légitimes de l'esprit, et n'a garde de nier leur valeur ou leur utilité. Mais elle proclame que la science de l'homme est la science humaine par excellence. <«<Les hommes, remarquait Malebranche, ne sont pas nés pour devenir astronomes ou chimistes, pour passer toute leur vie pendus à une lunette ou attachés à un fourneau... Je veux qu'un astronome ait découvert le premier des terres, des mers et des montagnes dans la lune; qu'il se soit aperçu le premier des taches qui tournent sur le soleil, et qu'il en ait exactement calculé les mouvements. Je veux qu'un chimiste ait enfin trouvé le secret de fixer le mercure; en sont-ils devenus pour cela plus sages et plus heureux (1)? » « Les hommes, écrivaient de leur côté MM. de Port-Royal, ne sont pas nés pour employer leur temps à mesurer des lignes, à examiner les rapports des angles, à considérer les divers mouvements de la matière; leur esprit est trop grand, leur vie trop courte, leur temps trop précieux pour s'occuper à de si petits objets; mais ils sont obligés d'être justes, équitables, judicieux dans tous leurs discours, dans toutes leurs actions et dans toutes les affaires qu'ils manient; et c'est à quoi ils doi (1) Recherche de la Vérité, Préface. vent particulièrement s'exercer et se former (1). » La philosophie est cette maîtresse d'exercice. des indices Enfin la philosophie ne dédaigne ni les ouvrages de l'art, ni les chants des poëtes, ni même, pour frivoles qu'elles soient, les conceptions des romanciers. Elle cherche, dans ces œuvres essentiellement humaines, des éléments de la connaissance de l'homme. Surtout elle s'aide des observations des moralistes et des méditations des ascètes. Mais ce ne sont là pour elle que plus ou moins précis. Des faits elle s'efforce de remonter aux causes, des phénomènes aux lois, des facultés à la substance. C'est dans ce qu'il est, et non pas simplement dans ce qu'il opère, qu'elle prétend connaître l'homme. Il ne lui suffit pas même d'explorer notre présent; elle s'enquiert de notre origine et se demande quelle est notre fin. En un mot, elle ne se propose rien moins que la connaissance de la nature humaine. Connaître l'homme, c'est le connaître dans son âme et dans son corps. C'est seulement lorsque cette connaissance est accomplie que la philosophie peut vraiment lui assigner dans l'univers la place qui lui appartient. Car, pour emprunter le magni (1) Logique, Premier Discours. fique langage de Bossuet, c'est alors que l'homme apparaît vraiment comme « le temple où toutes les créatures semblent ramassées, où toute la nature s'assemble, afin que tout l'univers loue Dieu en lui comme dans son temple (1). Mais si l'homme est à la fois âme et corps, ce qui constitue la personne humaine, n'est-ce pas l'âme essentiellement? Notre corps est à nous, il n'est pas nous. Connaître l'homme, c'est donc avant tout connaître l'âme humaine. Et cette connaissance elle-même a ses degrés. Effectivement, on peut étudier l'âme en ellemême, telle qu'elle est. D'un autre côté, on peut déterminer les objets auxquels elle s'applique et les rapports qu'elle soutient. On peut rechercher enfin d'où elle vient et où elle tend. Ce sont là autant de parties intégrantes, mais distinctes, de la connaissance de l'âme. Tous les problèmes qu'elles comprennent sont étroitement liés entre eux; mais tous évidemment dépendent d'un problème préliminaire. Car comment déter (1) OEuvres complètes, †. IX, p. 57, 3o Sermon pour le jour de Pâques. miner les objets auxquels l'àme s'applique, les rapports qu'elle soutient, le principe d'où elle vient et le but définitif où elle tend, si d'abord on ne l'a étudiée telle qu'elle est? Cette étude de l'âme en elle-même constitue proprement la psychologie. C'est pourquoi la philosophie, qui embrasse toutes les questions relatives à l'âme, aux développements et aux conditions de son existence, à son origine et à sa destinée, se fonde sur la psychologie. On doit même aller jusqu'à dire que c'est de la psychologie qu'elle tire tout ce qu'elle affirme. Quel est en effet le premier objet, le seul objet de la connaissance immédiate de l'homme? L'homme lui-même, et dans l'homme l'âme, et non pas le corps. Ce n'est pas tout. Si l'âme de l'homme est l'unique objet de la connaissance immédiate de l'homme, c'est aussi uniquement de cette connaissance primitive que l'homme dérive toute connaissance ultérieure. Hégel a noté justement qu'en ce sens Protagoras avait eu raison de répéter que l'homme est la mesure de toutes choses. Il résulte de là clairement qu'une psychologie bien faite est la base solide d'une bonne philosophie; et qu'au contraire on bâtit sur le sable, si on part d'observations incomplètes, d'imaginations gratuites ou de paradoxes. On l'a dit exactement : «Il en est des erreurs en philosophie comme des fautes dans la vie : leur punition est dans leurs conséquences inévitables. Tout ordre de faits réels retranché ou négligé laisse dans la conscience un vide qui ne peut être rempli que par des hypothèses. Toute omission condamne à quelque invention (1). » C'est ce qu'atteste l'histoire entière de la philosophie. On se convainc, à considérer d'une manière attentive le long enchaînement des doctrines qui se sont succédé, qu'effectivement « les systèmes valent ce que vaut la psychologie sur laquelle ils reposent, et que des progrès de la psychologie dépendent les progrès des sciences morales et politiques (2). » Par conséquent, signaler les erreurs psychologiques les plus fréquentes, c'est découvrir en philosophie la racine de toute erreur. Par conséquent encore, établir les vérités principales de la psychologie, c'est assurer les prémisses de toute vérité philosophique. Telle est la démonstration motivée qu'a demandée l'Académie des sciences morales et politiques, en mettant au concours la question suivante : (1) OEuvres philosophiques de Maine de Biran, publiées par M. Cousin; 3 vol. in-8°. Paris, 1841; t. 1, p. 98, Introduction. (2) M. Damiron, Cours de philosophie; Psychologie, Préface. |