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est la résultante unique des stimulations envoyées du cerveau aux viscères et des viscères au cerveau. « Le cerveau, d'ailleurs, étant différent des entrailles, la pensée, qui appartient à l'un, peut observer les passions qui résident dans l'autre (1).» Qui démêlera cet embrouillement? Et comment signaler tous les paralogismes, toutes les erreurs de cette absorbante et rebutante physiologie dont la base même se trouve ruineuse? Car elle se ramène tout entière au jeu d'une fibre contractile, laquelle n'existe dans aucune portion du système nerveux. On peut affirmer que l'ignorance philosophique de Broussais n'est égalée que par sa violence. Il est le polémiste de l'école physiologique et ne cesse de déverser le dédain, presque l'injure, sur ceux qui ont foi en la psychologie. Suivant lui, le spiritualisme est un roman, dont le héros est un homme déguisé. Prétendre observer l'âme, c'est en quelque sorte se mettre à la fenêtre pour se voir passer. C'est supposer dans le cerveau un être qui regarde un autre être; c'est faire de cet être une espèce de musicien placé devant un jeu d'orgues. Broussais déclare enfin « avoir souvent cherché la con

(1) M. Auguste Comte, Cours de philosophie positive, t. Ier, Leçon Are; cité par M. Ch. de Rémusat, Essais de philosophie, t. II, p. 10; Essai VII, De la Physiologie intellectuelle.

science, mais n'en avoir jamais vu les oreilles (1). » C'est dans ce beau langage que la physiologie a fini par répudier la psychologie. Le cercle de ses aberrations n'était pourtant pas encore fermé. Elle devait aboutir, se discréditant ellemême par ses conséquences, à l'organologie, à la phrénologie, à la cranioscopie.

La philosophie sensualiste. expliquait l'homme exclusivement par l'action du monde extérieur. C'était déjà attribuer à l'organisation un rôle immense. Car, si toutes nos idées viennent de la sensation, comme il n'y a pas de sensation sans impression, et que toute impression a lieu dans les organes, l'homme tout entier gît dans les organes, et le moral n'est effectivement que le physique considéré sous un aspect particulier. Cabanis avait mis en lumière, en se l'appropriant, ce résultat incontestable. De plus, à cette source première des phénomènes humains, qui est l'action du

(1) Cf. De l'Irritation et de la Folie. Paris, 1839, 2o édit. 2 vol. in-8°; t. II, p. 481. « Les mots raison, moi, conscience, n'expriment que les résultats de l'action de la matière nerveuse de l'encéphale. >> Voir aussi, ibid., tout le chap. vi, où Broussais combat ceux qu'il appelle les psychologistes. Les doctrines de Broussais ont encore, à cette heure, des partisans. Cf. Vogt, Tableau de la vie animale; Moleschott, Le Cercle de la vie; Büchner, Force et Matière.

monde extérieur, il en ajoutait une autre tirée des émotions des centres nerveux en général, et du cerveau en particulier.

Gall survint qui, au lieu de disséminer dans ces différents centres nerveux, et en particulier la poitrine et le ventre, toutes ces émotions, les réunit dans le cerveau. Avant lui, Willis avait assigné dans le cerveau un siége spécial à chaque faculté hypothétiquement distincte. Après lui, Spurzheim et le docteur Vimont tracèrent imperturbablement sur le crâne la carte géographique de nos penchants et de nos facultés. A l'organologie et à la phrénologie succédèrent les déplorables visions de la crânioscopie.

La phrénologie a été maintes fois réduite, et avec autorité, à sa juste valeur (1). Mais nul ne l'a mienx réfutée peut-être en tout sens, et en déployant plus de verve, de rigueur et de compétence, que ne l'a fait M. Lélut. Dans un premier ouvrage, l'éminent physiologiste, sondant les fondements de la doctrine, montre jusqu'à l'évidence combien ils sont mal assurés (2). Car, après avoir emprunté

(1) Voir notamment M. Flourens, Examen de la phrénologie; Recherches expérimentales sur les propriétés et les fonctions du système nerveux.

(2) Qu'est-ce que la Phrenologie? ou Essai sur la signification

au sensualisme cette donnée, que toutes nos idées viennent de la sensation, la phrénologie professe en outre essentiellement que la sensation est inhérente à l'organisation. «Or la sensation prise en elle seule, dans tout ce qu'elle a de plus grossier, de plus extérieur, en un mot de plus distinct de la perception, est, de l'aveu de Descartes, un fait tout ainsi intellectuel que l'est le fait de conscience lui-même, différent de ce dernier sans doute et de tous les autres faits de la pensée, mais en même temps aussi différent qu'eux d'un fait purement organique (1). »

et la valeur des systèmes de psychologie en général et de celui de Gall en particulier. Paris, 1836, in-8°.

(1) Rejet de l'Organologie de Gall et de ses successeurs. Paris, 1843, in-8, p. 370. Broussais lui-même ne pouvait, dans un de ses bons moments, s'empêcher de réduire le rôle de la sensation à sa juste valeur. « Pour montrer que la sensation peut tout expliquer, disait-il, il a suffi à Condillac et à ses disciples de lui faire subir des transfigurations; mais ce moyen arbitraire n'est pas admissible aux yeux de l'observateur de la nature... Le sentir n'explique pas tout; il n'explique pas plus l'intellect que les instincts, les besoins et les sentiments moraux. Disons mieux, il n'explique rien; et la preuve, c'est qu'on trouve ce phénomène chez tous les êtres qui sont du domaine de la zoologie; et cependant il ne se rencontre pas toujours avec les besoins et les sentiments; il est isolé chez certains animaux, et longtemps il ne produit rien de sentimental et d'intellectuel chez l'enfant. Puisqu'il en est ainsi, les instincts, les besoins, les sentiments ne peuvent être des conséquences

M. Lélut, prenant ensuite la phrénologie telle qu'elle s'affirme, prouve, dans un second ouvrage, qu'elle ne justifie aucune de ses prétentions (1). Mille traits piquants, mille démentis infligés par l'observation à cette doctrine, que recommande seule sa brutale simplicité, la précipitent où elle tend, dans les bas-fonds du charlatanisme et de l'extravagance,

La physiologie avait discrédité le matérialisme. Il semble, de nos jours, s'être relevé par les mathématiques, vérifiant de la sorte cette parole profonde de Leibniz :

« Je ne crois pas qu'on ait sujet d'affirmer que les principes mathématiques de la philosophic sont opposés à ceux des matérialistes. Au contraire, ils sont les mêmes. Ainsi, ce ne sont pas les principes mathématiques selon le sens ordinaire de ce terme, mais les principes métaphysiques

du sentir... La sensation ne peut tenir lieu d'aucune des autres facultés. Par conséquent, c'est un système erroné que celui qui fait naître toutes les facultés de la sensation par voie de transformation. La sensation est la sensation, rien de plus. » Cours de Phrénologie, troisième Leçon, p. 69; et quatrième Lecon, p. 89.

(1) La Phrenologie, son histoire, ses systèmes et sa condamnation. 1858, in-8o, 2o édit. de l'ouvrage intitulé : Rejet de l'Orgunologie, etc.

LA NATURE HUMAINE.

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