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conscience. Enfin, « au-dessus des sens et de la conscience, n'y a-t-il pas en nous un entendement, une raison, une intelligence qui, à l'occasion des impressions sensibles, des besoins et des affections qu'elles excitent, entrent en exercice et nous découvrent ce que les sens ne peuvent atteindre, tantôt des vérités d'un ordre vulgaire, tantôt des vérités de l'ordre le plus élevé, les vérités les plus générales, les premiers principes ?... Tout ce que nous savons sur quoi que ce soit, nous ne le savons que parce que nous pensons. Tout aboutit à notre pensée dans son caractère personnel et impersonnel tout ensemble, et c'est là qu'est le ferme fondement de nos conceptions les plus sublimes comme des notions les plus humbles. Établir en nous ce développement intérieur de l'intelligence et constater ses lois, sans y mettre du nôtre le moins possible, c'est puiser la vérité à sa source la plus immédiate et la plus sûre (1).

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La psychologie est donc une science tout intuitive qui, au lieu de favoriser le scepticisme, au lieu de créer le subjectivisme, les ruine l'un et l'autre par la base. Contre le « Je pense, donc je suis, »> le scepticisme vient ridiculement échouer. Or l'évi

(1) M. Cousin, De la Métaphysique d'Aristote, p. 85.

LA NATURE HUMAINE.

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dence ne brille dans la conscience que pour s'étendre de là aux sens et à la raison; car l'évidence ne se partage pas. C'est pourquoi les données de la raison, réfléchies dans la conscience, sont certaines au même titre que celles de la conscience et des sens. D'ailleurs, la conscience qui réfléchit la raison ne se confond pas avec la raison. Au contraire, elle n'est la conscience qu'autant qu'elle se distingue de la raison. Aussi a-t-on très-judicieusement remarqué que « rien ne prouve mieux l'ignorance des ennemis de la philosophie que d'avoir choisi, pour attaquer les écoles psychologiques, l'accusation de panthéisme (1). » Qu'est-ce en effet que la conscience, sinon l'affirmation du moi par le moi luimême, c'est-à-dire la réfutation péremptoire de tout panthéisme, où le moi n'est plus qu'un non-sens. Poser le moi, c'est du même coup poser le non-moi. Le moi ne se reconnaît par la conscience qu'en se distinguant de la raison qui se réfléchit dans la conscience, et il est aussi impossible de faire sortir le moi de la raison que de faire de la raison un prolongement du moi.

Les ontologistes ne s'aperçoivent pas que les

(1) M. Ch. de Rémusat, Passé et Présent. 1847, 2 vol. in-12; 1. II, Cabanis.

objections qu'ils élèvent contre la psychologie, sous prétexte que la psychologie ne se fonde pas sur l'ontologie, se retournent contre l'ontologie même, qui ne cherche point dans la psychologie son indispensable point de départ.

Effectivement, qu'est-ce que la connaissance ontologique ? Une intuition contemplative. « Le sens ontologique est la faculté spéciale et supérieure de contempler (1). » Et quel sera l'objet de cette contemplation? Manifestement, ce ne peut être l'âme humaine; car, pour lors, on en vient au psychologisme qu'on veut fuir. Ce sera l'être absolu, l'être en soi; ce sera Dieu. Or, dans cette contemplation de Dieu, où l'âme s'oublie soi-même; disons mieux, où l'âme s'ignore encore soi-même, qui pourrait nier que le moi ne risque pas de s'absorber en Dieu, et l'être qui est soi de ne pouvoir se dégager de l'être qui est en soi ?

Les ontologistes, qui de la sorte courent tête baissée au panthéisme, sont aussi plus près qu'ils ne pensent du subjectivisme et du scepticisme, contre lesquels ils s'efforcent de prémunir les esprits. Car, si la connaissance qu'ils nous vantent

(1) Gioberti, ouvrage cité, t. II, p. 143.

est la contemplation de l'absolu, n'oublions pas que, suivant eux, cette connaissance a pour première condition la parole révélée. Mais la parole n'agit que par la sensation, « fides ex auditu. » Voilà donc les ontologistes rejetés dans les bas-fonds du sensualisme, ou, comme ils parlent, du sensisme. Les voilà, malgré eux, connivant avec les matérialistes, parce que, tout en se proposant des fins contraires, ils sont partis d'une commune erreur, la négation de la psychologie. Les voilà, en un mot, méritant qu'on leur applique ces paroles sévères mais justes de M. de Biran :

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On a beau faire, il faut tomber dans l'absurde en soutenant le scepticisme ou le matérialisme qu'on prétend combattre, ou commencer par la psychologie; c'est-à-dire prendre son appui dans ce moi, cette personne humaine qui est le centre où tout arrive, si elle n'est le point d'où tout part. Admirez aussi comment les maîtres de cette nouvelle école, qui se fonde sur l'autorité absolue et le langage donné, appris et jamais inventé par l'homme, retombent, contre leur volonté, dans la théorie de la sensation passive et de l'influence exclusive des signes sur la pensée, se rejoignant ainsi, à l'autre extrémité du cercle, à la doctrine des matérialistes. C'est que la négation du fait primitif

de conscience laisse sans base vraie toute morale, toute religion (1). »

En résumé, « la science de l'homme doit reposer sur la distinction de deux ordres de phénomènes comme sur une base immuable (2).

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Tout concourt à justifier cette distinction: la nature des phénomènes, la manière dont ils parviennent à la connaissance, la cause de leur production (3).

Simultanés, et, à certains égards, dépendant l'un de l'autre, ces deux ordres de phénomènes n'en sont pas moins essentiellement distincts.

La vie de l'homme, en effet, révèle immédiatement:

1o Un fait de conscience (active excubias agit); 2o Un élément affectif et inconscient.

L'homme, par conséquent, est à la fois âme et corps, libre dans son âme, nécessité dans son corps. Quod in corpore fatum, in animo est providen» disait très-bien Leibniz.

lia,

(1) Cf. OEuvres inédites, t. III, p. 391; Défense de la Philosophie.

(2) Bérard, Doctrine des rapports du physique et du moral.

(3) Cf. M. de Biran, OEuvres inédites, t. 【or; Essai sur les fondements de la psychologie et sur ses rapports avec l'étude de la nature.

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