M. Royer-Collard, il faut le prendre tel qu'il est (1). C'est là une maxime souveraine. Qu'on la néglige et tout croule; qu'on la pratique et tout subsiste. C'est dans le même sens que Pascal avait dit : « L'homme n'est ni ange ni bête; » et encore : « Si l'homme se vante, je l'abaisse; si l'homme s'abaisse, je le vante (2). » (1) Fragments à la suite des OEuvres complètes de Reid, traduites par M. Jouffroy, 6 vol. in-8°. Paris, 1828; t. III, p. 404. « L'observation de la nature humaine, ajoutait M. Royer-Collard, comme celle du monde physique, consiste dans la revue des faits. Un seul oublié ou méconnu, les généralisations sont infidèles; ce que vous appelez l'homme n'est pas l'homme. Où sont les faits? Ils sont en nous-mêmes et dans les autres. Nous les obtenons donc par notre propre expérience et par celle d'autrui; et l'observation doit être aussi étendue que cette double expérience; elle doit embrasser tous les âges, toutes les époques de civilisation, toutes les actions de la vie commune, tous les travaux de la raison spéculative, tous les appétits, tous les penchants, toutes les émotions du cœur. L'histoire, le drame, les écrits des philosophes et des moralistes, les législations des peuples sont les vastes dépôts des faits observables qui constituent la nature humaine. C'est l'homme qui se décrit luimême dans Thucydide et Tacite, dans Pascal et Bossuet, dans Shakspeare, Corneille, Racine, Molière, la Fontaine, Montesquieu. Les traits épars de cette description sont les matériaux de la philosophie; tous doivent être rassemblés, il n'est permis d'en négliger aucun. » (2) Pensées; cf. M. Guizot, De la Démocratie en France. Paris, 1849, in 8, p. 135: « Si l'homme se vante, dit Pascal, je l'abaisse; s'il s'abaisse, je le vante. » Paroles admirables qu'il faut répéter et pratiquer sans cesse. Certainement l'homme A coup sûr, il n'est pas facile de connaître l'homme tel qu'il est. Mais n'est-ce rien déjà que de vouloir le connaître, et, par conséquent, que de se dégager des préjugés, des préoccupations, des théories préconçues? On ne le saurait contester : la plupart des erreurs que l'on commet touchant la nature humaine sont exactement comparables aux illusions d'optique. «En voyant, écrit M. Ancillon, les désirs immenses, les hautes prétentions, les facultés riches et indéfinies de l'homme civilisé, et les bornes ainsi que les misères de son état actuel, le théologien dit que c'est un être déchu, un roi détrôné; de prétendus philosophes, que c'est un animal dénaturé, un singe parvenu, ou plutôt puni pour être sorti de son état; le politique, un être productif, à qui il fallait donner le moyen et le désir du su mérite qu'on le respecte et qu'on l'aime, et qu'on espère beaucoup de lui et qu'on aspire à beaucoup pour lui. A ceux qui méconnaîtraient la grandeur de la nature et de la destinée de l'homme, je dirais avec Pascal: «Si l'homme s'abaisse, je le vante.» Mais à ceux qui encensent l'homme, qui se promettent de lui toutes choses et lui promettent toutes choses à lui-même; qui, poussés par l'orgueil, poussent l'homme sous l'orgueil, oubliant et lui faisant oublier les misères de sa nature, et les lois suprêmes auxquelles il est tenu et les appuis dont il ne peut se passer, à ceux-là je dis aussi avec Pascal: «Si l'homme se vante, je l'abaisse. » LA NATURE HUMAINE. perflu, afin qu'il fit et qu'il obtint le nécessaire; le cosmopolite, un ouvrier congédié pour toujours, après avoir poussé quelques moments à la grande roue du perfectionnement de l'espèce humaine; le sage religieux, un être immortel, qui commence son éducation et qui doit l'achever, qui avance lentement, mais qui arrivera, parce qu'il y a de la marge dans l'éternité (1). » Ce sage est l'observateur impartial. En second lieu, sans doute la nature humaine a des profondeurs qui reculent en quelque façon à mesure qu'on avance, et nul ne saurait se flatter de n'avoir plus rien à découvrir dans « cet abîme sans fond, dans ce secret impénétrable du cœur de l'homme.» Mais si l'homme est à soi-même un objet de recherches inépuisable; d'un autre côté, il lui suffit de se considérer sérieusement pour apercevoir en soi-même les vérités qu'il lui importe le plus de découvrir. En effet, Kant l'a remarqué fort sensément : « Par un bienfait de la Providence, c'est précisément dans les questions qui intéressent le moins l'humanité que le raisonnement a sa place et que le doute se glisse à sa suite; mais, pour (1) Essais de philosophie, etc., 4 vol. in-8°. Paris, 1832; t. Ier, p. 215; Des Développements du Moi humain, Conclusion. celles qui importent à notre destinée, la Providence n'a pas voulu qu'elles pussent dépendre de la subtilité de raisonnements ingénieux; elle les a, au contraire, livrées immédiatement au sens commun, qui, lorsqu'il ne se laisse pas égarer par une fausse science, ne manque jamais de nous mener droit au vrai et à l'utile (1). » C'est donc sans découragement, mais plutôt avec confiance, que j'entreprends cette étude de l'âme. En m'appliquant à pénétrer sa nature, du même coup je reconnaîtrai les rapports qu'elle soutient, et démêlant son origine, je me rendrai compte de sa destinée. L'antiquité tout entière n'a cessé de répéter qu'il fallait que l'homme vécût conformément à la nature. C'était proclamer clairement que la connaissance de la nature de notre être est le préliminaire indispensable de la connaissance de ses lois. Et lorsque Platon ajoutait que nous devons ressembler à Dieu autant qu'il est possible, ce philosophe sublime marquait assez que c'est dans l'âme expressément, et non point uniquement ni surtout dans le corps, qu'il convient de chercher ce qui constitue la nature humaine. (1) Méthodologie. Cette étude de l'âme humaine est précisément l'objet de la psychologie. J'établirai d'abord la légitimité de la psychologie, la distinguant de ce qui n'est pas elle; démontrant qu'elle est vraiment une science digne de ce nom, la vengeant des accusations banales qu'ont amassées contre elle, et des côtés les plus divers, des esprits prévenus. Je chercherai ensuite à déterminer le domaine de la psychologie, à indiquer sa portée, à tracer ses limites, à énumérer dans l'ordre qui leur appartient les principaux problèmes qu'elle comprend. Après avoir prouvé la légitimité de la psychologie et montré quelle est son organisation, il me faudra, par la discussion des méthodes, fixer l'ensemble des procédés qui lui conviennent. J'aurai, en dernier lieu, à mettre en lumière les principaux résultats qu'on obtient, lorsqu'à l'aide d'une méthode appropriée on s'applique à résoudre les problèmes qui relèvent de la psychologie. Ce sera la matière d'un premier livre. Dans un second livre, tirant en quelque manière les conséquences dont le premier livre aura offert les prémisses, j'assignerai le rôle de la psychologie. ་་ L'homme, écrivait Pascal, est visiblement fait |