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mêler, avec l'origine de l'âme, la fin pour laquelle elle est faite et les moyens qui l'y doivent conduire, ou l'ensemble de ses lois? Il y a là un tout indissoluble, une indivisible unité. La conclusion d'un syllogisme légitime n'est pas plus sûrement con tenue dans ses prémisses, ou mieux encore, une plante dans son germe, que les développements de la science humaine dans la notion même que l'on s'est faite de l'homme. Si cette notion est fausse ou si elle est étroite, la science humaine se tourne en roman ou reste tronquée. Vainement cherchera-t-on, par d'honorables inconséquences, à rattraper ce qu'on aura perdu: on se sera soimême enfermé dans un cercle infranchissable. Comment, si l'homme n'est rien qu'une masse organisée, lui attribuer une origine, une fin, des lois différentes de l'origine, de la fin, des lois de la plante ou de l'animal? Comment, si tout en lui sc réduit à la sensation, découvrir en lui ces premiers principes qui lui commandent parce qu'ils sont absolus, et que, manifestés en lui, ils ont au-dessus de lui leur raison d'être?

Ainsi, c'est à la psychologie qu'il en faut toujours revenir, lorsqu'il s'agit de la science de l'homme; c'est par la psychologie, quelle que soit la question philosophique que l'on traite, qu'il

LA NATURE HUMAINE.

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convient toujours de commencer. La connaissance de l'âme en soi est la condition de la connaissance de l'âme en acte, ou plutôt celle-ci n'est que le déploiement de celle-là. De là l'erreur radicale de ceux qui ont considéré le problème logique comme le premier problème en philosophie.

« C'est une méprise en philosophie, disait trèsbien M. Jouffroy, de subordonner tous les autres problèmes, et même le problème psychologique, au problème logique, de considérer celui-ci comme le problème fondamental de la philosophie, et de faire dépendre de la solution de ce problème toutes les recherches de la science. Le problème logique est bien un problème philosophique par soi-même; mais il n'est pas plus le premier problème philosophique que le problème moral, le problème esthétique, ou l'une quelconque des questions qui viennent se résoudre dans la connaissance des lois de la nature humaine; car, comme tous ces problèmes, il ne s'élève qu'à propos des phénomènes de la nature humaine, et il ne peut se résoudre qu'avec la connaissance préalable de ces phénomènes. Le premier problème de la philosophie, c'est donc le problème psychologique, parce que sa solution ne présuppose celle d'aucun autre, et qu'elle est présupposée par celle de tous les autres... C'est à un

titre étranger à la philosophie, qu'on a fait du problème logique le premier problème de la philosophie. On a vu que la certitude de toute science présupposait la solution du problème logique, parce que la logique discute l'autorité des données dont toutes partent et sur lesquelles toutes reposent; et on en a conclu qu'avant tout il importait de résoudre ce problème, puisque tant qu'il n'était pas résolu, la valeur de toute science demeurait incertaine. Mais, si quelque chose suivait de là, c'est que le problème philosophique était le premier de toutes les sciences, et non pas seulement de la philosophie, car la certitude des sciences philosophiques n'est pas plus intéressée à la solution du problème logique que celle des sciences physiques; et, à ce compte, ce n'étaient pas les recherches des sciences philosophiques seulement, mais celles de toutes les sciences qu'il aurait fallu suspendre en attendant qu'il fût résolu. Mais cette conclusion, pour être plus conséquente, n'en eût pas été moins fausse; car. si la solution de ce problème peut nous apprendre quelle est la valeur de la science humaine, elle ne peut nous donner aucun moyen d'en changer la nature, qui est immuablement fixée, ni aucune raison de renoncer à l'acquérir, puisqu'en supposant mène qu'elle fût une illusion, il est

démontré par les faits que cette illusion est le principe de la grandeur, de la puissance et du perfectionnement de l'humanité. Quand le problème logique a obtenu le premier rang, qu'en est-il résulté? Deux choses d'une part, qu'on n'a pas résolu définitivement ce problème, parce qu'une telle solution ne peut résulter que de la subordination raisonnée de la logique à la psychologie; et de l'autre que, pendant qu'on s'épuisait à cette tàche impossible, on a, sinon complétement ajourné, du moins considérablement négligé les autres sciences philosophiques, et particulièrement la science fondamentale, la psychologie; sans compter que l'impuissance où l'on s'est trouvé de résoudre ce problème a engendré le scepticisme, et le scepticisme le mépris et le dégoût de la philosophie tout entière (1). »

On ne pouvait parler un plus judicieux langage. Comme l'esthétique, ou science du beau, comme la morale, ou science du bien, comme la théodicée, ou science de Dieu, comme toutes les parties de la philosophie, en un mot, la logique, ou science du vrai, est une dépendance de la psychologie. Ni les formes que revêt la vérité, ni la matière qui remplit

(1) OEuvres de Reid, préface.

ces formes, à savoir la vérité même, ne se conçoivent, si, pour devenir ensuite des objets d'analyse, elles ne sont saisies tout d'abord au sein de la réalité vivante, qui est l'âme humaine. Ramener la philosophie à la logique, c'est réduire la logique elle-même à l'impuissance. Syllogistique raffinée, ou dialectique audacieuse, elle devient alors un jeu stérile de l'École. Elle ne saurait, comme s'exprime Ramus, « se produire à la poussière, au grand soleil de l'usage de chaque jour, être appelée à la bataille des exemples humains. » Bientôt même elle n'offre plus les faibles avantages d'un exercice ou d'un passe-temps, et, dégénérant en sophistique, elle fomente la corruption ou l'entretient. Tant il est vrai que l'âme humaine, quelles que soient celles de ses opérations que l'on considère, ne peut sans grand dommage s'ignorer elle-même !

Que la logique relève de la psychologie, c'est ce qu'il est d'ailleurs nécessaire d'établir en descendant dans le détail. Par là seulement se pourra déterminer, avec la légitimité de la logique, sa portée; avec son passé, son avenir.

Bossuet, traitant de la logique, la définit « cette science pratique qui nous apprend ce qu'il faut savoir pour être capables d'entendre la vérité; » j'ajouterai, ou de la communiquer aux autres.

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