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doctrines dissemblables ou contraires. Comment expliquera-t-on cette contradiction ou cette diversité? De plus, qui ne sait que c'est se tromper étrangement que de prendre un simple rapport de succession pour un rapport de causalité? Un système s'est produit après un autre système. Dira-t-on que le premier a nécessairement engendré le second? Et ne faut-il pas chercher en dehors même de la considération de la durée la loi de filiation des théories?

C'est pourquoi de la méthode chronologique on est passé à l'emploi de la méthode ethnographique. On a remarqué que les peuples ont leur génie, et, par ce génie même, on a prétendu expliquer les doctrines qu'ils ont embrassées. La philosophie a été partagée en un certain nombre de zones, et l'analyse de la pensée humaine s'est calquée exactement sur la division naturelle des climats. L'idée dominante a souvent été alors celle d'un peuple philosophique primitif, et l'origine de toute philosophie s'est obtenue par voie de révélation.

Plus savante que la méthode chronologique, la méthode ethnographique n'est pourtant point encore la vraie méthode de l'histoire de la philcsophie. Car ne voit-on pas se produire chez une même nation les doctrines les plus disparates? N'y

a-t-il jamais eu chez un peuple une explosion de systèmes, que paraissait repousser son génie ? Comment enfin rendre compte de la transmission des théories de peuple à peuple, et du milieu d'évolutions innombrables dégager le drame total de la pensée humaine?

Frappés des inconvénients qui sont inséparables de la méthode chronologique et de la mé thode ethnographique, plusieurs ont eu recours à une méthode à priori. Échappant en quelque sorte aux conditions du temps et de l'espace, ils ont jugé tous les systèmes d'après un système préconçu. Leur imagination a substitué ses caprices aux sincères informations de la réalité, et il s'est trouvé qu'ils expliquaient moins ce qui était qu'ils n'affirmaient ce qui, suivant eux, aurait dû être. En d'autres termes, ces théoriciens ont visé à la critique et n'ont abouti qu'au roman.

C'est de la psychologie qu'il faut dériver la méthode applicable à l'histoire de la philosophie.

En effet, l'histoire de la philosophie n'étant autre chose que l'histoire même des développements de l'esprit humain, il est clair que l'on comprendra comment l'esprit se développe, lorsqu'on saura comment il procède. La diversité de ses tendances expliquera la diversité de ses conceptions;

elle en fixera le nombre; elle en déterminera la portée. L'identité de la philosophie et de son histoire étant d'ailleurs une fois établie, la méthode de la philosophie deviendra la méthode de son histoire. Et cette méthode est bien connue. Expérimentale et rationnelle tout ensemble, elle s'appelle la méthode psychologique.

Sans doute l'ordre chronologique sera observé; mais la psychologie introduira dans l'histoire des systèmes l'ordre logique. Sans doute on ne négligera point absolument l'ordre ethnographique; mais la psychologie nous montrera dans le génie des peuples beaucoup moins des pensées différentes que les modifications d'une même pensée. Sans doute encore on aura à étudier les doctrines en elles-mêmes et de près; mais la psychologie, en les éclairant de sa lumière, en manifestera la synthèse harmonieuse.

De la sorte peut s'établir une classification non point artificielle, mais naturelle des écoles. Il y a plus. L'étude de l'esprit humain nous apprenant dans quel ordre se succèdent ses tendances, cette observation permet de déterminer des époques. Enfin, par cela même que l'on constate dans l'esprit une multiplicité de tendances qui souvent devient contrariété, on arrive à reconnaître que toute

erreur est surtout un excès, et qu'ainsi au fond de toute erreur gît nécessairement une vérité. De là ce conciliant et vaste éclectisme, cette critique si humaine, qui se relève des certitudes de la raison et s'humilie de ses défaillances; qui, au lieu de triompher sur des ruines, s'efforce de dégager des systèmes leurs parties impérissables; qui, en un mót, se défie mais espère, doute où il faut, mais affirme où il faut; dont la maxime souveraine est tolérance, et non point exclusion.

Et qu'on n'objecte pas que c'est là introduire le fatalisme dans l'histoire de la. philosophie et remplacer par une indulgence qui est connivence les justes sévérités de la critique.

Effectivement, de ce que l'essence de l'âme humaine est la liberté, s'ensuit-il que l'âme n'ait pas ses lois? L'âme évidemment a ses lois. Ce sont ses tendances; ce sont les lois mêmes de l'esprit. Tant s'en faut qu'elle puisse agir indépendamment de ses tendances et en dehors de ses lois, qu'il serait absurde qu'elle n'agît pas toujours suivant ses tendances et conformément à ses lois. Sa liberté n'est point une liberté d'indifférence. Elle consiste, au contraire, à obéir ou à résister à telle ou telle de ses tendances, à faire ou à ne pas faire application de telle ou telle de ses lois. Et c'est à

quoi l'inclinent mille influences, entre autres les influences des temps et des lieux. Mais elle n'est jamais sans ses tendances et sans ses lois, ce qui, à la lettre, serait n'être pas. Noter ces tendances, indiquer ces lois, ce n'est point, par conséquent, assujettir au fatum les développements de la pensée humaine, mais professer simplement qu'ils ne se produisent point arbitrairement ni au hasard.

Ce n'est pas davantage confondre, en les ramenant à un syncrétisme insupportable, l'erreur et la vérité. Loin de là. Tous les systèmes rencontrent dans la psychologie leur criterium et leur mesure. Quelque ingénieuse ou brillante que soit une doctrine philosophique, si elle méconnaît la nature et les besoins. de l'âme, elle demeure par cela même discréditée. A plus forte raison, est-elle énergiquement condamnée par quiconque a foi dans les données de la psychologie, si elle nie l'âme, ses devoirs, ses droits ou ses espérances. C'est, en somme, une marque d'excellence pour une théorie que de s'accorder avec la réalité psychologique, et un signe d'infériorité que de s'en écarter. Une philosophie, digne de ce nom, est une philosophie vraiment humaine.

La psychologie, qui légitime par l'origine à laquelle elle la rapporte, l'histoire de la philosophie ;' qui assure sa méthode et rattache ses lois aux lois

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