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TABLEAUX.

L'HOMME.

La matière a cessé d'être muette ou passive; une créature distincte entre toutes celles qui respirent est appelée; elle s'avance d'un pas mesuré, at le chef du roi de la nature s'élève avec noblesse sous des cheveux ondoyants. Ses yeux ont le droit d'interroger autour de lui; la pensée y passe ; de là elle semble s'étendre au loin, et percer dans les profondeurs de l'avenir. L'intelligence, ce magnifique présent d'un Dieu qui n'avait peut-être rien de mieux à donner, réside sur son front découvert, et annonce de hautes destinées. Le sentiment est dans sa voix; son âme se fait entendre; toutes les parties de son corps se rapprochent sans gêne, et s'agencent avec harmonie. Ses bras l'accompagnent, et ne le portent pas : la moindre portion de lui-même est en contact avec la terre; il ne communique avec elle que par des points, comme s'il ne devait la fouler qu'en passant. Il marche, et l'on sent qu'il va donner des ordres; il s'arrête, et le sol dont sa noble figure se détache, à bien dire, ne lui sert que de piédestal, sur les côtés duquel les divers animaux se groupent en manière de bas-relief. Une ligne moelleuse et flexible semble descendre de sa tête à la plante de ses pieds: l'esprit de vie la parcourt tout entière, circule autour des formes, les anime, et fait briller sa Seinte carminée à travers une peau diaphane. Ici, la vigueur ne dérobe rien à la grâce; à l'instar des membres, sans efforts elles naissent l'une de Vautre. Dans cette création merveilleuse, on dirait qu'il n'a été employé d'éléments matériels que ce qu'il en fallait pour rendre l'intelligence sensible, et lui soumettre la matière elle-même. C'est la solution d'un beau problème des forces motrices. KÉRATRY. De l'existance de Dieu, 1815,

DIGNITÉ DE L'HOMME; Excellence de SA NATURE. L'homme a la force et la majesté ; les gràces et la beauté sont l'apanage de l'autre sexe.

Tout annonce dans tous deux les maitres de la terre; tout marque dans l'homme, même à l'extérieur, sa supériorité sur tous les êtres vivants;

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Soyez simple avec art

Sublime sans orgueil, agréable sans fard.
BOILEAU. Art poet., chant 1.

il se soutient droit et élevé; son attitude est celle du commandement; sa tête regarde le ciel, et présente une face auguste sur laquelle est imprimé le caractère de sa dignité; l'image de l'âme y est peinte par la physionomie; l'excellence de sa nature perce à travers les organes matériels, et anime d'un feu divin les traits de son visage; son port majestueux, sa démarche ferme et hardie, annoncent sa noblesse et son rang; il ne touche à la terre que par ses extrémités les plus éloignées, il ne la voit que de loin, et semble la dédaigner; les bras ne lui sont pas donnés pour servir de piliers, d'appui à la masse du corps; sa main ne doit pas fouler la terre, et perdre, par des frottements réitérés, la finesse du toucher dont elle est le principal organe; le bras et la main sont faits pour servir à des usages plus nobles, pour exécuter les ordres de la volonté, pour saisir les choses éloignées, pour écarter les obstacles, pour prévenir les rencontres et le choc de ce qui pourrait nuire, pour embrasser et retenir ce qui peut plaire, pour le mettre à portée des autres sens.

Lorsque l'âme est tranquille, toutes les parties du visage sont dans un état de repos : leur proportion, leur union, leur ensemble, marquent encore assez la douce harmonie des pensées, et répondent au calme de l'intérieur; mais, lorsque l'âme est agitée, la face humaine devient un tableau vivant, où les passions sont rendues avec autant de délicatesse que d'énergie, où chaque mouvement de l'âme est exprimé par un trait. chaque action par un caractère dont l'impression vive et prompte devance la volonté, nous décèle, et rend au dehors, par des signes pathétiques, les images de nos secrètes agitations.

C'est surtout dans les yeux qu'elles se peignent, et qu'on peut les reconnaître; l'œil appartient à l'âme plus qu'aucun autre organe; il semble y toucher, et participer à tous ses mouvements; il en exprime les passions les plus vives et les émotions les plus tumultueuses, comme les mouvements les plus doux et les sentiments les plus délicats; il les rend dans toute leur force, dans toute leur pureté, tels qu'ils viennent de naître; il les transmet par des traits rapides qui portent

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ORIGINE ET MOBILES DE L'INDUSTRIE HUMAINE.

Toute activité, soit de corps, soit d'esprit, prend sa source dans les besoins; c'est en raison de leur étendue, de leurs développements, qu'elle même s'étend et se développe; l'on en suit la gradation depuis les éléments les plus simples, jusqu'à l'état le plus composé. C'est la faim, c'est la soif, qui, dans l'homme encore sauvage, éveillent les premiers mouvements de l'àme et du corps; ce sont ces besoins qui le font courir, chercher, épier, user d'astuce ou de violence; toute son activité se mesure sur les moyens de pourvoir à sa subsistance. Sont-ils faciles, a-t-il sous sa main les fruits, le gibier, le poisson, il est moins actif, parce qu'en étendant le bras, il se rassasie, et que, rassasié, rien ne l'invite à se mouvoir, jusqu'à ce que l'expérience de diverses jouissances ait éveillé en lui des désirs qui deviennent des besoins nouveaux, de nouveaux mobiles d'activité. Les moyens sont-ils difficiles, le gibier est-il rare et agile, le poisson rusé, les fruits passagers, alors l'homme est forcé d'être plus actif; il faut que son corps et son esprit s'exercent à vaincre les difficultés qu'il rencontre à vivre; il faut qu'il devienne agile comme le gibier, rusé comme le poisson, et prévoyant pour conserver les fruits. Alors, pour étendre ses facultés naturelles, il s'agite, il pense, il médite; alors il imagine de courber un rameau d'arbre pour en faire un arc, d'aiguiser un roseau pour en faire une flèche, d'emmancher un bâton à une pierre tranchante pour en faire une hache; alors il travaille à faire des filets, à abattre des arbres, à en creuser le tronc pour en faire des pirogues. Déjà il a franchi les bornes des besoins; déjà l'expérience d'une foule de sensations lui a fait connaître des jouissances et des peines; et il prend un surcroît d'activité pour écarter les unes et multiplier les autres. Il a goûté le plaisir d'un ombrage contre les feux du soleil; il se fait une cabane. Il a éprouvé qu'une peau le garantit du froid; il se fait un vêtement. Il a bu l'eau-de-vie et fumé le tabac; il les a aimés. Il veut en avoir encore il ne le peut qu'avec des peaux de castor, des dents d'éléphant, de la poudre d'or, etc.; il redouble d'activité, et il parvient, à force d'industrie, jusqu'à vendre son semblable 1.

VOLNEY. Voyage en Syrie.

1 Voyez Tableaux en vers: Le besoin, père des arts.

SULLY DANS LA RETRAITE.

L'histoire a peint des sages dans la retraite, des héros dans l'oppression; mais elle n'offre rien de plus grand que la dignité de Sully dans le malheur. C'était la dignité de la vertu même, sur laquelle et les hommes, et les cours, et les rois, ne peuvent rien. La grandeur qui était dans son âme se répandait dans toute sa maison. Un nombre prodigieux de domestiques, une foule de gardes, d'écuyers, de gentilshommes; un luxe, non de frivolité, mais de magnificence; un appareil imposant, le respect de mille vassaux, la subordination d'une famille illustre; des appartements immenses, et où les belles actions de Henri IV étaient représentées avec celles de son ministre ; des parcs où régnaient la simplicité et la grandeur: au milieu de tous ces objets, Sully en cheveux blancs, conservant les modes antiques, portant sur sa poitrine l'image de Henri IV, la sainte gravité de ses discours, la majesté de ses regards, le siége plus élevé qui le distinguait au milieu de ses enfants, l'accueil honorable que recevaient dans sa maison tous les vieillards, le silence mêlé de crainte et de respect des jeunes gens que leurs pères conduisaient par la main pour voir ce grand homme, tout cela réuni semblait offrir quelque chose de plus qu'humain, et portait dans les cœurs je ne sais quelle émotion qui élevait l'âme en l'étonnant. O mœurs trop différentes des nôtres! C'est ainsi qu'il passa trente ans dans la retraite, sans se plaindre des hommes, ni de leur injustice, pleurant son ancien roi, fidèle au nouveau, estimé et haï de Richelieu, ayant survécu à tout, excepté à la vertu. Elle descendit avec lui dans sa tombe. La mort termina une carrière de quatre-vingt-deux ans, dont cinquante furent employés pour le bonheur de l'État, et le reste aurait pu l'être.

THOMAS. Éloge de Sully.

MODESTIE DE TURENNE.

Qui fit jamais de si grandes choses, qui les dit avec plus de retenue? Remportait-il quelque avantage, à l'entendre, ce n'était pas qu'il fût habile, mais l'ennemi s'était trompé. Rendait-il compte d'une bataille, il n'oubliait rien, sinon que c'était lui qui l'avait gagnée. Racontait-il quelques-unes de ces actions qui l'avaient rendu si célèbre, on eût dit qu'il n'en avait été que le spectateur, et l'on doutait si c'était lui qui se trompait, ou la renommée. Revenait-il de ces glorieuses campagnes qui rendront son nom immortel, il fuyait les acclamations populaires, il rougissait de ses victoires, il venait recevoir des éloges, comme on vient faire des apologies, et n'osait presque

aborder le roi, parce qu'il était obligé, par respect, de souffrir patiemment les louanges dont Sa Majesté ne manquait jamais de l'honorer.

C'est alors que, dans le doux repos d'une condition privée, ce prince, se dépouillant de toute la gloire qu'il avait acquise pendant la guerre, et se renfermant dans une société peu nombreuse de quelques amis choisis, s'exerçait sans bruit aux vertus civiles sincère dans ses discours, simple dans ses actions, fidèle dans ses amitiés, exact dans ses devoirs, réglé dans ses désirs, grand même dans les moindres choses. Il se cache, mais sa réputation le découvre; il marche sans suite et sans équipage, mais chacun, dans son esprit, le met sur un char de triomphe. On compte, en le voyant, les ennemis qu'il a vaincus, non pas les serviteurs qui le suivent tout seul qu'il est, on se figure autour de lui ses vertus et ses victoires qui l'accompagnent. Il y a je ne sais quoi de noble dans cette honnête simplicité; et, moins il est superbe, plus il devient vénérable.

FLÉCHIER. Oraison funèbre de Turenne.

MÊME SUJET.

Il revenait de ses campagnes triomphantes avec la même froideur et la même tranquillité que s'il fût revenu d'une promenade, plus vide de sa propre gloire que le public n'en était occupé. En vain, dans les assemblées, ceux qui avaient l'honneur de le connaître le montraient des yeux, du geste et de la voix, à ceux qui ne le connaissaient pas; en vain sa seule présence, sans train et sans suite, faisait sur les âmes une impression presque divine qui attire tant de respect, et qui est le fruit le plus doux et le plus innocent de la vertu héroique toutes ces choses, si propres à faire rentrer un homme en lui-même par une vanité raffinée, ou à le faire répandre au dehors par l'agitation d'une vanité moins réglée, n'altéraient en aucune manière la situation tranquille de son âme, et il ne tenait pas à lui qu'on n'oubliât ses victoires et ses triomphes.

MASCARON. Oraison funebre de Turenne.

RÈGNE DE LOUis xiv.

Un roi plein d'ardeur et d'espérance saisit luimeme ce sceptre qui, depuis Henri le Grand, n'avait été soutenu que par des favoris et des ministres. Son âme, que l'on croyait subjuguée par ia mollesse et les plaisirs, se déploie, s'affermit et s'éclaire, à mesure qu'il a besoin de régner. Il se montre vaillant, laborieux, ami de la justice et de la gloire. Quelque chose de généreux se mêle aux premiers calculs de sa politique. Il envoie des Français défendre la chrétienté contre les Turcs,

en Allemagne et dans l'île de Crète : il est protecteur, avant d'être conquérant; et, lorsque l'ambition l'entraîne à la guerre, ses armes heu- · reuses et rapides paraissent justes à la France éblouie. La pompe des fêtes se mêle aux travaux de la guerre; les jeux du carrousel, aux assauts de Valenciennes et de Lille. Cette altière noblesse, qui fournissait des chefs aux factions, et que Richelieu ne savait dompter que par les échafauds, est séduite par les paroles de Louis, et récompensée par les périls qu'il lui accorde à ses côtés. La Flandre est conquise; l'Océan et la Méditerranée sont réunis; de vastes ports sont creusés; une enceinte de forteresses environne la France; les colonnades du Louvre s'élèvent; les jardins de Versailles se dessinent; l'industrie des Pays-Bas et de la Hollande se voit surpassée par les ateliers nouveaux de la France; une émulation de travail, d'éclat, de grandeur, est partout répandue; un langage sublime et nouveau célèbre toutes ces merveilles et les agrandit pour l'avenir. Les épitres de Boileau sont datées des conquêtes de Louis XIV; Racine porte sur la scène les faiblesses et l'élégance de la cour; Molière doit à la puissance du trône la liberté de son génie; La Fontaine luimême s'aperçoit des grandes actions du jeune roi, et devient flatteur. Voilà le brillant tableau qu'offrent les vingt premières années de ce règne mémorable.

VILLEMAIN. Discours d'ouverture, nov. 1824.

MORT DU MARÉCHAL DE SAXE.

Ce grand homme, cher à la nation, craint de nos ennemis et respecté des siens (car plus il fut grand, plus il dut en avoir), espérait jouir de sa gloire dans le sein du repos, et la France l'espérait avec lui. On n'approchait de sa retraite de Chambord qu'avec ce respect qu'inspire le séjour des héros. Son palais était regardé comme le temple de la valeur et le sanctuaire des vertus guerrières. Mais, ô faiblesse ! ô néant! il semble que Maurice ne devait exister que pour faire de grandes choses. Dès qu'il a cessé de vaincre, il disparaît. Il meurt; et celui qui avait été élu souverain par un peuple libre, qui avait été comblé de tani d'honneurs, qui avait gagné tant de batailles, qui avait pris ou défendu tant de villes, qui avait vengé ou vaincu les rois, qui était l'amour d'une nation et la terreur de toutes les autres, compare en mourant sa vie à un songe.

Sa mort fut une calamité pour la France, un événement pour l'Europe. Louis s'honora luimême, en l'honorant de ses regrets. Les courtisans, qui sont si peu sensibles, furent attendris. Le peuple, qui est la partie la plus méprisée et la plus vertueuse de l'État, pleura l'appui et le dé

fenseur de la patrie. Mais vous, guerriers, qu'il conduisait dans les batailles, vous que tant de fois il a menés à la victoire, quels furent alors vos sentiments? Pour les peindre, je n'aurai pas recours aux vains artifices de l'éloquence, il suffit de rappeler un fait que la postérité doit apprendre, et dont il est utile de conserver le souvenir. Après que le corps de Maurice eut été transporté dans la capitale de l'Alsace, pour y recevoir les honneurs funèbres, deux soldats qui avaient servi sous lui, entrent dans le temple où était déposée sa cendre. Ils approchent en silence, le visage triste, l'œil en pleurs. Ils s'arrêtent au pied du tombeau, le regardent, l'arrosent de leurs larmes. Alors l'un d'eux tire son épée, l'applique au marbre de la tombe. Saisi du même sentiment, son compagnon imite son exemple. Tous deux ensuite sortent en pleurant, sans se regarder, sans proférer un seul mot. Ils pensaient sans doute, ces guerriers, que le marbre qui touchait aux cendres de Maurice, avait le pouvoir de communiquer la valeur, et de faire des héros. Vous ne vous trompez pas, dignes soldats de Maurice! Tandis que son ombre, du milieu de l'Alsace qu'elle habite, sèmera encore la terreur chez nos ennemis, et gardera les bords du Rhin, la vue du marbre qui renferme sa cendre élèvera l'âme de tous les Français, leur inspirera le courage, la magnanimité, l'amour généreux de la gloire, le zèle pour le roi et pour la patrie. THOMAS. Éloge du maréchal de Saxe.

L'INFORTUNE, LA VERTU, ET L'HÉROÏSME. Une enfant, dont la raison et la sensibilité avaient été avancées par le malheur, tombe du trône dans une prison. Son père dont elle ne pouvait ignorer les vertus, périt sur l'échafaud sans qu'on ose le lui cacher, dans la crainte de lui dérober une bénédiction que le ciel doit ratifier; sa mère, dont le courage lui servait d'exemple, et l'amour de consolation, est enlevée à ses yeux pour subir le même supplice; une seconde mère, son dernier soutien, modèle de piété et d'héroïsme, périt sur le même échafaud. Seule, ou plutôt, à son tour, chef de famille dans une prison qui renfermait encore un frère plus jeune qu'elle, elle s'en voit privée, et ne peut ignorer la cause de sa mort. N'ayant connu de la vie que ce qu'elle a de plus amer, résignée à la rendre sans regret au Dieu qui la lui avait donnée, ne pouvant entendre autour d'elle le moindre bruit qu'elle ne prît pour l'annonce de sa dernière heure, elle apprend qu'on l'exile. Selon les lois éternelles de la Providence, quelles modifications un tel assemblage de malbeurs aura-t-il produites sur le caractère de cette infortunée? Au-dessus de la vanité, elle en a connu le néant; au-dessus de l'orgueil, qui ne peut être

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à ses yeux qu'une faiblesse, c'est dans son âme qu'elle cherchera un refuge, et la fierté de cette ame deviendra plus puissante que l'injustice des hommes. Douce, parce que la nature l'a faite ainsi, simple dans ses goûts, soumise à tous ses devoirs, et sans efforts, compatissante au malheur, confiante, quand la franchise des sentiments qu'on lui montrera l'éloignera des souvenirs du passé, timide devant la malveillance; qu'une grande circonstance se présente, et cette femme étonnera le monde par son courage, sans qu'il soit en elle de croire qu'elle ait rien fait d'extraordinaire! Ce qui nous surprend, ce qui excite notre admiration, n'est-il pas le résultat de l'éducation qu'elle a reçue du malheur dans son enfance? Peut-elle craindre la mort quand son âme est émue? N'est-ce pas de la mort qu'elle a reçu toutes les émotions qui ont fait battre son cœur, et lui ont appris à connaître le néant de la vie? Peutelle craindre le jugement des hommes, et y attacher le moindre prix? Cette âme fière n'a-t-elle pas été conduite à ne reconnaître que Dieu pour juge?

LES PRISONS.

FIÉVÉE.

Jetez les yeux sur ces tristes murailles où la liberté humaine est renfermée et chargée de fers, où quelquefois l'innocence est confondue avec le crime, et où l'on fait l'essai de tous les supplices avant le dernier : approchez; et si le bruit horrible des fers, si des ténèbres effrayantes, des gémissements sourds et lointains, en vous glaçant le cœur, ne vous font reculer d'effroi, entrez dans le séjour de la douleur, osez descendre un moment dans ces noirs cachots où la lumière du jour ne pénètre jamais; et sous des traits défigurés contemplez vos semblables, meurtris de leurs fers, à demi couverts de quelques lambeaux, infectés d'un air qui ne se renouvelle jamais, et semble s'imbiber du venin du crime; rongés vivants des mêmes insectes qui dévorent les cadavres dans leurs tombeaux, nourris à peine de quelques substances grossières distribuées avec épargne; sans cesse consternés des maux de leurs malheureux compagnons, et des menaces d'un impitoyable gardien; moins effrayés du supplice que tourmentés de son attente; dans ce long martyre de tous leurs sens, ils appellent à leur ecours une mort plus douce que leur vie infortunée.

Si ces hommes sont coupables, ils sont encore dignes de pitié, et le magistrat qui diffère leur jugement est manifestement injuste à leur égard. La loi a prononcé un châtiment public qui doit suffire à la réparation de leur crime, et à la satisfaction de la société ; ce long tourment d'une prison cruelle est une peine nouvelle dont ilsurchar

le coupable, et c'est violer la loi que d'en excéder la mesure; excès d'autant plus funeste, qu'il nuit à la fois au coupable et au public, et que tous les moments consumés dans une prison sont perdus pour l'exemple des mœurs.

Mais si ces hommes sont innocents, ô douleur! ô pitié! à cette idée, l'humanité pousse du fond du cœur un cri terrible et tendre. Quoi! cet homme né libre gémit sous le poids des fers! Cet homme, à qui la lumière et l'air du ciel étaient destinés, respire à peine dans un cachot; ce père de famille est arraché avec violence des bras de son épouse et de ses enfants! Le deuil, le désespoir et la faim se sont emparés de sa arqu ile habitation; ces bras qui tenaient embrassées une épouse tendre, une progéniture naissante; ces bras qui leur donnaient la subsistance, qui semaient, qui recueillaient ; ces bras si nécessaires à l'État, sont indignement liés; un cœur pur et sans reproche est dans des lieux souillés de remords; l'innocence, en un mot, est dans le séjour du crime c'est là qu'on ne peut s'empêcher de gémir profondément sur les malheurs de l'humaine condition; c'est là qu'en jetant les yeux vers la Providence, on dit avec autant d'amertume que d'étonnement : Ohomme! quelle est ta destinée! souffrir et mourir, voilà donc les deux grands termes de ta carrière!

SERVAN. Discours sur l'administration de la justice criminelle.

VIE PRIVÉE DE FÉNÉLON.

Son humeur était égale, sa politesse affectueuse et simple, sa conversation féconde et animée. Une gaieté douce tempérait en lui la dignité de son ministère, et le zèle de la religion n'eut jamais chez lui ni sécheresse, ni amertume. Sa table était ouverte, pendant la guerre, à tous les officiers ennemis ou nationaux que sa réputation attirait en foule à Cambray. Il trouvait encore des moments à leur donner, au milieu des devoirs et des fatigues de l'épiscopat. Son sommeil était court, ses repas d'une extrême frugalité, ses mours d'une pureté irréprochable. Il ne connaissait ni le jeu ni l'ennui : son seul délassement était la promenade; encore trouvait-il le secret de la faire rentrer dans ses exercices de bienfaisance. S'il rencontrait des paysans, il se plaisait à les entretenir. On le voyait assis sur l'herbe au milieu d'eux, comme autrefois saint Louis sous le chêne de Vincennes. Il entrait même dans leurs cabanes, et recevait avec plaisir tout ce que lui offrait leur simplicité hospitalière. Sans doute ceux qu'il honora de semblables visites raconterent plus d'une fois à la génération qu'ils virent naitre, que leur toit rus, que avait reçu Fénélon.

LA XPE. Eloge de Fénélon.

LE CLERGÉ DE FRANCE.

La plupart de nous ont vu encore debout ce magnifique édifice, cet ouvrage du ciel, du temps, de nos rois, et de nos pères, cette belle portion de la grandeur nationale que la France était fière de montrer à l'Europe, ce monument tout ensemble de richesse, de puissance, d'autorité, de vertu, de gloire et de génie, qui s'était surtout si majestueusement élevé dans le grand siècle, et à côté du grand roi; providence visible qui balançait à elle seule, par la toute-puissance de ses dons, les calamités publiques, rivalisant avec les peuples de fidélité envers le trône, et avec le trône de bienfaisance et de bonté pour les peuples; corps illustre autant qu'utile, qui, ne retenant de la haute naissance de quelques-uns de ses chefs, que l'honneur sans orgueil, paraissait être l'abrégé de la société entière, dont il était l'âme et le lien moral, puisqu'il appelait à ses dignités et à ses récompenses, à côté du fils des princes, le fils de l'artisan recommandé par la vertu et le talent; semblable en tout à cette heureuse et puissante monarchie dont il était le plus ferme appui, on eût dit que, conformément à l'inévitable loi des élévations et des décadences humaines, il était averti de son danger par sa grandeur, et menacé de sa ruine par l'excès même de sa bienfaisante prospérité. Ses débris ont encore conquis au nom français et à la cause de la légitimité l'estime et l'admiration de l'Europe hospitalière le clergé de France, comme s'il eût voulu surpasser, en finissant, l'éclat de sa longue vie, offrit de remplir seul ce déficit dans leque' on l'a précipité lui-même, non pas pour le combler, mais pour le creuser davantage. Ainsi, il apparaîtra à jamais en avant des malheurs et des crimes de la révolution, dont la rage allait bientôt mêler le sang des martyrs sacrés au sang du martyr royal; il sera béni par les regrets de l'histoire, plus que jamais vivante et fidèle image du Dieu qui semblait, par la voix de ses ministres, redevenus des prophètes, vouloir encore une fois avertir les Français de conjurer l'orage, avant de lui permettre de dévorer la terre.

ROUX DE LABORIE.

LA NATURE BRUTE ET LA NATURE CULTIVÉE.

La nature est le trône extérieur de la magnificence divine. L'homme qui la contemple, qui l'étudie, s'élève par degrés au trône intérieur de la toute-puissance. Fait pour adorer le Créateur, il commande à toutes les créatures; vassal du ciel, roi de la terre, il l'ennoblit, la peuple et l'enrichit; il établit entre les êtres vivants l'ordre, la subordination, l'harmonie ; il embellit la nature

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