qu'il faut opposer à ceux des matérialistes (1) L'école positiviste ou mathématique est, en effet, présentement comme la plus sérieuse expression du matérialisme parmi nous. Par un contraste bizarre, passionnée pour les abstractions et amoureuse de l'expérience, engouée de géométrie et plaçant, à son tour, toute certitude dans la sensation, cette école tient que l'esprit humain ne doit se proposer que la connaissance des faits visibles et palpables en même temps que la découverte de leurs lois. Sa théorie fondamentale consiste à représenter l'homme comme théologien dans son enfance, métaphysicien dans sa jeunesse, physicien dans sa virilité. Et l'humanité marche à la manière de l'homme individuel. Aux religions ont succédé les métaphysiques; aux métaphysiques doit succéder enfin le régime positiviste. La proscription absolue de toute philosophie proprement dite, notamment de cette psychologie illusoire, dernière transformation de la théologie (2), (1) Leibniz, OEuvres philosophiques, édit. Erdmann, p. 748; Réplique au premier Écrit de M. Clarke. (2) Cf. M. Ch. de Rémusat, Bacon, sa vie, son temps, sa philosophie, etc. 1858, in 8', p. 448.-M. Comte, Cours de philosophie positive, t. Ier, p. 34.-M. Littré, De la Philosophie positive, 1845. --Le même, Auguste Comte et la philosophie positive, 1863, in-8°. - Docteur Robinet, Notice sur l'œuvre et la vie d'Auguste Comte, 1860, in-8°. est le caractère de cette doctrine scientifique. Elle pose, avant tout, qu'il n'y a pas à distinguer des faits qui tombent sous les sens et des faits qui tombent sous la conscience. Il n'y a pour elle de réalité que ce qui se touche, se calcule et se mesure. Elle n'est donc rien de plus qu'un matérialisme à peine déguisé sous l'apparente sévérité de formules solennelles. Mais c'est un matérialisme ambitieux; car le positivisme, qui prétend comprendre en soi la science de la vie, affecte jusqu'au gouvernement des sociétés. La sociologie et la biologie deviennent les corollaires éclatants de ses principes. En vérité, à parcourir ce long enchaînement d'erreurs touchant la nature humaine, on croit rêver. On admire comment l'esprit, par infatuation de système, s'éloigne de ce qu'il cherche ; quelles savantes évolutions il imagine pour aboutir à l'absurde; avec quelle opiniâtreté il s'enfonce dans les ténèbres afin d'y trouver le jour; comment enfin il ferme obstinément les yeux à la lumière, qui l'enveloppe et l'inonde de toutes parts. Quæsivit cœlo lucem, ingemuitque reperta. Aussi bien, quoi qu'il fasse, cette lumière le pénètre de ses rayons. Comment, en effet, l'esprit cesserait-il de reconnaître qu'il est esprit, et partant qu'il est distinct du corps? Il n'y aurait pas plus d'inconséquence pour un homme à nier son existence personnelle. Ainsi j'accorde un instant aux · matérialistes, aux positivistes, que la science n'ait, comme ils le veulent, d'autre objet que la physique. L'objet connu est tout matière. Soit. Mais le sujet qui connaît est-il lui-même tout matière? Manifestement, ces termes impliquent; car qui voudrait dire que la matière connaît la matière, que la matière se connaît elle-même? Il y a donc un sujet qui connaît la matière et qui n'est pas la matière. Or, si un tel sujet connaît précisément ce qui n'est pas lui, n'est-il point prodigieux qu'il ne connaisse pas autant et davantage ce qui est lui? Les adversaires de la psychologie objecteront-ils que toute science suppose la dualité du sujet qui connaît et de l'objet qui est connu, et qu'à ce compte il est impossible qu'il y ait une science du sujet par le sujet luimême? Cette objection, si elle porte, retombe de tout son poids sur ceux qui la mettent en avant. Car, dans une théorie qui réduit toutes choses à la matière, où trouver, je vous prie, cette nécessaire dualité du sujet qui connaît et de l'objet qui est connu? Et s'il paraît impossible que l'esprit connaisse l'esprit, n'est-il pas encore plus étrange que la matière connaisse la matière, que la matière se connaisse elle-même? On l'a démontré mille fois, le fait de la pensée et la matière ne sont pas du même ordre. Qu'on torde la matière, qu'on l'affine, qu'on la subtilise, on n'en tirera pas une pensée. Partout où luit une pensée se manifeste un esprit. C'est ce que les physiologistes les plus prévenus ont fini, malgré eux, par avouer. En présence de la marche universelle des choses, Cabanis, dans sa lettre à Fauriel, proclame <«< une intelligence qui veille et une volonté qui agit. » >> Broussais consigne dans son testament cette confession inattendue : qu'il sent, comme beaucoup d'autres, qu'une intelligence a tout coordonné. » La pensée qui éclate dans le monde révèle donc, quoi qu'ils en aient, à ces apôtres de la matière, un être pensant. Que ne regardaient-ils en eux-mêmes! Et là, plus encore que dans l'univers physique, leur aurait apparu la pensée qui est l'àme, vivante image de la pensée qui est Dieu! Comme tous les excès se rencontrent, et par une loi fatale se terminent aux mêmes erreurs, la psychologie, qu'il faut légitimer contre le sensualisme, doit être aussi vengée des attaques de l'ontologie. Chose singulière! l'opposition du sensualisme et de l'ontologie va jusqu'à une réciproque exclusion, et l'une de ces deux doctrines reste nécessairement la négation de l'autre. Pour le sensualisme, l'ontologie est une science chimérique, et pour l'ontologie le sensualisme est la perversion de la science, Et cependant cet antagonisme cesse en face de la psychologie; car le sensualisme et l'ontologie se réunissent pour la repousser. Ce n'est pas assez dire; leurs objections sont presque identiques, et il advient qu'en cet endroit le langage de Gall et de Broussais se trouve être à peu près celui de l'abbé de Lamennais et de l'abbé Gioberti, de M. Pierre Leroux (1) ct de M. Buchez (2). «La psychologie, à entendre les sensualistes, est une science illusoire. Elle prétend au titre de science d'observation; mais qu'observe-t-elle? estce l'homme, l'espèce humaine? Non; c'est le moi. Et qu'est-ce que le moi? Un être isolé, sans lien avec la nature, qui se replie sur lui-même et se contemple solitairement. Ce moi sans organes est une pure abstraction. Il s'observe, dites-vous; mais qu'a-t-il à observer? Il ne fait rien, il ne produit rien. S'il agissait, il pourrait s'observer. Séparé du (1) Encyclopédie nouvelle. (2) Essai d'un traité complet de philosophie au point de vue du catholicisme et du progrès. Paris, 1839, 3 v. in-8o. |