou commence le mouvement par ses propres déterminations, notre âme est une force, une cause d'action ayant le sentiment d'elle-même en tant qu'elle agit, se connaissant ainsi elle-même par conscience d'une manière adéquate, ou sachant tout ce qu'elle est (2). » Substance sensible et intelligente, l'àme se connaît avant tout comme une libre causalité. L'observation psychologique nous donne de la sorte tout ce que nous pouvions d'abord en attendre. Car la conscience, convenablement interrogée, nous manifeste les caractères essentiels du moi, les phénomènes du moi, les lois de ces phénomènes, les causalités de ces phénomènes ou facultés, et finalement la nature du moi, laquelle est la nature même de l'âme humaine. Cependant ses informations vont plus loin encore. Ceux-là, en effet, ont méconnu la portée de la (1) M. Cousin, Du Premier Fuit de conscience. (2) M. de Biran, OEuvres inédites, t. 1, p. 350 et suiv. Fondements de la psychologie. conscience, qui n'ont pas vu que, si elle ne franchit point les limites du moi, contenue dans ces limites mêmes, elle nous manifeste, en les réfléchissant, le non-moi et les rapports du moi et du nonmoi. Oui, la réalité tout entière apparaît dans le fait de conscience. Le moi isolé, le moi solitaire n'est qu'une abstraction violente de l'esprit. Le moi ne se pose que par son opposition au non-moi, et nul ne peut s'affirmer qu'en se distinguant de ce qui n'est pas lui. Le moi implique donc la simultanéité, la coexistence du non-moi, par conséquent les rapports du moi et du non-moi. Qu'on y songe! Qu'est-ce que le moi? Une causalité qui se connaît agissante, qui a conscience de son action. Or, tout ce qui se produit en moi vient-il de moi et procèdet-il de mon énergie propre, de mes virtualités, lesquelles passent de la puissance à l'acte? En aucune façon. Et la conscience m'apprend que mon action est souvent réaction. Il y a plus: mon action commence même par être réaction; l'âme ne s'éveille, elle ne se possède qu'excitée par un stimulus étranger. Une fois en possession d'ellemême, elle agira spontanément, et son action pourra se concevoir comme simple; au début il a dualité. Cette dualité d'ailleurs est inhérente à la sensation et à l'idée. Que j'éprouve une sensa tion, la conscience m'atteste que moi j'éprouve cette modification, et que je l'éprouve parce que j'ai la faculté de l'éprouver. Mais ne m'atteste-t-elle pas clairement aussi que moi je ne suis pas la cause de cette sensation? Or, qu'est-ce que cela, sinon une position du non-moi par la position du moi lui-même? De même, que je conçoive une idée: la conscience m'atteste que moi je conçois cette idée, et que je la conçois parce que j'ai la faculté de la concevoir. Mais cette idée, la tiré-je toujours et en tout cas de mon propre fond, et n'estelle jamais que la réflexion du moi seul dans le moi? Evidemment non. La conscience me découvre en moi des idées qui ne sont pas moi; car elle m'apprend que je suis fini, et moi qui suis fini, je conçois pourtant l'infini; elle m'enseigne que je suis imparfait, et moi qui suis imparfait, je conçois pourtant le parfait. Ici encore la dualité n'est-elle pas flagrante? Ici encore la position d'un non-moi ne résulte-t-elle pas de la position même du moi? Et si tout à l'heure c'était un non-moi fini qui se posait avec le moi lui-même, maintenant n'est-ce pas un non-moi infini qui se pose avec le moi fini? Qu'est-ce que ce non-moi fini? La conscience ne m'en dit rien. Je franchirai donc le cercle étroit où elle me détient, et par les prises des sens j'at infini? A cette question la conscience n'a pas de réponse. J'irai donc au delà, et par la raison je m'élèverai jusqu'à l'absolu. Enfin, quels sont les rapports du non-moi fini et du moi, du moi et du non-moi infini? La conscience est impuissante à les déterminer. Je passerai donc plus outre, et par le raisonnement j'arriverai à les concevoir. Mais, en prenant conscience du moi, du même coup je connais qu'il y a un non-moi fini et un non-moi infini. Le moi vivant est vraiment monade « speculi instar, mais il est une monade qui pénètre en même temps qu'elle est pénétrée. Le moi réfléchit dans sa vie la vie universelle, parce qu'à la vie universelle sa propre vie est nécessairement mêlée. Et cela même il le sait à chaque instant de son existence, confusément peut-être ; mais enfin il le sait. Il en résulte que, la raison constituant le savoir en soi, « comme il y a du savoir dans tout acte de conscience, au fond c'est la raison qui constitue la conscience elle-même, et c'est à elle que la conscience emprunte toute lumière. De plus, la raison apporte à la conscience, outre la possibilité de toute connaissance, et en particulier de la connaissance du moi, du non-moi et de leur rapport; elle lui apporte en même temps une connaissance nouvelle, sui generis, la connaissance ou la conception de l'infini, de l'être absolu, source et principe de toute existence. Or, ces trois éléments de la pensée réunis composent la philosophie entière, qui ne peut se passer d'aucun d'eux. D'où il suit que toutes les notions sur lesquelles roule la philosophie, ainsi que toutes les pensées essentielles de l'homme, sont déjà dans tout fait de conscience, dans le premier comme dans le dernier (1). » Ainsi on n'entre réellement dans la conscience que pour en sortir, et toute la philosophie s'y trouve enveloppée comme en un germe. La psychologie n'est que l'analyse de cette synthèse primitive, et toutes les autres parties de la philosophie ne sont que les applications des données fournies par cette analyse. En un mot, c'est uniquement par « un retour plus ou moins complet sur ses propres actes ou procédés (2) » que l'esprit humain peut résoudre les problèmes qui, se rapportant à la nature humaine, intéressent l'humanité. (1) M. Cousin, Du Premier Fait de conscience. (2) M. de Biran, OEuvres philosophiques, t. II, p. 9; De la Décomposition de la Pensée. |