en présence, sans supposer entre eux d'autres rapports que ceux qui résultent de leur qualité même d'homme, se trouve vrai d'un nombre quelconque d'hommes, mais devient encore plus manifeste lorsqu'on arrive à considérer la famille. Sans doute, nous l'avons démontré, le droit de propriété est la conséquence immédiate du droit de vivre et de la liberté individuelle; mais ce droit se fonde aussi sur l'existence de la famille, dont il devient à son tour la garantie matérielle. C'est pourquoi la propriété n'a jamais été attaquée sans que la famille ne fût menacée du même coup. Comment, en effet, nier que la propriété soit transmissible et ne pas nier la famille? Comment surtout ne pas méditer la dissolution de la famille et rêver le communisme? Plusieurs l'ont osé. Faire des enfants une chose commune, des femmes une chose commune, plier l'espèce humaine, par la promiscuité, aux conditions du bétail, a paru à de sauvages novateurs un noble idéal. Ces prédications monstrueuses ont enflammé des passions grossières, et des talents pervers se sont rencontrés qui, raffinant toutes ces hontes, out décrié parmi nous la sainteté du mariage. Il ne faut pourtant pas étudier profondément la nature humaine, pour reconnaître que la famille est un milieu qui lui est indispensable. Qu'un petit nombre d'individus ; que ceux, notamment, dont l'Écriture dit « que leur conversation est dans les cieux, quorum conversatio in cœlis est,» parviennent sans dommage à se soustraire aux influences de la famille, je l'accorderai comme une exception. Encore doit-on remarquer que la famille. a été la nourricière de ces âmes d'élite, et que les plus fortes d'entre elles ne brisent le cercle étroit de la famille de leurs proches qu'afin de se dévouer à la grande famille du genre humain. Mais, pour l'homme qui vit conformément aux lois de sa nature, j'affirme que la famille est la seule situation qui lui convienne (1). « La famille, écrivait récemment M. Guizot, est maintenant plus que jamais le premier élément et le dernier rempart de la société. Pendant que, dans la société générale, toutes choses deviennent de plus en plus mobiles, personnelles, viagères, c'est dans la famille que demeurent indestructibles le besoin de la durée et l'instinct des sacrifices du présent à l'avenir. ... C'est au sein de la vie domestique et sous son influence que se maintient plus sûrement la moralité privée, base de la moralité publique. C'est là aussi, et aujourd'hui presque uniquement là, que se développent la partie affectueuse de notre nature, l'amitié, la reconnaissance, le dévouement, les liens qui unissent les cœurs dans le rapprochement des destinées. . . En même temps qu'elle est un principe de stabilité et de moralité, la famille est aussi un foyer d'affection et de dévouement Ceux-là, effectivement, ont bien mal observé l'homme, qui n'ont vu dans le mariage qu'une institution que le temps avait établie et que le temps pouvait changer. Quoi il en serait de l'homme et de la femme comme des animaux, qui, après s'être réunis un instant par instinct de reproduction, se séparent et se dispersent? Outre ce besoin des sens, il y a évidemment chez l'homme l'amour qui sanctifie ce besoin même. Le mariage est donc chez l'homme un acte d'obéissance aux lois de son corps et aux lois de son âme; j'ajoute un acte d'obéissance aux lois de sa raison, et la manifestation la plus solennelle de son libre arbitre. Car à l'aveugle invitation des sens, aux attraits délicats de l'amour se joint une décision d'où résulte pour deux âmes également libres cette indivisible, cette perpétuelle communauté de devoirs et de droits que les jurisconsultes romains ont si almirablement définie: une association de la vie entière, une participation commune du droit divin où ces nobles parties de notre nature trouvent des satisfactious qu'elles n'obtiennent point ailleurs, et d'où elles peuvent, à certains jours, dans certaines circonstances, se répandre au dehors, à l'honneur comme au profit de la société. » De la Démocratie en France, chap. vi; Conditions morales de la paix sociale en France. et humain. « Nuptiæ sunt conjunctio maris et foemina, consortium omnis vite, divini et humani juris communicatio.» (Modestinus, De Nupt. ritu f. r. 1.) Que le mariage consiste dans un simple rapprochement des corps, que deviennent chez l'homme l'amour et la moralité? Que le mariage soit entièrement subordonné aux sens et au sentiment, que deviennent chez l'homme la liberté et la raison?« J'aime avec tout moi-même, »> dit le Clitandre de Molière (1). De même le mariage engage l'homme tout entier, l'être physique et la personne. Par conséquent, c'est violenter la nature humaine, sous prétexte de l'affranchir, que d'altérer en quoi que ce soit l'essence même du mariage. Si, d'ailleurs, c'est une preuve irrécusable qu'un être est distrait de ses lois, que de constater son dépérissement, l'histoire ne témoigne-t-elle pas trèshaut de toute la sainteté du mariage, en nous montrant la décrépitude de races autrefois.florissantes, mais que la polygamie a corrompues? La polygamie ruine l'espèce, loin de la multiplier. Voilà pour le corps (2). Quant à l'âme, qui ne sait qu'au milieu (1) Les Femmes savantes; acte IV, scène II. (2) Cf. Montesquieu, Esprit des Lois, liv. XVI, chap. vi. « A regarder la polygamie en général, indépendamment des circonstances qui peuvent la faire un peu tolérer, elle n'est point LA NATURE HUMAINE. 24 même de l'abjection d'un harem elle se lasse promptement d'errer d'amour en amour, tellement il lui est naturel de s'attacher à une âme unique et de se fixer dans cet unique amour! Or il en est des formes déguisées de la polygamie comme de la polygamie elle-même. A ce titre, le divorce ne doit-il pas être réputé contraire à la nature humaine? La psychologie, qui légitime la famille dans son fondement, qui est le mariage, ne la légitime pas moins dans son complément, que représentent les enfants. Qui pourrait déraciner du cœur humain l'amour conjugal et de l'esprit humain la notion des devoirs réciproques auxquels sont tenus deux époux? Et aussi, qui pourrait nier toutes les affections tendres, tous les liens étroits qui unissent des parents et des enfants ou des enfants entre eux? On aura beau faire, il y a là plus que de simples rapports d'homme à homme. C'est une même chair, j'ai presque dit une même âme. L'amour maternel, l'amour paternel, l'amour filial, l'amour fraternel, ne peuvent se confondre avec aucun autre amour. utile au genre humain ni à aucun des deux sexes, soit à celui qui abuse, soit à celui dont on abuse. » L'exemple contemporain des Mormons n'est pas fait pour infi: mer les paroles, déjà très-adoucies, de Montesquieu. |