Effectivement, c'est se méprendre sur la portée de la psychologie que d'en faire une science de rapports, de fin ou d'origine. Sans doute elle fonde une telle science, mais elle n'est pas cette science. Son objet unique est la connaissance actuelle de l'âme, de l'être qui en nous sent, pense et veut, Ultérieurement, la fin de cet être se conclut, son origine s'induit, ses rapports se démontrent. Le rôle de la psychologie est plus borné; elle s'applique exclusivement à étudier l'âme en elle-même, dans sa nature et dans son fond. Reculer ses frontières, ainsi tracées, c'est excéder et confondre la psychologie avec des sciences qui en dépendent, mais dont elle se distingue. D'un autre côté, ce serait tronquer la psychologie que de ne pas étendre jusque-là ses limites; que de la réduire, par exemple, à la connaissance du moi. Car, si la connaissance de l'âme repose sur la connaissance du moi, elle la dépasse, le moi supposant la conscience qu'a l'âme d'elle-même, et l'âme ne cessant pas d'exister pour n'avoir plus ou pour n'avoir pas cette conscience. La connaissance de l'âme est un fait complexe, dont il importe de distinguer les éléments. Ce qui frappe tout d'abord dans l'étude de l'âme, ce qui attire à la fois et ce qui rebute, c'est la mu! titude des phénomènes qui s'offrent à l'observation. Quoi de plus divers, en effet, que les manifestations qui, à chaque instant, se produisent en nous? Quoi de plus mobile, de plus tumultueux, de plus disparate, que le drame intérieur, dont nous sommes à la fois les spectateurs et les acteurs? C'est cependant dans ce chaos qu'il faut introduire la lumière; ce sont ces apparences multiples, ces modifications changeantes, ces subites transformations, qu'il est, avant tout, nécessaire de considérer. A vrai dire, ce ne sont même là, en quelque façon, que des signes. Comment des signes parvenir à dégager la chose signifiée? En redoublant d'attention. Sous un regard sévère, cette mobilité se fixe, ce tumulte s'apaise, cette disparate s'efface. A mesure que l'on observe de plus près les caractères qu'ils présentent, les phénomènes innombrables de l'âme se réduisent à un petit nombre de classes, sans que ces classes soient elles-mêmes réductibles; mais, d'autre part, sans que cette variété rende impossible ou chimérique l'unité. C'est donc par l'étude des phénomènes que s'ouvre la psychologie. Mais ce n'est point par cette étude qu'elle se termine. Car ces phénomènes ne se produisent pas au hasard; ils ont leurs lois. Les classifications auxquelles on les ramène ne sont point de pures abstractions de l'esprit et comme de simples étiquettes qu'on imposerait à des groupes, afin de soulager la mémoire et de les distinguer. Classer les phénomènes, c'est les rapporter à des puissances réelles, à des causes effectives, en un mot, à des facultés. De là, dans la psychologie, une nouvelle série de questions. Dans quel ordre se produisent les phénomènes de l'âme et sous quelles influences? Comment sontils soustraits à l'action du corps, et dans quelle mesure y sont-ils soumis? Que peuvent, pour les diversifier, l'âge, le sexe, le tempérament, la santé ou la maladie, le régime, le climat? Qu'est-ce que le sommeil, le rêve, la léthargie, le somnambu lisme? A quoi tiennent ces états extraordinaires de tout l'homme qu'on appelle l'hallucination, l'enthousiasme, l'extase, le magnétisme, la folie? D'un autre côté, combien y a-t-il dans l'âme de facultés, et quelles sont ces facultés? Comment se développent-elles, et de quelle sorte ce développement engendre-t-il une action réciproque qui produit tour à tour lutte ou accord, contrariété ou harmonie? Ce sont là autant de problèmes, dont l'étude des phénomènes psychologiques prépare la solution, mais dont elle n'est pas la solution. Enfin, une dernière question s'élève, à laquelle toutes les autres viennent aboutir, et par où se clôt la psychologie. Effectivement, après avoir observé les phénomènes qui se manifestent en nous, reconnu leurs lois, assigné les facultés d'où ils dérivent, constaté les influences que ces facultés subissent, il s'agit de se prononcer sur la nature du sujet auquel se rapportent ces phénomènes, ces lois, ces facultés. De ce qui se passe dans l'àme il faut finir par arriver à la détermination de la nature de l'âme. Une psychologie qui déclinerait cette capitale question pourrait abonder en descriptions ingénieuses ou savantes; elle n'en resterait pas moins incomplète et frustratoire. Elle resterait incomplète; car la science de l'âme suppose apparemment qu'on sache ce qu'est l'âme en elle-même. Elle resterait frustratoire; car qu'importe, après tout, la connaissance des phénomènes, des lois, des facultés, si nous sommes condamnés à une invincible ignorance de l'ètre au sein duquel se produisent ces phénomènes, se manifestent ces lois, s'exercent ces facultés ? L'origine et la fin d'un être, ses rapports et les lois qui le régissent, se lisent en quelque manière dans la nature d'un être. Se résoudre à ignorer quelle est la nature de l'âme, c'est donc consentir à ne savoir pas quelle est son origine, quelle est sa fin, quels sont les rapports qu'elle soutient, par quels principes elle se doit régler? Or, comparées à de pareilles questions, que deviennent toutes les autres? Manifestement, elles ne conservent guère qu'un intérêt de pure curiosité. Bien plus, comme c'est sur la connaissance de l'âme que se fonde pour l'homme toute connaissance, avec la connaissance de l'âme s'obscurcit, s'altère, périclite toute connaissance ultérieure. Ainsi tous les problèmes que se pose la psychologie se ramènent en définitive à trois : Quels sont les phénomènes de l'âme? Quelles sont les lois de ces phénomènes, et à quelles facultés les faut-il rapporter? Quelle est la nature de l'âme? Circonscrite dans ces termes, la psychologie se trouve en pleine possession de son objet. Au delà, elle excède et se dénature. En deçà, elle se diminue et s'annule. Ce n'est pas tout. Ces trois problèmes sont liés entre eux de telle façon que, si on ne peut en négliger aucun impunément, on ne peut pas davantage, sans s'exposer aux inconvénients les plus graves, intervertir l'ordre suivant lequel ils doivent être abordés. Il ne suffit pas, dans cette recherche, de n'accepter pour vrai que ce qui paraîtra évidemment être tel; de diviser les difficultés en autant de parties qu'il sera requis pour les bien résoudre; de faire partout des revues si entières et des dénombrements si |