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courant sauveur? O vous, dont le ciel n'a pas laissé la maison vide d'enfants, avez-vous jamais pu contempler sans un pieux saisissement d'amour et de respect, d'espérance et de crainte, ces petits êtres souriant au fond de leurs berceaux ? N'avezvous pas tressailli de joie en songeant que, dans ces âmes qui s'ignorent, sont amassés des trésors de tendresse et d'intelligence, de talent et de dévouement? N'avez-vous pas frémi d'épouvante, à la pensée que tous ces germes précieux pouvaient avorter faute de culture, ou périr comme broyés par la dent des bêtes? Courage! faites la garde autour de ces jeunes âmes, veillez sur elles avec une sollicitude que rien ne lasse. Vous vous préparez à vous-mêmes des fils reconnaissants, à l'humanité des individus qui l'honorent, à la patrie des citoyens qui feront sa grandeur.

C'est vainement, en effet, qu'on a voulu opposer à l'amour de la famille l'amour de la patrie, ou encore à l'amour de la patrie l'amour de l'humanité. « J'aime ma famille plus que moi-même, disait Fénelon ; j'aime ma patrie plus que ma famille, j'aime l'humanité plus que ma patrie. » A la bonne heure! Mais qu'il serait faux de prétendre que l'amour de la famille étouffe l'amour de la patrie, ou l'amour de la patrie l'amour de l'humanité!

Et qu'on doit se défier des théoriciens qui, pour allumer en nous l'amour de l'humanité, s'appliquent à éteindre l'amour de la patrie, ou qui s'efforcent de déraciner l'amour de la famille, afin de faire fleurir l'amour de la patrie! Aberration singulière et mensonge de l'égoïsme! Pour étendre et progager le rayonnement de l'amour, ils commencent par en détruire le foyer. Pour obtenir une pratique sublime du devoir, ils en abolissent la pratique journalière. Enfin ils estiment qu'on ne saurait être un homme, à moins de cesser d'être un fils et de ne plus être un citoyen. L'histoire et la nature humaine condamnent également ces funestes paradoxes. L'amour de la patrie n'est qu'une extension de l'amour de la famille, et l'amour de l'humanité qu'une extension de l'amour de la patrie. D'autre part, il n'y a que les nations fortes qui prennent souci de l'humanité, et il n'y a de peuples vraiment puissants que ceux chez lesquels le régime de la famille est solidement organisé. De la famille, en définitive, dépend donc en tous sens le sort de l'humanité. La famille est un abrégé de l'humanité, dont elle en brasse toutes les évolutions. L'humanité n'est que la famille agrandie.

Par là se trouve résolue la question de l'origine des sociétés, question par elle-même si vaine, et

néanmoins si grave quand on la pose, à cause des conséquences mêmes qu'on a prétendu tirer du débat.

Ceux-là considèrent la société comme une institution surnaturelle, d'où ils concluent que le souverain pouvoir doit être déféré au sacerdoce.

Ceux-ci professent que la société résulte d'un contrat qui exprime la volonté de tous ou du plus grand nombre; par où ils se croient autorisés à faire un perpétuel appel aux révolutions.

D'autres enfin déclarent que l'état de nature est pour l'humanité l'état sauvage, ou même que l'homme est naturellement l'ennemi de l'homme, et qu'ainsi une société ne peut subsister qu'en acceptant le despotisme.

Toutes ces théories équivoques, intéressées, déclamatoires, tombent en présence de la réalité. La nature humaine leur oppose les plus éclatants démentis, et lorsque le malheur des temps en inflige aux sociétés l'application, les sociétés ne cessent de protester contre ce qui leur est un mal douloureux, jusqu'à ce que, rendues à leur destination véritable, elles recouvrent avec l'ordre la prospérité.

Encore une fois, l'humanité tout entière est dans la famille. Par conséquent dans la famille se trouve la société première, le principe de toutes les socié

tés. Manifestement, un tel fait ne vient pas de l'homme, et c'est uniquement à celui qui a créé l'homme qu'il est raisonnable de l'attribuer. La société peut donc être dite, à bon droit, une institution divine. Mais de ce qu'elle est divine, il ne s'ensuit pas qu'elle soit surnaturelle, et cette distinction si simple suffit à renverser par la base tout le système d'une immobile et stérile théocratie.

La théorie du contrat social ne tient pas davantage devant l'idée nette de ce qu'est la société.

« Je n'ai jamais ouï parler du droit public, écrivait Montesquieu, qu'on n'ait commencé par rechercher soigneusement quelle est l'origine des sociétés, ce qui me paraît ridicule. Si les hommes n'en formaient point, s'ils se quittaient ou se fuyaient les uns les autres, il faudrait en demander la raison et chercher pourquoi ils se tiennent séparés; mais ils naissent tous liés les uns autres. Un fils est né auprès de son père et il s'y tient; voilà la société et la cause de la société (1). ›

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Un écrivain contemporain, commentant avec une

(1) Lettres persanes, lettre XCV. — Cf. Esprit des Lois, liv. Ier, chap. 1. «Sitôt que les hommes sont en société, écrit Montesquieu, ils perdent le sentiment de leur faiblesse; l'égalité qui était entre eux cesse, et l'état de guerre commence. Chaque société particulière vient à sentir sa force : ce qui pro

sagacité judicieuse ces paroles de Montesquieu, ajoute :

<< Comme l'a pensé Montesquieu, ce travail de recherche touchant l'origine des sociétés est évidemment oiseux et inutile. Il est clair que la société existe par le consentement de ses membres. Ce consentement ou contrat est donc, en effet, le principe rationnel de son existence; mais ce contrat est tacite, il l'a toujours été, conséquemment il n'a pas de réalité. C'est ainsi qu'en géométrie on dit qu'un solide est engendré par le mouvement d'un plan. La définition est vraie, elle représente exactement l'idée du solide régulier; mais elle n'a aucun rapport avec les conditions matérielles de l'existence de ce solide. C'est un caractère distinctif, à

duit un état de guerre de nation à nation. Les particuliers dans chaque société commencent à sentir leur force; ils cherchent à tourner en leur faveur les principaux avantages de cette société ce qui fait entre eux un état de guerre. Ces deux sortes d'état de guerre font établir les lois parmi les hommes. » M. Villemain l'a très-bien remarqué (Éloge de Montesquieu) : << Interprète et admirateur de l'instinct social, Montesquieu n'a pas craint d'avouer que l'état de guerre commence pour l'homme avec l'état de société. Mais de cette vérité desolante, dont Hobbes avait abusé pour vanter le calme du despotisme, et Rousseau pour célébrer l'indépendance de la vie sauvage, le véritable philosophe fait naître la nécessité salutaire des lois, qui sont un armistice entre les États et un traité de paix perpétuel pour les citoyens. »>

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