comprend qu'il les subit et ne les fait pas telles. Effectivement, ces idées « sont quelque chose de Dieu, ou plutôt elles sont Dieu même (1). » C'est pourquoi, fondées sur la psychologie, c'est à la théodicée que se terminent la logique qui traite du vrai, la morale qui traite du bien et l'esthétique qui traite du beau. Réduisez l'homme au spectacle de lui-même; j'avoue qu'il découvrira encore dans la contemplation de son propre être, en même temps que des phénomènes, des lois qui les régissent; car ces lois sont inhérentes à sa nature. Instinctive ou réfléchie, la connaissance qu'il a de ces lois est plus ou moins incomplète. Mais ces lois ne dépendent ni des degrés de sa connaissance, ni même de sa connaissance. Il y a plus d'une certaine manière, leur application se conçoit sans leur explication; et, pour en faire usage, il n'est pas indispensable de s'en être rendu compte. C'est ainsi qu'un athée peut être géomètre; qu'à la rigueur il peut être ce qu'on appelle honnête homme; qu'il peut être peintre, sculpteur, poëte. Les lois de la géométrie, en effet, comme les règles de la mo (1) Bossuet, OEuvres complètes, t. XXII, p. 197; De la Conaissance de Dieu, etc., chap. iv, v. rale ou les règles de l'art, sont des principes constitutifs de notre entendement. Nous y obéissons spontanément, parce qu'il nous est impossible. de n'être pas ce que nous sommes, et quelque science qu'on imagine, c'est à les constater qu'infailliblemert elle aboutit. Néanmoins, qui ne voit que, pris ainsi relativement à l'homme, ces principes n'ont plus d'autre autorité que celle qu'ils doivent à une manifeste inconséquence? Car leur autorité effective ne leur vient-elle pas de leur caractère de principes absolus? Et ne cessent-ils pas d'être absolus, du moment qu'on cesse de les rapporter à un être absolu, comme à leur sujet d'inhérence? Sans doute, ici encore,« la nature soutient la raison impuissante et l'empêche d'extravaguer. >> On se contredit, on procède aveuglément, on admet d'inspiration la nécessité de conceptions, qu'il faudrait, pour raisonner juste, déclarer contingentes. Les exigences de la pratique suppléent au manque ou au vide des théories. Cependant, que ce dictamen de la pratique est insuffisant, et que son empire sur les esprits paraît précaire! J'accorde que nul ne songera jamais à contester les vérités de l'arithmétique et de la géométrie. Inexplicables, ces notions resteront du moins, à cause de leur abstraction, hors de conteste (1). En sera-t-il de même de toute vérité, des vérités esthétiques, et surtout des vérités morales? Évidemment non. Les arts seront bientôt livrés à la fantaisie, les lois confondues avec les usages; et la vie reflétera toutes les vicissitudes de la passion. La logique, la morale, l'esthétique demandent donc à être rattachées immédiatement à la théodicée. Développements de la connaissance de l'âme, elles ne s'assurent et ne se justifient que par la connaissance de Dieu. Je ne m'étonnerai pas avec Pascal qu'on dise que le ciel et les oiseaux prouvent Dieu (2); car le spectacle de l'univers annonce éloquemment une puissance souveraine, et j'estime avec Bossuet « que (1) Leibniz le remarquait avec à-propos. «Si la géométrie, écrivait-il, s'opposait autant à nes passions et à nos intérêts présents que la morale, nous ne la contesterions et ne la violerions guère moins, malgré toutes les démonstrations d'Euclide et d'Archimède, qu'on traiterait de rêveries, et croirait pleines de paralogismes; et Joseph Scaliger, Hobbes et autres, qui ont écrit contre Euclide et Archimède, ne se trouveraient point aussi peu accompagnés qu'ils sont. » Nouveaux Essais, liv. I, chap. 1, § 12. (2) « Eh quoi! ne dites-vous pas que le ciel et les oiseaux prouvent Dieu ? -- Non. Et votre religion ne le dit-elle pas? Non; car encore que cela est vrai en un sens pour quelques âmes à qui Dieu donne cette lumière, néanmoins cela est faux à l'égard de la plupart. J'admire avec quelle hardiesse ces personnes entreprennent de parler de Dieu, en adressant leurs ceux-là sont insensés qui, dans l'empire de Dieu, parmi ses ouvrages, parmi ses bienfaits, osent dire qu'il n'est pas, et ravir l'être à celui par qui subsiste toute la nature. » Broussais lui-même ne devait-il pas déclarer «que l'athéisme ne saurait entrer dans une tête bien faite et qui a sérieusement médité sur la nature. » Plus les sciences physiques avancent, et plus cette démonstration si ancienne de l'existence de Dieu gagne en évidence et en profondeur. Par la détermination des lois, les sciences attestent invinciblement un législateur, et à leur lumière s'évanouit le grossier fantôme du hasard. « Chose admirable! écrivait Rivarol, unique et véritable fortune de l'entendement humain les objections contre l'existence de Dieu sont épuisées, et ses preuves augmentent tous les discours aux impies. Leur premier chapitre est de prouver la Divinité par les ouvrages de la nature. Je ne m'étonnerais pas de leur entreprise s'ils adressaient leurs discours aux fidèles; car il est certain que ceux qui ont la foi vive dedans le cœur voient incontinent que tout ce qui est n'est autre chose que l'ouvrage du Dieu qu'ils adorent; mais pour ceux eu qui cette lumière est éteinte... leur donner pour toute preuve, à ce grand et important sujet, le cours de la lune et des planètes, et prétendre l'avoir achevée sans peine avec un tel discours, c'est leur donner sujet de croire que les preuves de notre religion sont bien faibles, etc. » Pensées. Cf. M. Cousin, Des Pensées de Pascal. Paris, 1847; in-8°, p. 250. jours; elles croissent et marchent sur trois ordres: dans l'intérieur des corps, toutes les substances et leurs affinités; dans les cieux, tous les globes et les lois de l'attraction; au milieu, la nature animée. de toutes ses pompes. » Mais quelles que soient ses harmonies et ses merveilles, le monde des corps ne suppose qu'une causalité finie, indéterminée, brute en quelque façon. C'est pourquoi, afin de connaître Dieu, il faut que l'homme apprenne à se connaître soimême. Or, s'il ne se connaît complétement luimême qu'après avoir, en premier lieu, étudié son âme et son corps séparément, puis les rapports de son âme et de son corps dans leur étroite et substantielle union; qui pourrait nier que ce ne soit surtout dans la connaissance de son âme que consiste la connaissance de lui-même? Encore une fois, son corps est à lui, il n'est pas lui; l'âme de l'homme est l'homme même. C'est dans ce fonds intime de lui-même que se manifeste à l'homme l'être de Dieu; c'est là que s'offrent à lui les éléments de légitime induction, par où il peut s'élever de la notion de Dieu à la conception de la nature de Dieu; c'est enfin de la double connaissance de lui-même et de Dieu que résulte la détermination de ses rapports avec Dieu. |