ceptions. Or ces conceptions ne sont-elles pas illusoires? Qui nous assure qu'elles soient conformes à la réalité que nous affirmons? Et qu'on ne réponde pas que cette affirmation est une espèce de nécessité elle n'est qu'accoutumance, le résultat non d'une loi, mais de l'irréflexion. Qui nous garantit que la veille diffère essentiellement du sommeil et n'est pas elle-même une sorte de rève, comme on rêve parfois qu'on rêve, entassant ainsi chimère sur chimère et mensonge sur mensonge (1)? Etres finis, ne se pourrait-il pas encore que nous fussions le jouet d'un être supérieur, qui emploierait son industrie et trouverait un malin plaisir à nous tromper sans cesse? Ou bien, sans nous arrêter à ces hypothèses désolantes et excessives, n'est-ce pas être sage que de ne point conclure de ce qui nous paraît à ce qui est? Et il ne s'agit plus d'invoquer contre la certitude un phénoménisme tout expérimental. Omettons les faits, pour nous attacher aux principes constitutifs de l'entendement. Ces principes mêmes, que sont-ils autre chose que des formes, d'après lesquelles l'esprit perçoit ce qu'il appelle la vérité? Ces formes qui sont en nous, quelle objectivité (1) Pascal, Pensées. ont-elles hors de nous? Et si ces principes étaient. autres, ne doit-on pas reconnaître que nos perceptions elles-mêmes seraient autres? Pourquoi, l'esprit humain venant à être changé, ces principes mêmes ne pourraient-ils pas être changés? Enfin, voyez l'homme!« Il désire ardemment la vérité, il la cherche; et cependant, quand il tâche de la saisir, il s'éblouit et se confond de telle sorte qu'il donne sujet de lui en disputer la possession (1). » C'est pourquoi, que peut-il mieux faire que « d'abandonner la raison pour guide et de captiver son entendement à l'obéissance de la foi (2)? » Voilà le langage des Pyrrhoniens de toutes les nuances, superficiels ou profonds, calculateurs ou désintéressés, sophistes ou philosophes. En second lieu, si l'esprit de l'homme est fait pour la vérité, on se demande pourquoi il n'y arrive pas toujours. L'erreur est un mal flagrant, qu'il importe de prévenir ou de guérir. Or, pour en assigner les remèdes, il est indispensable d'en rechercher l'origine. De là des doctrines diverses touchant les sources de l'erreur. Les uns l'attri (1) Pascal, Pensées. (2) Bayle. buent à la volonté, qui, suivant eux, s'étend par sa nature au delà de l'intelligence. Les autres la rapportent à la précipitation du jugement. Ceux-ci la dérivent des imperfections du langage; ceux-là des défaillances de la mémoire. Tous se flattent d'avoir découvert la cause principale, sinon unique, d'un mal partout répandu. Troisièmement, puisque la vérité et l'erreur se disputent en quelque façon l'intelligence humaine, à quel signe distinguera-t-on de l'erreur la vérité? Quel sera le gage de la certitude? Où en placer le caractère irréfragable? Quel criterium déterminer ? Professera-t-on qu'il ne faut rien admettre pour vrai que ce que l'on aura reconnu évidemment être tel? Mais n'y a-t-il pas des évidences trompeuses? Surtout n'y a-t-il pas quelque difficulté à bien remarquer quelles sont les choses que nous concevons distinctement (1)? En conséquence, des logiciens ont déclaré urgent de modifier ce criterium de l'évidence, ou mème en ont contesté la valeur d'une manière absolue. Et ici encore, dominés par des préoccupations exclusives, les uns ont invoqué comme criterium suprême de certitude l'impersonnalité de la raison, les autres le principe de con (1) Discours de la Méthode, quatrième partie. tradiction, d'autres enfin le consentement universel et l'autorité. De quelle manière la logique résoudra-t-elle ces trois problèmes, entre lesquels se partage le problème unique de la certitude (1)? De quelle manière parviendra-t-elle à débrouiller la confusion des théories? La psychologie seule peut porter la lumière dans cette obscurité, résoudre les questions préliminaires, auxquelles toutes les autres questions restent suspendues, asseoir ainsi les fondements sur lesquels la logique repose. Oter à la logique sa base psychologique, ce serait vouloir bâtir sur le sable. Effectivement, qu'est-ce que la certitude? Un état de l'âme. Qu'est-ce que l'erreur? Un autre état de l'âme. Qu'est-ce que le criterium de la certitude? La détermination d'un état de l'àme. Qui ne comprend, dès lors, que ces essentielles questions auxquelles se ramène la logique générale sont avant tout des questions de fait, dont on chercherait vainement, ailleurs que dans l'observation psychologique, la solution? C'est pourquoi, les Pyrrhoniens ont beau décla (1) Voyez M. Franck, De la Certitude, et M. Javary, sur le même sujet. Paris, 1847, in-8°. mer et m'étaler la liste enflée de leurs hypotyposes. Sous la négation alambiquée de leurs formules, j'aperçois toujours une affirmation, et dans leurs actes la contradiction de leurs théories; d'où il suit que Pascal pouvait à bon droit remarquer qu'il n'y eut jamais de Pyrrhonien effectif et parfait; car « la nature soutient la raison impuissante et l'empêche d'extravaguer jusqu'à ce point (1). » Mais je laisse là toute polémique, et, rentrant en moi-même, je me consulte. Je me demande si je me suis trouvé jamais dans cet état de calme, de pleine et ferme adhésion au témoignage de mes facultés, qui s'appelle la certitude, ou si cet état est purement imaginaire; si je m'affirme à moi-même quelque vérité, ou si je suis perpétuellement en proie à cette agitation qui s'appelle le doute, et qui ne se doit nullement confondre avec le doute méthodique, lequel est examen, pensar, dudar? A cette interrogation, la réponse est immédiate, lumineuse, irrésistible. Car d'où saurais-je que je doute, si je ne savais aussi ce que c'est que ne pas douter? Douté-je, par exemple, de mon existence personnelle? N'en suis-je pas certain? Et si je viens à imaginer qu'un génie mauvais et rusé emploie toute son industrie (1) Pascal, Pensées. |