tour des sensations et des idées. « Lorsqu'un objet agit sur les nerfs, il y produit une impression qui se communique au cerveau. Arrivée au cerveau, l'impression y devient sensation si l'objet est présent; souvenir s'il est absent; perception de rapports si les images de plusieurs objets semblables ou dissemblables se présentent simultanément; raisonnement s'il y a plusieurs rapports; volonté si l'objet excite des désirs dans le cerveau. Ainsi percevoir, se souvenir, juger, vouloir, ne sont autre chose que sentir des objets, sentir des souvenirs, sentir des rapports, sentir des désirs, et la seule sensation explique à la fois toutes les fonctions et facultés de l'entendement, toutes les déterminations et opérations de la volonté (1). » Explique qui pourra ce phénoménisme prodigieux. Ce n'est pas même une substance qui se transforme de la sorte; c'est un phénomène qui revêt successivement comme toute espèce de couleur; c'est une apparence qui change incessamment d'aspect aux yeux d'un spectateur lui-même invisible ou absent. Cependant, d'une part, comment concevoir des phénomènes sans les rapporter immédiatement à une substance? D'autre part, ces phénomènes qu'engendre tous la sensa (1) Cf. Condillac, Traité des Sensation 3. tion, et qu'ensuite on étudie sous le nom d'idées, sont contemporains d'autres phénomènes, ou, mieux encore, étroitement liés à d'autres phénomènes, dont la substance, qui est le corps, ne saurait être mise en doute sous peine de folie. C'est pourquoi les phénomènes psychologiques finissent par être confondus avec les phénomènes physiologiques, et les uns aussi bien que les autres, par être considérés, à peu près au même titre, comme autant de dépendances de l'organisation. L'idéologie achève presque ce que le sensualisme avait commencé. De prémisses témérairement posées, il ne s'en faut guère qu'elle ne tire tout ce que contiennent ces prémisses. Elle confesse modestement n'être « qu'une partie de la zoologie », et la science de l'esprit humain est prise par elle, à la lettre, pour une branche de l'histoire naturelle (1). L'idéologie, en somme, n'est qu'un sensualisme plus conséquent, quoique une sorte de pudeur empêche l'idéologie même d'aller jusqu'au bout de ses principes. C'est dans l'école physiologique que se rencontre enfin, sans restriction et sans ambage, l'affirmation pure et simple de l'unité de l'ètre, qui est l'homme. Les sensualistes, par préjugé religieux et par in (4) M. de Tracy, Éléments d'Idéologie; Préface. fluence de sens commun, distinguaient dans l'homme, comme en dépit d'eux-mêmes, une nature morale et une nature physique. Les idéologues, abusés par une superficielle observation, ne voyaient en lui que des phénomènes, tous dépendant de l'organisation. Mais, en maintenant une catégorie très-distincte de phénomènes appelés idées, ils laissaient encore une issue ouverte de la physiologie vers la psychologie. Les physiologistes ont définitivement enclos dans le corps l'homme tout entier. Toutefois, ce n'est pas du premier coup que les physiologistes sont arrivés à cette simplicité avilissante. Avant de descendre aussi bas, ils ont parcouru différents degrés; tant il est vrai que, s'il est difficile de connaître la réalité, il est difficile aussi de la méconnaître! Leur logique, toute brute pour ainsi dire, n'a pas manqué néanmoins de contradictions, non plus que leur langage d'inextricables obscurités. Il convient d'ailleurs. de rappeler, à leur décharge, que leurs excès ont été en grande partie une réaction contre d'autres excès. Effectivement, on l'a remarqué avec justesse: « C'est Stahl qui, en faisant de l'âme le principe de tous les mouvements vitaux, a renversé la bar rière qui séparait la médecine de la philosophie (1).» Sans doute il pouvait résulter de là une heureuse union entre les deux sciences; mais plus sûrement encore peut-être, il en devait résulter une confusion. Supposer qu'une même force, appliquée à des instruments différents, peut déterminer la digestion dans l'estomac comme la pensée dans le cerveau, c'était donner libre carrière au matérialisme. Charles Bonnet, en renouvelant les idées de Stahl touchant l'empire de l'âme sur le corps, prouva bientôt que ce n'est point impunément qu'on mêle la psychologie et la physiologie. Après avoir distingué l'âme et le corps dans les mots, il ne cessa de les identifier dans les choses. « J'ai mis dans mon livre beaucoup de physique et assez peu de métaphysique, écrit-il en tête de l'Essai analytique sur les facultés de l'âme; mais, en vérité, que pouvais-je dire de l'âme considérée en elle-même? Nous la connaissons si peu! L'homme (1) M. Roussel, cité par M. de Biran, OEuvres philosophiques, 1. IV, p. 45; Rapports du physique et du moral de l'homme. Cf. M. Lélut, Physiologie de la Pensée, t. Ier, p. 73 et suiv., chap. 1. Physiologie du sentiment du Moi ou de la personne, ou Détermination des rapports de la vie à la pensée. — Et t. II, p. 75, Mẻ-moire sur les phénomènes et les principes de la vie. est un être mixte; il n'a d'idées que par l'intervention des sens, et les notions les plus abstraites dérivent encore des sens. C'est sur son corps et par son corps que l'âme agit. Il faut done toujours en revenir au physique, comme à la première origine de ce que l'âme éprouve; nous ne savons pas plus ce que c'est qu'une idée dans l'âme, que nous ne savons ce qu'est l'âme elle-même; mais nous savons que nos idées sont attachées à certaines fibres; nous pouvons donc raisonner sur ces fibres, parce que nous les voyons; nous pouvons étudier un peu leurs mouvements, les résultats de leurs mouvements et les rapports qu'elles ont entre elles. » Je le demande, lorsqu'on accorde au physique cette importance et cette priorité, le moral ne court-il pas grand risque d'être oublié ou même de disparaître? C'est ce qu'on vit se réaliser pleinement dans le livre des Rapports du physique et du moral de l'homme. « Les sciences morales, écrivait Cabanis dans sa préface, doivent entrer dans le domaine de la physique, pour n'être plus qu'une branche de l'histoire naturelle de l'homme. Cependant, de quoi traite l'auteur dans son ouvrage? De l'influence des âges, des sexes, des tempéraments, des maladies, des régimes, des climats sur les idées et » |