gnage de toutes nos autres facultés, quoique distinct de ce témoignage même. D'autre part, suspectez la raison, renoncez à «< cette intelligence vive et lumineuse par où nous connaissons les premiers principes (1),» et je cherche de quelle manière vous rétablirez l'empire de la raison. Il est aussi impossible de démontrer les premiers principes qu'il est impossible de ne pas y croire; et il est peu sensé de s'insurger dans la spéculation contre une nécessité intellectuelle que l'on subit dans la pratique. S'ensuit-il néanmoins que la raison, la conscience, les sens nous fournissent toujours d'infaillibles données ? Oui, si on interroge ces facultés comme il convient. Non, si on se méprend sur leur nature. De là des règles nécessaires et que l'observation psychologique peut seule nous mettre à même de reconnaître et d'appliquer. Je ne reviendrai pas sur ce que j'ai déjà énoncé touchant la nature de la conscience, sa portée et ses limites (2). Je rappellerai seulement qu'autant son témoignage est irrécusable en ce qui concerne le moi, autant il reste nul pour tout ce qui (1) Pascal, Pensées. (2) Voyez ci dessus, liv. I, chap. 1; la Méthode. dépasse le moi. C'est se payer de mots, identifier aveuglément le moi et le non-moi, ou du moins considérer le non-moi comme un prolongement du moi, qu'exiger de la conscience qu'elle nous révèle le monde des sens ou le monde de la raison. Respecter ses justes limites, telle est donc la règle inviolable que nous impose l'observation. Et il en est des sens comme de la conscience. Là aussi l'observation nous apprend que, dans une organisation saine, les sens accomplissent toujours leur office; que chacun d'eux nous livre fidèlement les informations que comporte sa nature, et que les erreurs qu'on a coutume de leur reprocher ne doivent être attribuées d'ordinaire qu'à nos exigences inconsidérées et à notre ignorance des lois qui régissent les corps. Comme le sentiment ou la notion de l'existence personnelle et tous les phénomènes qui s'y rattachent; comme la sensation et la perception du monde extérieur, les premiers principes sont des faits de l'esprit humain. A ce titre, ils doivent être observés, et ce n'est qu'après avoir psychologiquement constaté l'idée de l'absolu dans l'intelligence, qu'il nous est permis d'établir logiquement l'accord de la vérité absolue et de la raison. L'observation, en effet, nous découvre les caractères d'universalité, de nécessité, d'impersonnalité, qui marquent les premiers principes. Et, de la sorte, elle les démêle des simples faits d'expérience. Quand Montesquieu traitait avec tant de dédain quiconque aurait pu dire qu'avant qu'on eût tracé de cercle tous les rayons n'étaient pas égaux (1), il refoulait l'expérience dans son domaine légitime, et il proclamait une vérité qui n'intéressait pas les mathématiques seules, mais qui servait de titre (il le savait bien, il le disait lui-même) aux croyances les plus précieuses de l'humanité. C'est dans le même sens, et en parlant également des propriétés du cercle, que Leibniz écrivait: A. Hoccine verum esse putas, etiamsi a te non cogitetur? B. Imo, antequam vel geometræ id demonstrassent, vel homines observassent (2). (Dialogus de Connexione inter verba et res.) Quiconque aura attentivement observé l'àme humaine ne sera plus exposé à confondre les premiers principes avec les faits de l'expérience, ni à élever les faits de l'expérience à la hauteur de premiers (1)« Dire qu'il n'y a rien de juste ni d'injuste que ce qu'ordonnent ou défendent les lois positives, c'est dire qu'avant qu'on eût tracé de cercle tous les rayons n'étaient pas égaux.» Esprit des Lois, liv. I, ch. 1. 2) Cf. M. de Rémusat, Essais de Philosophie, t. II, p. 388. LA NATURE HUMAINE. 13 principes. Il verra dans l'expérience l'antécédent chronologique de l'absolu, mais dans l'absolu le support indispensable et l'explication de l'expérience. Il affirmera en outre l'absolu partout où lui apparaîtra l'absolu, et libre des préjugés qu'engendre la préoccupation, il n'aura garde de considérer, l'absolu comme le privilége des sciences exactes. A côté, ou plutôt au-dessus des premiers principes des mathématiques, il placera les premiers principes de la morale et des arts. Je ne sache pas de logique digne de ce nom qui ne demande tout d'abord à la psychologie une solution du problème fondamental de l'origine des idées. Il y a plus; toute logique vaut précisément ce que vaut la solution qu'on a adoptée de ce problème. Com-' parez, par exemple, en cela, la logique de PortRoyal et la logique de Gassendi. C'est en affirmant que «toute idée tire son origine des sens, omnis idea ortum ducit a-sensibus, » que Gassendi commence sa logique. MM. de Port-Royal, au contraire, ne manquent pas, au début de leur logique, de contredire le vieil adage: Nihil est in intellectu, quod prius non fuerit in sensu (1). Les êtres, les faits, les premiers principes, voilà (1) Premi re partie, chap. rer. la matière de l'intuition; voilà ce que nous découvrent les sens, la conscience, la raison. Les vérités que ces facultés nous communiquent forcent immédiatement notre adhésion, s'imposent à notre foi, emportent notre croyance. Mais qui ne comprend combien la connaissance humaine serait étroite, si elle était bornée à l'intuition. Nous connaîtrions telle ou telle vérité, nous ne soupçonnerions pas comment les vérités se coordonnent et ne sont, en définitive, que les aspects variés de la vérité, une de soi. Nous connaîtrions des individus, non des genres. Nous connaîtrions ce qui se passe ici ou là, à tel moment ou à tel autre, et non point ce qui a lieu partout et toujours. Accablés sous la multitude de plus en plus confuse des faits, nous serions incapables de parvenir à la détermination des lois. Instruits de notre présent, nous le serions fort mal de notre origine et de notre avenir; et tandis que la notion de notre propre être demeurerait ainsi très-incomplète, à peu près tout ce que nous saurions des autres êtres consisterait à savoir qu'ils sont et non pas ce qu'ils sont. Aussi aux facultés intuitives s'ajoutent, dans l'entendement, des facultés discursives, inductives ou déductives, qui, nous ouvrant de plus larges horizons, agrandissent indéfiniment le champ de la connaissance. Partis de l'évidence |