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ce qu'il affirme, non plus qu'il ne songe point à s'interroger sur l'impersonnalité de la raison. Il réfléchit encore moins à l'opinion que tous les hommes peuvent en avoir. Plus tard, ce retour sur la possibilité ou l'impersonnalité des idées qu'il conçoit, cet appel au consentement universel et au sens commun, lui seront autant et de nouveaux motifs de se tenir ferme dans son adhésion. Primitivement, c'est l'évidence seule qui la détermine. Tous les autres criterium supposent celui-là, et celui-là n'en présuppose aucun autre. On ne peut reconnaître ce qui est possible et ce qui ne l'est pas; ce qui est personnel ou impersonnel; ce sur quoi les hommes conviennent ou diffèrent, ni même s'il y a des hommes, que par l'évidence. L'évidence, conséquemment, est nécessaire pour légitimer ou pour infirmer toute certitude. La règle souveraine de toute logique consiste à n'accepter comme vrai que ce qui paraît évidemment être tel.

Mais si la logique qui est une science, ou la logique générale, doit à la psychologie ses fondements, la logique qui est un art, ou la logique d'application, dégénérerait en sophistique, si elle ne reposait, de son côté, sur la connaissance de l'âme humaine.

Quel est, en effet, l'objet de la logique qui est

un art? L'acquisition ou la transmission de la vérité. Or, comment entendre la vérité ou la communiquer aux autres, si on ignore la nature des procédés qu'il convient d'employer? Sans doute ces procédés s'appliquent comme d'eux-mêmes, et il y a une logique naturelle qui prévaut dans la plupart des esprits. Cependant, qui pourrait contester que l'application de cette logique soit d'autant plus sûre qu'elle est mieux réglée? Montrons que c'est dans l'étude de l'esprit humain que se découvrent les règles qui lui conviennent, et que c'est en observant les circonstances qui font que chacune de nos facultés s'égare ou ne s'égare point, que nous nous mettons à même de les diriger utilement.

On peut distinguer, relativement à l'acquisition de la vérité, deux sortes de règles très-différentes. Les unes sont des règles spéciales à chacune de nos facultés. Les autres, qui sont communes à toutes nos facultés, constituent proprement la méthode.

Commençons par parler des règles spéciales à chacune de nos facultés. Il n'est plus question d'établir que nos facultés nous conduisent toutes à la vérité. C'est ce que l'observation psychologique nous a appris. Il s'agit d'interroger de nouveau cette observation, afin de savoir comment elles nous y conduisent.

Je ne déclame point; mais je ne puis me défendre d'une admiration profonde lorsque, venant à étudier l'âme humaine, j'y considère comment s'y produit, s'y développe, s'y termine le phénomène de la connaissance, par quel concours harmonieux de facultés, par quelle succession d'efforts toujours grandissants; et de quelle façon, partis de l'ignorance, c'est-à-dire de l'être en puissance, nous nous acheminons par l'actuation de notre être vers la lumière de la vérité ou la plénitude de l'être. La connaissance s'accomplit par les idées. Une idée est une conception; la définition ne saurait aller au delà. Les sens, la conscience, la raison, voilà la triple source originelle de nos idées. Conçues, nos idées se modifient, s'éclaircissent, se transforment par l'attention, l'abstraction, la généralisation, le raisonnement. Enfin la mémoire, l'imagination, le langage, les conservent, les représentent, les combinent, les expriment. C'est là tout l'homme raisonnable.

Il m'est impossible de songer à esquisser, même à grands traits, l'histoire psychologique de ces facultés. Je me borne à constater, avant tout, qu'on ne saurait se rendre compte du rôle qu'elles jouent, sans les surprendre en quelque sorte dans leur vie, qui est la vie même de l'âme ; si bien que,

séparée de la psychologie, la logique n'est plus qu'un système de formules vaines. J'insiste d'ailleurs uniquement sur les points où me paraît se révéler davantage cette étroite alliance de la logique pratique et de la psychologie.

J'emprunte d'abord à l'observation psychologique cette information capitale, que la certitude étant produite par l'évidence, attendu que l'évidence est la caractéristique de la vérité, c'est par la foi que débute la connaissance humaine, comme c'est par la foi qu'elle s'achève. Car que faire en face de l'évidence, sinon se rendre, adhérer? Et qu'est-ce qu'adhérer, sinon croire, avoir foi?

La croyance est le fond mème de la connaissance. Autorisé par la psychologie, j'ajoute qu'elle en est le point de départ. C'est par un acte de foi que j'affirme mon existence, celle du monde extérieur, les premiers principes. Spontanée, irrésistible, cette croyance est intuitive, et les facultés, dans l'exercice desquelles elle se produit, les sens, la conscience, la raison, sont elles-mêmes intuitives.

Par là tombe l'erreur de ceux qui se vantent de tout dériver du raisonnement, et qui, fermant les yeux à la pure lumière, s'obstinent à ne rien voir qu'à la lueur d'une clarté réfléchie. Esclaves de la caverne, spéculatifs ingénieux à se tromper eux

mêmes, ils ressemblent, observe finement Leibniz, à des gens qui ne voudraient rien apercevoir qu'au clair de lune.

Les existences se montrent, elles ne se démontrent pas; la démonstration suppose l'indémontrable. En d'autres termes, il est absurde de prétendre substituer à l'évidence intuitive l'évidence réfléchie, puisque sans évidence intuitive il n'y aurait point d'évidence réfléchie.

Essayez de prouver l'existence du monde extérieur, et aussitôt vous vous trouverez réduit aux mortelles impasses de l'égoïsme et de l'idéalisme. « Il n'y a pas de pont jeté sur l'abîme qui nous sépare du monde extérieur, disait M. Royer-Collard; ce n'est pas notre raison qui le franchit; la nature est notre seul guide (1). »

Exigez que la conscience légitime ses titres à votre adhésion, et, du même coup, vous vous jetez dans les extravagances d'un Pyrrhonisme insoutenable. Car décliner le témoignage de la conscience, ce n'est pas seulement se priver d'une source de certitude, mais tarir, s'il est possible, la source de toute certitude, le témoignage de la conscience enveloppant, pour ainsi parler, le témoi

(1) OEuvres de Reid, t. III,
P. 402.

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