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que je puis penser; j'ai conscience que je suis un être substantiel qui pense: au delà, je n'ai plus rien à savoir.

<«< Ainsi, il se trouve que nous connaissons beaucoup plus de choses de notre âme que de notre corps, puisqu'il se fait dans notre corps tant de mouvements que nous ignorons, et que nous n'avons aucun sentiment que notre esprit n'aperçoive (1). »

Concluons donc, avec Bossuet, « que le mouvement des nerfs ne peut pas être un sentiment, que l'agitation du sang ne peut pas être un désir, que le froid qui est dans le sang, quand les esprits dont il est plein se retirent vers le cœur, ne peut pas être la haine; et, en un mot, qu'on se trompe en confondant les dispositions et altérations corporelles avec les sensations, les imaginations et les passions. Ces choses sont unies, mais elles ne sont point les mêmes, puisque leurs natures sont si différentes (2). »

Cette doctrine est si simple, elle ressort d'une manière si immédiate et si lumineuse de la nature même des choses, qu'on éprouve quelque peine à y insister. Quoi! l'existence des corps ne se dé

(1) OEuvres complètes, t. XXII, p. 181; Connaissance de Dieu, etc., chap. 1.

(2) Ibid., ibid.

montre pas, elle se montre et il est nécessaire de démontrer la spiritualité de l'âme! L'être qui n'est qu'imparfaitement et ultérieurement connu ; qui, de soi, est sans connaissance, l'existence de cet être est incontestable et l'on contesterait l'existence de l'être qui tout d'abord se connaît, qui se connaît dans son fond, et à qui appartient toute connaissance!

Assurément, ce sont des préoccupations étranges que celles qui obligent à prouver que, tandis qu'il y a une science qui s'appelle la physique, parce qu'il y a des corps, il y a en même temps une science qui s'appelle la psychologie, parce qu'il y a un être tel que l'âme humaine.

La spiritualité, ou l'existence de l'àme, et partant la légitimité de la psychologie, se trouve, à mon avis, tellement évidente pour quiconque ne se livre point à son imagination et ne se laisse pas dominer par ses sens, qu'il importe beaucoup plus peut-être d'indiquer les pentes d'erreur par où on a été peu à peu conduit à méconnaître, puis à nier la spiritualité de l'àme, ou du moins la légitimité de la psychologie, que d'établir directement avec la spiritualité de l'âme la légitimité de la psychologie. En effet, phénomène qui mérite qu'on y réfléchisse! ceux-là mêmes qui en viennent à prétendre

que tout est corps, et ceux-là qui ne voient dans le corps que le plus bas degré de l'être, se sont accordés pour infirmer la psychologie. D'un côté, les sensualistes, les idéologues, les physiologistes, les phrénologues, les positivistes; de l'autre, les partisans de l'ontologie. Examinons rapidement comment s'enchaînent ou se succèdent leurs objections contre la psychologie ce sera tout à la fois apprécier ce qu'elles valent.

Le sensualisme est la première négation de la psychologie, celle d'où découlent toutes les autres, et qui fatalement se termine au matérialisme absolu. Quand on n'admet plus dans l'âme que la sensation, qu'est-ce en effet que l'âme? Quelque absurde que paraisse, si on y pense, un semblable énoncé, l'âme n'est plus, dès lors, qu'une collection de sensations. Cette collection d'ailleurs est, de soi, changeante comme les sensations dont elle se compose. Il n'y a donc plus de moi qui puisse se dire un et identique, un tel renouvellement excluant l'identité, et la collection n'étant qu'une fausse image de l'unité, laquelle par essence est indivisible. De plus, si les sensations se développent et se transforment, les sensualistes professent, tantôt que c'est en vertu de l'énergie propre de la sensation; tantôt en vertu d'un pouvoir interne et supérieur

qu'ils nomment la réflexion. Mais, dans l'un et dans l'autre cas, quelque inexplicable que doive paraître une pareille circonspection ou négation, ils n'osent affirmer, ou même ils nient un sujet d'inhérence qui soit l'âme.

Circonspection qui est imprudence! Négation qui dépasse son but! Pressez les sensualistes; représentez-leur que cette timidité à franchir l'étroite limite des sens, ou cette audace à déclarer la limite infranchissable, est une profession de foi détournée de matérialisme; ils se récrieront. N'ont-ils pas en effet signalé, indépendamment du corps, des organes du corps et des fonctions de ces organes, des phénomènes sui generis? Sans doute ils ne s'aventurent point en de stériles spéculations sur la nature du sujet sentant et pensant; car ils estiment que ce sujet nous reste inaccessible, et ils ont horreur des hypothèses. Mais il y a une étude solide autant que féconde, qu'ils conseillent et qu'ils pratiquent c'est l'étude des phénomènes, qui d'abord sont des sensations et bientôt des idées. Les sensualistes ont cru se sauver du matérialisme par l'idéologie. Or, c'est précisément par l'idéologic qu'ils s'y précipitent.

Effectivement, non-seulement le sensualisme, à cause de l'impossibilité où il se trouve de rendre

LA NATURE HUMAINE.

compte des attributs essentiels de l'àme, compromet la notion de l'âme. Bien plus, son affectation d'ignorance invincible touchant la nature du principe substantiel qui s'affirme dans le moi équivaut presque à la négation de ce principe. Pour le sensualisme, il n'y a pas, à parler exactement, d'autre science que la physique.

La physique ou philosophie naturelle, écrit le père du sensualisme moderne, est la connaissance des choses, comme elles sont dans leur propre existence, dans leurs constitutions, propriétés ou opérations; par où je n'entends pas seulement la matière et le corps, mais aussi les esprits qui ont leurs natures, leurs constitutions, leurs opérations particulières, aussi bien que les corps (4). »

Vainement, en même temps que la matière et le corps, on fait rentrer dans la physique la connaissance des esprits. Qu'est-ce, en particulier, que l'esprit humain? Encore une fois, le sensualisme déclare n'en rien savoir. Tout ce qu'il sait ne porte que sur des phénomènes. Que reste-t-il par conséquent dans l'homme? Avec les organes qui constituent le corps, des phénomènes qui sont tour à

(1) Lock, Essai philosophique concernant l'entendement humain, liv. IV, chap. xx1,§ 2.

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