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Cette définition est excellente.

En effet, la logique prise dans son sens le plus large est bien l'ensemble des moyens propres à conduire nos facultés intellectuelles dans la connaissance de ce qui est, tant pour nous instruire nous mêmes que pour instruire les autres. Elle est la discipline, la règle, le guide de nos facultés intellectuelles. Discipliné, réglé, guidé par elle, le

, c'est-à-dire l'ensemble de nos facultés intellectuelles devient le 70s, c'est-à-dire la raison. Le hóyos, c'est le vous, agissant suivant des principes invariables; la raison, c'est l'esprit, l'ensemble de nos facultés intellectuelles dans leur développement légitime et leur féconde activité.

Ces simples énonciations suffisent pour démontrer d'une manière évidente, non-seulement qu'un lien intime unit la logique à la psychologie, mais encore que la psychologie est présupposée par la logique. Car la logique, comme son nom l'indique, n'est autre chose que la raison s'appliquant, se produisant au dehors d'après des modes déterminés. Elle est, suivant le sens complexe de ce mot, la science pratique de la raison, du raisonnement, du discours; des idées, des lois des idées, des expressions des idées. Encore un coup, elle est l'ensemble des moyens propres à diriger nos fa

cultés intellectuelles dans l'acquisition de la vérité. Or, comment diriger ces facultés sans les connaître ? Et comment la logique guidera-t-elle l'intelligence, si elle ne l'a préalablement étudiée ? Incontestablement, avant de formuler les lois dont l'ensemble constitue la logique, il a été nécessaire de les observer telles qu'elles se produisent spontanément.

Il ne peut donc pas y avoir de logique sans psychologie, non plus que de poétique sans poésie, ni de rhétorique sans éloquence.

Il y a plus. Cette observation psychologique, condition indispensable de toute logique, est, nous l'avons vu (1), certaine au même titre que l'observation sensible, et beaucoup plus que l'observation sensible, pénètre profondément son objet. Ce qui fait, par exemple, et fera toujours la faiblesse de l'art médical, c'est qu'il ne peut que très-rarement observer dans leur déploiement mystérieux les phénomènes de la vie, et qu'il ne s'exerce d'ordinaire que sur des cadavres. Ce qui fait, au contraire, la force de la logique, c'est que le sujet qui connaît et l'objet qui est connu, le sujet qui assigne des règles et celui qui les reçoit,

(1) Voyez ci-dessus livre I, chap. 11, la Méthode.

sont un seul et même sujet. L'esprit se donnant à lui-même des règles, parce qu'il se connaît; ou plutôt, se mettant à constater les règles qu'il a commencé par suivre sans le savoir, l'esprit crée la logique.

Par conséquent il est manifeste, de prime abord, que la logique présuppose la psychologie. Mais, après cette ouverture, allons plus avant, et montrons en quoi la logique présuppose la psychologie.

On peut distinguer dans la logique des questions de principes, par où la logique est une science, et des questions pratiques par où la logique est un

art.

« La science, écrit Bossuet dans sa Logique, est la connaissance certaine des conclusions par l'application des principes. L'art est la connaissance qui fait faire comme il faut quelque ouvrage ex

térieur. »

« Le mot art, dit la Logique de Port-Royal, signifie de soi-même une méthode de bien faire quelque chose. »

L'art n'est donc que la science appliquée.

La science exprime, discute, autorise les principes que l'art produit et applique. A la rigueur, on concevrait une science sans art, mais on ne

conçoit pas d'art sans science. L'esprit humain, jusque dans ses opérations en apparence les plus insignifiantes, obéit à des lois; et c'est une chose digne de remarque que plus il s'assujettit à la loi et plus aussi l'œuvre qu'il se propose est achevée.

La logique rentre dans ces conditions communes, auxquelles rien n'échappe. Elle est à la fois une science et un art; et si quelques logiciens n'ont voulu voir dans la logique qu'un art, c'est qu'ils se sont moins préoccupés des principes sur lesquels elle repose que des applications de ces principes. Pour être complet, on doit considérer la logique comme une science tout ensemble et comme un art. Essayons de montrer en quoi, sous ce double point de vue, elle se fonde sur la psychologie.

Et d'abord, la science de la logique, ou si l'on veut la logique générale, se ramène tout entière à une seule question, de la solution de laquelle dépend son existence même la question de la certitude. Cette question d'ailleurs est tripartite, et ce problème unique, envisagé comme il convient, se subdivise en trois problèmes distincts. Car discuter la théorie de la certitude, c'est se demander: 1° si l'homme peut arriver à la vérité; 2° pourquoi, s'il peut y arriver, il n'y arrive pas toujours;

3o quels sont les moyens de distinguer la vérité de l'erreur.

Reprenons, afin de les mieux entendre, chacun de ces trois problèmes.

En premier lieu, on ne saurait trop admirer en combien de manières s'est ingénié l'esprit humain pour se démontrer à soi-même qu'il ignorait,qu'il y eût une vérité; ou du moins, en admettant qu'il y eût une vérité, qu'il était incapable d'y parvenir. Le tableau de nos opinions, si mobiles et parfois si contraires, a été comme la préface de cette argumentation toujours renouvelée. Comment, en effet, au milieu de ce tumulte des sentiments humains, rencontrer quoi que ce soit qui ne change pas? L'absolu est une chimère; il n'y a rien que de relatif. « Vérité en deçà des Pyrénées; erreur au delà (1). » Les impressions de la coutume, de l'éducation, des mœurs, des pays, ont sur nos idées une puissance indéclinable. Aussi bien, images, sensations, phénomènes, n'est-ce pas toujours une scène changeante, fugitive, qui, en nous ou hors de nous, se déroule à nos regards? Nous n'atteignons ni les causes, ni les substances; nous ne faisons que nous repaître de nos propres con

(1) Pascal, Pensées.

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