éléments de sa nature, apparaît ce qui est pour lui le souverain bien. C'est en poursuivant ce souverain bien qu'il accomplit sa souveraine loi, et ses différents devoirs ne sont autre chose que les applications diverses de cette loi à ses diverses actions. Ainsi, l'observation fonde la morale générale ou spéculative, la morale qui est science. De là se déduit la morale particulière ou pratique, la morale qui est un art. Au premier regard que l'homme jette sur l'univers, il lui est impossible de n'en pas admirer naïvement l'harmonie. Une ignorance présomptueuse le portera peut-être ensuite à regretter dans cet ordre du désordre. Mais plus sa science sera affermie, étendue, et plus il se convaincra que, malgré des apparences contradictoires, tout concourt, úμm; car tout a sa loi, et l'ordre n'est que la résultante des lois qui régissent l'universalité des êtres. Comme tous les êtres, l'homme a donc sa loi. Mais, à la différence des êtres qui l'environnent, il la connaît, et parce qu'il est libre, il se sait obligé d'y obéir. C'est pourquoi, tandis que les autres êtres cèdent aveuglément à des lois physiques et géométriques, la loi de l'homme, loi connue, obligatoire. est appelée loi morale. On le voit, la loi morale ne saurait s'entendre que d'un être libre. Si donc l'homme n'était pas libre, il ne pourrait y avoir pour lui de loi morale. Or l'homme est-il libre? « Un homme qui n'a pas l'esprit gâté, écrit Bossuet, n'a pas besoin qu'on lui prouve son franc arbitre, car il le sent; et il ne sent pas plus clairement qu'il voit ou qu'il reçoit les sons, ou qu'il raisonne, qu'il se sent capable de délibérer ou de choisir (1). » Le fait de la liberté tombe immédiatement sous les prises de la conscience, et l'homme ne peut s'affirmer lui-même qu'il n'affirme son libre arbitre. S'il se connaît, c'est en tant que force, et force libre. Marquons d'ailleurs nettement, dans le phénomène complexe de l'activité humaine, la place de la liberté. Tout acte libre nous offre, en effet, quatre moments connexes, mais distincts. En premier lieu, nous concevons obscurément ou clairement, d'une manière sourde ou explicite, un acte à accomplir. En second lieu, lentement ou rapidement, nous délibérons, nous pesons les mobiles ou les motifs qui nous sollicitent, nous les comparons. En troi (1) OEuvres complètes, t. XXII, p 85; De la Connaissance de Dieu, etc., chap. 1, xvIII. sième lieu, nous nous décidons, nous prenons un parti, nous nous arrêtons à une résolution. En quatrième lieu, nous agissons. Où trouver, dans ces divers moments de l'activité humaine, le fait même de la liberté? Sera-ce dans l'action? Mais qui ne remarque à combien d'empêchements extérieurs l'action est soumise; et que deviendra une liberté que peuvent entraver, annuler même, mille accidents de l'organisme? D'un autre côté, évidemment ce n'est point dans la conception de l'acte à accomplir que consiste la liberté. Car la conception n'est pas libre; ni le désir qui éveille l'idée, ni l'idée même ne dépendent de nous. Enfin, et pour des raisons identiques, ce n'est pas davantage dans la délibération qu'il convient de placer la liberté, la délibération se ramenant à un jugement, et le jugement n'étant autre chose qu'un rapprochement d'idées. La liberté consiste essentiellement dans la détermination. Les autres éléments du phénomène de l'activité accompagnent celui-là; mais celui-là est expressément la liberté même. Il y a plus les autres éléments peuvent être implicites et comme supprimés; la liberté n'en subsiste pas moins dans sa forme la plus vive tour à tour et la plus facile. D'abord spontanéité, la liberté devient volonté et finit par être habitude. Volontaires quand ils sont réfléchis, nos actes libres sont habituels ou spontanés lorsqu'ils devancent la délibération ou que la délibération ne les a point directement préparés. « Spontanés (habituels) ou volontaires, tous ces actes ont cela de commun qu'ils se rapportent immédiatement à une cause qui a son point de départ uniquement en elle-même (1). » Pouvoir se déterminer, c'est pour l'homme être libre. Et, en effet, la conscience nous atteste : 1° que nous sommes les auteurs de notre détermination; 2° qu'elle n'est ni contrainte, ni nécessitée; 3° que nous aurions pu nous déterminer indifféremment à toute autre action. Dira-t-on que la conscience nous abuse? Ce serait tomber dans un scepticisme absolu. Objecterat-on que les motifs sont les causes de nos résolutions? Nous répondrons qu'ils en sont simplement les occasions; car à Dieu ne plaise que nous cherchions dans une liberté d'indifférence l'expression suprême de la liberté! A dire vrai, la liberté d'indifférence est parfaitement chimérique, et l'observation la plus superficielle nous montre l'âme constamment sollicitée par des mobiles ou par des (1) M. Cousin, Cours de 1826, Préface. motifs. L'observation, de même, nous apprend que nous sommes d'autant plus libres que les motifs d'agir nous sont plus présents. Qui ignore ce qu'il doit faire est le moins libre des hommes. L'homme libre par excellence serait celui qui, en tout, verrait clairement quel est le meilleur parti et le suivrait. Mais les motifs, pour incliner notre liberté, ne la détruisent pas, ni ne la vicient; par conséquent, c'est mal parler que de dire que nous cédons toujours au motif le plus fort. Avant la décision prise, aucun motif n'est le plus fort; et, au lieu que notre décision dépende de la force des motifs, c'est la force des motifs qui dépend de notre décision. Contre les influences et les violences qui l'assaillent, l'âme humaine peut toujours prononcer le moi de Médée; ou mieux encore, dans la plénitude de sa puissance et la calme possession de soi-même, l'homme peut toujours dire: Moi, le roi!« Yo, el rey! » Être libre, il est une personne ; il dépasse les choses de toute la grandeur de sa liberté; il est à même de connaître sa loi et d'y obéir; sa loi est une loi morale; elle peut être obligatoire, s'imposer à sa volonté sans l'enchaîner. Maintenant quelle est cette loi? Ce n'est point par des inductions ni par des syllogismes que j'ai établi que l'homme possède cette condition de toute |