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liberté; serait-il donc si déraisonnable de placer, avec Bossuet, le meilleur gouvernement humain dans la monarchie héréditaire?

<< Le peuple, observe ce grand évêque, le peuple, forcé par son besoin propre à se donner un maître, ne peut rien faire de mieux que d'intéresser à sa conservation celui qu'il établit sur sa tête. Lui mettre l'Etat entre les mains afin qu'il le conserve comme son bien propre, c'est un moyen très-pressant de l'intéresser. Mais c'est encore l'engager au bien public par des liens plus étroits que de donner l'empire à sa famille, afin qu'il aime l'État comme son propre héritage et autant qu'il aime ses enfants. C'est même un bien pour le peuple que le gouvernement devienne aisé, qu'il se perpétue par les mêmes lois qui perpétuent le genre humain, et qu'il aille pour ainsi dire avec la nature. Ainsi les peuples où la royauté est héréditaire en apparence se sont privés d'une faculté, qui est celle d'élire leurs princes; mais dans le fond c'est un bien de plus qu'ils se procurent : le peuple doit regarder comme un avantage de trouver son souverain tout fait, et de n'avoir pas, pour ainsi dire, à remonter un si grand ressort (1). »

(1) OEuvres complètes, t. XIV, p. 323; Cinquième Avertissement sur les lettres de M. Jurieu.

Néanmoins, instruit par l'expérience, dirigé surtout, j'ose le dire, par une connaissance de la nature humaine, plus pure, plus dégagée de tout préjugé théocratique, je me séparerais de l'évêque de Meaux en un point très-essentiel. Bossuet, parlant de l'onction sainte qui est sur les rois, » préconise la monarchie héréditaire absolue. A l'en croire, les rois sont institués de Dieu; ils ne sont responsables qu'envers Dieu; leur pouvoir n'a dans l'État d'autre contrôle ni d'autre limite que le contrôle et la limite même que rencontre le pouvoir du chef de famille dans sa famille. « Quand vous voyez quelquefois, écrivait La Bruyère, ébloui comme Bossuet par les prestiges de son temps; quand vous voyez quelquefois un nombreux troupeau qui, répandu sur une colline vers le déclin d'un beau jour, paît tranquillement le thym et le serpolet, ou qui broute dans une prairie une herbe menue et tendre qui a échappé à la faux du moissonneur, le berger soigneux et attentif est debout auprès de ses brebis; il ne les perd pas de vue, il les suit, il les conduit, i les change de pâturages; si elles se dispersent, i les rassemble; si un loup avide paraît, il lâche son chien, qui le met en fuite; il les nourrit, il les défend; l'aurore le trouve déjà en pleine campagne, d'où il ne se retire qu'avec le

soleil ; quels soins! quelle vigilance! quelle servitude! Quelle condition vous paraît la plus délicieuse et la plus libre, ou du berger ou des brebis? Le troupeau cst-il fait pour le berger, ou le berger pour le troupeau? Image naïve des peuples et du prince qui les gouverne, s'il est bon prince (1) ! »

Comparaison trompeuse, dirai-je à mon tour, ou plutôt image naïve de tout ce qu'il y a d'inhumain dans cette théorie de la monarchie héréditaire absolue! L'origine du pouvoir s'y perd dans la nuit des temps, ou si l'on songe à en assigner le principe, c'est de Dieu immédiatement qu'on le dérive. Le monarque y est seul propriétaire; il est le chef de la religion, l'arbitre souverain des consciences; tout ce qu'il affirme est véritable; tout ce qu'il fait est juste; tout ce qu'il commande doit être exécuté. A la lettre, on a d'un côté un berger, -de l'autre un troupeau.

Dans une société d'hommes, ma raison n'admet que des hommes. Les gouvernés n'y doivent pas être moins que des hommes, ni les gouvernants plus que des hommes. « Ce n'est pas le souverain, c'est la loi, Sire, disait véritablement Massillon à Louis XV enfant, c'est la loi qui doit régner sur

(1) Les Caractères; Du Souvera n ou de la République.

les peuples; vous n'en ètes que le ministre et le premier dépositaire. » A la théorie de la monarchie héréditaire absolue j'oppose donc, au nom de la nature humaine, la théorie de la monarchie héréditaire constitutionnelle. La monarchie héréditaire semble, tout rabattu, la meilleure sauvegarde des intérêts de la société, ce qui est la fin même des gouvernements. La monarchie constitutionnelle porte en elle-même la marque indélébile de son origine; elle est non point l'aliénation, mais la délégation du pouvoir de tous entre les mains d'un seul, en vue de la justice.

Ainsi, héréditaire et constitutionnelle, la monarchie ne serait-elle point, en définitive, le gouvernement préférable? J'en appelle à notre immortelle Déclaration des Droits. Oui, le gouvernement représentatif est le plus bel ouvrage de l'homme; divers, il est vrai, selon les temps, les lieux, les mœurs, l'état variable des sociétés, mais dans sa diversité toujours le même, parce qu'il n'est autre chose que cette belle théorie de Platon en action, la justice organisée, la raison vivante, la morale armée (1). »

Ne craignons pas d'insister. Tout gouvernement

(1) Argument des Lois de Platon, par M. Cousin.

n'est qu'une délégation consentie par ceux qui composent une société, et non point une aliénation.

Égaux par leur liberté, tous ces hommes ont un droit égal à ce que leur liberté soit respectée. La justice l'exige. Or, afin d'assurer ce respect de leur liberté et des droits qui en découlent, ils créent une force qui s'appelle gouvernement. Leur but est de conserver leurs droits. Iront-ils donc renoncer à tous leurs droits? Ils se proposent de garantir leur liberté Iront-ils donc se dépouiller de toute leur liberté? Ceux-là ont avancé une absurdité sacrilége, qui ont prétendu qu'un gouvernement ne se constitue qu'à la condition que les gouvernés lui défèrent tous leurs droits, lui remettent toute leur liberté ; de telle sorte que les gouvernés n'aient plus d'autre liberté que celle qu'il plaira au gouvernement de leur attribuer, plus d'autres droits que ceux qu'il voudra bien, à son gré et à son heure, leur départir.

Qui ne voit que, dans une société ainsi conçue, il n'y a plus qu'une personne : le souverain? Les gouvernés y sont réduits au rang des choses. Par bonheur, cette absurdité sacrilége se trouve être en même temps une impossibilité. A quelques bassesses que descendent les hommes, ils ne sauraient parvenir à s'abdiquer complétement eux-mêmes.

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