intuitive, elles nous portent, à travers certains milieux, à ce point plus ou moins éloigné que nous n'avions pu atteindre de prime abord, et où l'évidence, venant à luire de nouveau, entraîne de nouveau notre adhésion, notre croyance, notre foi. L'observation psychologique nous révèle en nous ces facultés, en même temps qu'elle en atteste la puissance et en détermine les règles. Comment, en effet, sans avoir étudié les opérations de l'âme, distinguer l'abstraction légitime, qui est un instrument indispensable d'analyse et un procédé si familier de l'esprit, de l'abstraction décevante qui substitue à l'être des fantômes de l'être? Comment, sans une psychologi bien faite, démêler la généralisation, qui, par l'élimination successive des accidents, nous élève à des classifications naturelles, ou même à la plénitude de l'être; de cette géné ralisation téméraire qui, de degré en degré, nous précipite dans le vide et nous achemine vers le néant? Comment surtout entendre la force du raisonnement et se rendre compte de la valeur ou de la différence des principes sur lesquels il repose, suivant les formes diverses qu'il revêt? De la faculté qu'a l'entendement de rapporter une vérité particulière à une vérité générale résulte le raisonnement déductif. Les formes n'en sont point arbitraires. Elles constituent le syllogisme. «Je tiens, écrivait Leibniz, que l'invention de la forme des syllogismes est une des plus belles de l'esprit humain, et même des plus considérables. C'est une espèce de mathématique universelle dont l'importance n'est pas assez connue, et l'on peut dire qu'un art d'infaillibilité y est contenu (1). » Infaillibilité admirable, en effet, que celle que nous découvre l'analyse de l'esprit humain! Mais infaillibilité périlleuse, qui devient pour les faibles une surprise et livre les intelligences distraites à la malignité des sophistes (2). Car tout syllogisme, par luimême, est fatal. Les prémisses acceptées, les conséquences suivent irrésistiblement, et Dante a pu nous montrer, parmi les tristes habitants de (1) Nouveaux Essais, liv. IV, ch. xvII, § 4. (2) « La conviction, écrit M. Joubert dans ses Pensées (1849), 2 vol. in-8°), est pour l'esprit une espèce de géhenne dont il se tire par son aveu. Dupe de sa propre douleur, il y échappe en confessant ce qu'il ne croit pas. L'art de convaincre, dont j'ai vu des geus si fiers, employé sur les hommes simples, n'est pas plus merveilleux que celui de serrer les pouces à un enfant. Avec un habile, ce n'est que celui du rétiaire entre les gladiateurs. Dans la pratique journalière, quand on en use avec empire, avec orgueil, et tout de bon, c'est-à-dire en contraignant les autres d'y conformer leurs actions, leurs goûts, leurs discours et leur vie, c'est véritablement un art de bourreau, l'art de Bronte, le ques tionnaire. >> son Enfer, des victimes de la logique. « Tu ne savais pas que j'étais logicien! » s'écrie Satan, s'adressant à une âme séduite. « Tu non pensavi, ch'io loigo fossi (1). » C'est pourquoi, la psychologie non-seulement nous met en garde contre les vices de forme de la logique : elle nous enseigne principalement que le raisonnement tout entier dépend de la matière sur laquelle il s'exerce. « Pour se convaincre plus complétement, écrivait Descartes, que l'art' syllogistique ne sert en rien à la découverte de la vérité, il faut remarquer que les dialecticiens ne peuvent former aucun syllogisme qui conclue vrai, sans en avoir eu avant la matière, c'est-à-dire sans avoir connu d'avance la vérité que ce syllogisme développe (2). » Dès lors il importe de demander soi-même à l'expérience les majeures des syllogismes, ou de ne point accepter d'autrui ces majeures légèrement. « Personne, remarque spirituellement un philosophe contemporain, personne, pas même Aristote, n'a pu encore se condamner au système cellulaire de la logique pure, et considérer exclusivement la forme du raisonnement, sans jeter un regard sur sa matière. On n'a pu (1) Inferno, XXVII, 41. 2) Les Principes de la Philosophie. s'empêcher de compléter l'abstraction logique par l'observation psychologique (1).» Il devient, d'autre part, impossible de confondre avec le raisonnement la raison, dont le raisonnement explore les données absolues. Fondé sur une vérité de fait, le syllogisme la développe et produit simplement la déduction. Fondé sur une vérité nécessaire, il se change en démonstration. « Le fruit de la démonstration est la science, écrit Bossuet. Tout ce qui est démontré ne peut être autrement qu'il est démontré; ainsi toute vérité démontrée est nécessaire, éternelle et immuable. Car, en quelque point de l'éternité qu'on suppose un entendement humain, il sera capable de l'entendre; et comme cet entendement ne la fait pas, mais la suppose, il s'ensuit qu'elle est éternelle, et par là indépendante de tout entendement créé (2). » Et la démonstration, non plus que la déduction, ne sont pas des pièces d'emprunt pour la logique. « La logique, disait Pascal, a peut-être emprunté les règles de la géométrie sans en comprendre la force. La méthode de ne point errer est recher (1) M. de Rém sat, Bacon, sa vie, sn temps, sa philosophie. Paris, 1858, in-8°, p. 318. (2) OEuvres complètes, t. XXII, p. 73, de la Connaissance de Dieu, etc., chap. 1, xu. chée de tout le monde. Les logiciens font profession d'y conduire; les géomètres seuls y arrivent... Ce n'est pas barbara et baralipton qui forment le raisonnement. Il ne faut pas guinder l'esprit; les manières tendues et pénibles le remplissent d'une sotte présomption par une élévation étrangère et par une enflure vaine et ridicule, au lieu d'une nourriture solide et vigoureusc (1). » Guidé par une psychologie plus sûre, Leibniz établissait très-bien, à l'encontre de Pascal, que la logique a une force qui lui est propre, qui n'est point engagée dans une terminologie, laquelle est mnémotechnie, et qu'elle communique à la géométrie, au lieu qu'elle la tienne de la géométrie. « Il y a, écrivait-il, des exemples assez considérables de démonstration hors des mathématiques; et on peut dire qu'Aristote en a donné déjà dans ses Premiers Analytiques. En effet, la logique est aussi susceptible de démonstration que la géométrie; et l'on peut dire que la logique des géomètres, ou les manières d'argumenter qu'Euclide a établies et appliquées en parlant des propositions, sont une extension ou promotion particulière de la logique générale. Archimède est le premier, dont nous avons des ouvrages, qui ait exercé l'art de démontrer (1) Pensées; de l'Art de persualer. |