Images de page
PDF
ePub

pour penser; c'est toute sa dignité et tout son mérite, et tout son devoir est de penser comme il faut : or l'ordre de la pensée est de commencer par soi, par son auteur et sa fin (1).

[ocr errors]

« Toutes les sciences, écrivait Hume, touchent par quelque bout à la nature humaine; et si loin que l'objet de quelques-unes semble les en tenir, encore ne laissent-elles pas de s'y réunir par quelque conduit souterrain. L'esprit humain est le centre et le chef-lieu de toutes les sciences; une fois que nous sommes maîtres de cette place, il nous est facile d'étendre de tous côtés nos conquêtes >>

Toutes les sciences, en effet, dépendent de la psychologie; et, quel que soit l'objet auquel s'applique la pensée, cette application ne peut être légitimée, cette recherche rendue féconde, qu'autant qu'on se reporte à la connaissance du sujet pensant, c'està-dire de l'esprit. Mais c'est surtout dans la science humaine par excellence, qui est la philosophie, que l'intervention de la psychologie se trouve une nécessité, et, pour ainsi parler, une nécessité de tous

(1) Pensées, Fragments el Lettres de Blaise Pascal; édit. Faugère, 2 vol. in-8°. Paris, 1844; t. II, p. 84. Et Pascal ajoutait : « Or, à quoi pense le nionde? Jamais à cela; mais à danser, à jouer du luth, à chanter, à faire des vers, à courir la bague, etc., à se bâtir, à se faire roi, sans penser à ce que c'est qu'être roi et qu'être homme. »

les instants. Sans doute la psychologie « n'est ni le terme ni le sommet » de la philosophie; mais elle « en est la grande entrée. » L'édifice reste inaccessible à qui ne franchit pas ce vestibule. Il n'y a pas une seule des parties de la philosophie qui ne réclame les lumières de la psychologie, pas un seul problème qui ne lui emprunte ses éléments de solution. La négliger, c'est se résigner à languir dans les ténèbres de l'ignorance, ou s'exposer aux périls de l'hypothèse. Dans la psychologie, comme en un germe, est renfermée la philosophie tout entière.

C'est ce que je m'appliquerai à établir, en faisant voir comment la psychologie intervient dans

la logique, ou science du vrai;
la morale, ou science du bien;
l'esthétique, ou science du beau;
la théodicée, ou science de Dieu;
la politique, ou science de l'État.

Ce n'est pas tout. La psychologie, qui est la base de la science de l'homme, est aussi par cela même le fondement de la science de l'humanité.

C'est pourquoi je montrerai par quels étroits rapports la philosophie de l'histoire et l'histoire de la philosophie se rattachent à la psychologie.

Enfin, il n'y a pas jusqu'à la philosophie de la nature, dont je découvrirai dans la psychologie les essentiels principes.

Certes, dans ce champ si étendu de la philosophie proprement dite ou de la science de l'homme, de la philosophie de l'humanité, de la philosophie de la nature, je ne saurais avoir la prétention de tout embrasser, de scruter tous les problèmes, de démêler toutes les secrètes relations par où la philosophie dépend de la psychologie.

Summa sequar fastigia rerum...

Nécessairement, j'irai droit aux questions capitales, qui résument toutes les autres, dont celles-ci ne sont que les développements, et sur lesquelles il suffit de se prononcer pour prendre parti sur tout le reste. Mais là, du moins, je tâcherai d'être exact et d'être complet.

Me tournant ensuite de la théorie vers l'examen des théories, je demanderai à l'histoire de contrôler les données de la spéculation. Ce sera vérifier ces fortes paroles de Maine de Biran :

« Je suis autorisé peut-être plus que qui ce soit, écrivait ce psychologue éminent, à affirmer qu'il n'y a pas un système unique de la science complète de l'homme, mais plusieurs systèmes vrais à la fois,

chacun dans son point de vue, et faux seulement en tant que chacun aspire à être exclusif, à embrasser un être multiforme à l'indéfini sous une seule face abstraite de cette nature humaine totale livrée à nos recherches.

« C'est vainement, en effet, que chaque système de la métaphysique prétend déduire d'un seul principe la science vraie d'un être mixte, organisé, vivant, sentant, pensant et libre, qui touche d'un côté à la nature animale avec laquelle il vient se confondre, en s'absorbant tout entier dans la sensation; pendant qu'il touche d'un autre côté à la nature divine d'où il émane, dont il est le reflet ou l'image, dont il reçoit l'influence ou l'esprit, précisément à mesure qu'il s'éloigne de cette sensation, dont on a si bizarrement prétendu faire naître toutes ses facultés (1). »

Ce sera la matière d'un troisième et dernier livre.

Tout d'abord, je passerai en revue les principales théories psychologiques qui se sont produites antérieurement aux temps modernes, et qui marquent comme autant de périodes distinctes de

(1) OEuvres inédites, publiées par M. Naville, 4 vol. in-8°. Paris, 1859; t. III, p 355. Anthropologie, Introduction.

l'histoire de la pensée humaine. Platon, Aristote, Plotin, c'est-à-dire les trois grands dogmatistes de l'antiquité, occuperont successivement mon attention.

Je considérerai ensuite les principales théories psychologiques des temps modernes. Descartes et Spinoza, Malebranche et Leibniz, Locke, Hobbes et Condillac, les Écossais et les Allemands, et enfin les principaux représentants de l'école italienne seront tour à tour l'objet de mon étude.

Partout et toujours, dans chaque doctrine individuelle et dans chaque école, je constaterai que les théories logiques, morales, esthétiques, ontologiques, politiques, historiques ont valu ce que valaient les théories psychologiques auxquelles elles se rattachent, et qui en sont, quoi qu'on fasse, les indispensables supports (1).

Quels seront les résultats de cette longue démonstration, tout ensemble théorique et critique? Ils n'offriront, je le veux, aucune nouveauté. Les raffinés n'y rencontreront point les agréments du paradoxe, et les esprits amoureux de l'extraordinaire pourront se plaindre qu'on les ramène par

(1) Ce livre fera l'objet d'une autre publication, seconde partie du travail total (La Nature Humaine et les Systèmes), dont je donne aujourd'hui la première.

« PrécédentContinuer »