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montrer une sorte d'invention, donner par des fictions neuves un esprit de vie à tout ce qu'il touche, nous pénétrer de sa flamme, et ne jamais oublier que, suivant Simonide, la poésie est une peinture parlante, comme la peinture est une poésie muette.

J'ai dit que la poésie avait une langue particulière. Dans les partages qui se sont faits entre elle et la prose, elle est convenue de ne se montrer qu'avec une parure très-riche, ou du moins trèsélégante, et l'on a remis entre ses mains toutes les couleurs de la nature, avec l'obligation d'en user sans cesse, et l'espérance du pardon, si elle en abuse quelquefois.

Elle a réuni à son domaine quantité de mots interdits à la prose, d'autres qu'elle allonge ou raccourcit, soit par l'addition, soit par le retranchement d'une lettre ou d'une syllabe. Elle a le pouvoir d'en produire de nouveaux, et le privilége presque exclusif d'employer ceux qui ne sont plus. en usage, ou qui ne le sont que dans un pays étranger, d'en identifier plusieurs dans un seul, de les disposer dans un ordre inconnu jusqu'alors, et de prendre toutes les licences qui distinguent l'élocution poétique du langage ordinaire."

Les facilités accordées au génie s'étendent sur tous les instruments qui secondent ses opérations. De là ces formes nombreuses que les vers ont reçues de ses mains, et qui toutes ont un caractère indiqué par la nature. Le vers héroïque marche avec une majesté imposante: on l'a destiné à l'épopée ; l'ïambe revient souvent dans la conversation: la poésie dramatique l'emploie souvent avec succès. D'autres formes s'assortissent mieux aux chants accompagnés de danses; elles se sont appliquées sans efforts aux odes et aux hymnes. C'est ainsi que les poëtes ont multiplié les moyens de plaire.

BARTHÉLEMY. Voyage d'Anacharsis.

MANIÈRE DE FAire les vers.

Quelque sujet qu'on traite, ou plaisant ou sublime, Que toujours le bon sens s'accorde avec la rime : L'un l'autre vainement ils semblent se hair; La rime est une esclave, et ne doit qu'obéir : Lorsqu'à la bien chercher d'abord on s'évertue, L'esprit à la trouver aisément s'habitue. Au joug de la raison sans peine elle fléchit, Et, loin de la gêner, la sert et l'enrichit. Mais, lorsqu'on la néglige, elle devient rebelle; Et, pour la rattraper, le sens court après elle. Aimez donc la raison; que toujours vos écrits Empruntent d'elle seule et leur lustre et leur prix.

La plupart, emportés d'une fougue insensée, [sée. Toujours loin du droit sens vont chercher leur penIls croiraient s'abaisser dans leurs vers monstrueux, S'ils pensaient ce qu'un autre a pu penser comme eux. Evitons ces excès: laissons à l'Italie

De tous ces faux brillants l'éclatante folie,

Tout doit tendre au bon sens; mais, pour y parvenir
Le chemin est glissant et pénible à tenir :
Pour peu qu'on s'en écarte, aussitôt on se noic.
La raison, pour marcher, n'a souvent qu'une voie.
Un auteur, quelquefois trop plein de son objet,
Jamais sans l'épuiser n'abandonne un sujet.
Fuyez de ces auteurs l'abondance stérile,
Et ne vous chargez point d'un détail inutile.
Tout ce qu'on dit de trop est fade et rebutant;
L'esprit rassasié le rejette à l'instant.
Qui ne sait se borner ne sut jamais écrire.
Souvent la peur d'un mal nous conduit dans un pire
Un vers était trop faible, et vous le rendez dur.
J'évite d'etre long, et je deviens obscur.
L'un n'est point trop fardé, mais sa muse est trop nuc:
L'autre a peur de ramper, il se perd dans la nue.
Voulez-vous du public mériter les amours,
Sans cesse en écrivant variez vos discours.
Un style trop égal, et toujours uniforme,
En vain brille à nos yeux, il faut qu'il nous endorme
On lit peu ces auteurs nés pour nous ennuyer,
Qui toujours sur un ton semblent psalmodier.

Heureux qui dans ses vers sait, d'une voix légère,
Passer du grave au doux, du plaisant au sévère!
Son livre, aimé du ciel, et chéri des lecteurs,
Est souvent chez Barbin entouré d'acheteurs.

Quoi que vous écriviez, évitez la bassesse:
Le style le moins noble a pourtant sa noblessc.
Au mépris du bon sens, le burlesque effronté
Trompa les yeux d'abord, plut par sa nouveauté.
Que ce style jamais ne souille votre ouvrage.
Imitez de Marot l'élégant badinage,

Et laissez le burlesque aux plaisants du Pont-Neuf.
Mais n'allez point aussi, sur les pas de Brébeuf,
Même en une Pharsale, entasser sur les rives
De morts et de mourants cent montagnes plaintives1.
Prenez mieux votre ton. Soyez simple avec art,
Sublime sans orgueil, agréable sans fard.

N'offrez rien au lecteur que ce qui peut lui plaire:
Ayez pour la cadence une oreille sévère.
Que toujours dans vos vers le sens, coupant les mots,
Suspende l'hémistiche, en marque le repos.

Gardez qu'une voyelle, à courir trop hâtée, Ne soit d'une voyelle en son chemin heurtée.

Il est un heureux choix de mots harmonieux; Fuyez des mauvais sons le concours odieux. Le vers le mieux rempli, la plus noble pensée, Ne peut plaire à l'esprit quand l'oreille est blessér Durant les premiers ans du Parnasse françois, Le caprice tout seul faisait toutes les lois. Enfir Malherbe vint, et le premier en France Fit sentir dans les vers une juste cadence; D'un mot mis en sa place enseigna le pouvoir, Et réduisit la Muse aux règles du devoir. Par ce sage écrivain la langue réparée N'offrit plus rien de rude à l'oreille épurée. Les stances avec grâce apprirent à tomber, Et le vers sur le vers n'osa plus enjamber. Tout reconnut ses lois, et ce guide fidèle Aux auteurs de ce temps sert encor de modèle. Marchez donc sur ses pas; aimez sa pureté, Et de son tour heureux imitez la clarté. Si le sens de vos vers tarde à se faire entendre, Mon esprit aussitôt commence à se détendre,

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Et, de vos vains discours prompt à se détacher,
Ne suit point un auteur qu'il faut toujours chercher.
Il est certains esprits dont les sombres pensées
Sont d'un nuage épais toujours embarrassées :
Le jour de la raison ne le saurait percer.
Avant donc que d'écrire, apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure:
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots, pour le dire, arrivent aisément."

Surtout qu'en vos écrits la langue révérée,
Dans vos plus grands excès vous soit toujours sacrée;
En vain vous me frappez d'un son mélodieux,
Si le terme est impropre ou le tour vicieux :
Mon esprit n'admet point un pompeux barbarisme,
Ni d'un vers ampoulé l'orgueilleux solécisme:
Sans la langue, en un mot, l'auteur le plus divin
Est toujours, quoi qu'il fasse, un méchant écrivain.
Travaillez à loisir, quelque ordre qui vous presse,
Et ne vous piquez point d'une folle vitesse:
Un style si rapide, et qui court en rimant,
Marque moins trop d'esprit que peu de jugement.
J'aime mieux un ruisseau qui, sur la molle arène,
Dans un pré plein de fleurs lentement se promène,
Qu'un torrent débordé, qui d'un cours orageux
Roule, plein de gravier, sur un terrain fangeux.
Hatez-vous lentement; et, sans perdre courage,
Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage.
Polissez-le sans cesse, et le repolissez :
Ajoutez quelquefois, et souvent effacez.
C'est peu qu'en un ouvrage où les fautes fourmillent,
Des traits d'esprit semés de temps en temps petillent.
Il faut que chaque chose y soit mise en son lieu;
Que le début, la fin, répondent au milieu;
Que d'un art délicat les pièces assorties
N'y forment qu'un seul tout de diverses parties;
Que jamais du sujet le discours s'écartant
N'aille chercher trop loin quelque mot éclatant.
Craignez-vous pour vos vers la censure publique?
Soyez-vous à vous-même un sévère critique :
L'ignorance toujours est prête à s'admirer.
Faites-vous des amis prompts à vous censurer;
Qu'ils soient de vos écrits les confidents sincères,
Et de tous vos défauts les zélés adversaires.
Dépouillez devant eux l'arrogance d'auteur;
Mais sachez de l'ami discerner le flatteur : [jone;
Tel vous sembie applaudir, qui vous raille et vous
Aimez qu'on vous conseille, et non pas qu'on vous
Un flatteur aussitôt cherche à se récrier.
[loue.
Chaque vers qu'il entend le fait extasier.
Tout est charmant, divin; aucun mot ne le blesse:
Il trépigne de joie; il pleure de tendresse;
Il vous comble partout d'éloges fastueux :
La vérité n'a point cet air impétueux.
I'n sage ami, toujours rigoureux, inflexible,
Sur vos fautes jamais ne vous laisse paisible.
Il ne pardonne point les endroits négligés ;
Il renvoie en leur lieu les vers mal arrangés,
Il réprime des mots l'ambitieuse emphase:
Ici le sens le choque, et plus loin c'est la phrase;
Votre construction semble un peu s'obscurcir;
Ce terme est équivoque, il le faut éclaircir.
C'est ainsi que vous parle un ami véritable.
BOILEAU. Art poët., chant jer,

MANIÈRE DE LIRE LES VERS.

Arrête, sot lecteur, dont la triste manie Détruit de nos accords la savante harmonie:

Arrête, par pitié! Quel funeste travers,
En dépit d'Apollon, te fait lire des vers?

Ah! si ta voix ingrate ou languit, ou détonne,
Ou traine avec lenteur son fausset monotone;
Si du feu du génie en nos vers allumé
N'étincelle jamais ton œil inanimé;
Si ta lecture enfin, dolente psalmodie,
Ne dit rien, ne peint rien à mon âme engourdie,
Cesse, ou laisse-moi fuir. Ton regard abattu
Du regard de Méduse a la triste vertu.
L'auditeur qu'ont glacé tes sens et ta présence,
Croit subir le supplice inventé par Mézence:
C'est un vivant qu'on lie au cadavre d'un mort:
Attentif à ta voix, Phébus même s'endort;
Sa défaillante main laisse tomber sa lyre.

C'est peu d'aimer les vers, il les faut savoir lire ; Il faut avoir appris cet art mélodieux

De parler dignement le langage des dieux;
Cet art, qui, par les tons des phrases cadencées,
Donne de l'harmonie et du nombre aux pensées :
Cet art de déclamer, dont le charme vainqueur
Assujettit l'oreille et subjugue le cœur.

[strophe?

D'où vient, me diras-tu, cette brusque apo-
Lisant pour m'éclairer, je lis en philosophe.
Plus un écrit est beau, moins il a besoin d'art,
Et le teint de Venus peut se passer de fard.
L'harmonieux débit que ta muse me vante
Ne séduisit jamais une oreille savante.
De cette illusion qu'un autre soit épris;
Mais la vérité nue a pour moi plus de prix. >
Hé quoi! d'une lecture insipide et glacée
Tu prétends attrister mon oreille lassée!
Quoi! traitre! à tes côtés tu prétends m'enchaîner!
A loisir, en détail, tu veux m'assassiner;
Dans les longs bâillements et les vapeurs mortelles
Ensevelir l'honneur des œuvres les plus belles;
Et toujours méthodique, et toujours concerté,
Des élans d'un auteur abaisser la fierté,
Tomber quand il s'élève, et ramper quand il vole!
Ah! garde pour toi seul ton scrupule frivole:
Sois captif dans le cercle obscur et limité
Qui fut tracé des mains de l'uniformité;
Aux lois de ton compas asservis Melpomène,
Et la douleur de Phèdre, et l'amour de Chimène ;
Ravale à ton niveau l'essor audacieux

De l'oiseau du tonnerre égaré dans les cieux;
Meurs d'ennui, j'y consens : sois barbare à ton aise;
Mais ne m'accable pas sous un joug qui me pèse ;
N'exige pas du moins, insensible lecteur,
Que jamais je me plie à ton goût destructeur.
Va, d'un débit heureux l'innocente imposture,
Sans la défigurer, embellit la nature,

Et les traits que la Muse éternise en ses chants,
Récités avec art, en seront plus touchants:
Its laisseront dans l'âme une trace durable,
Du génie éloquent empreinte inaltérable,
Et rien ne plaira plus à tous les goûts divers,
Qu'un organe flatteur déclamant de beaux vers.
Jadis on les chantait : les annales antiques
De Moïse et d'Orphée exaltent les cantiques.
Te faut-il rappeler ces prodiges connus?
Ces rochers attentifs à la voix de Linus?
Et Sparte qui s'éveille aux accents de Tyrtée ?
Et Terpandre apaisant la foule révoltée ?
Les poetes divins, maîtres des nations,
Savaient noter alors l'accent des passions.
L'âme était adoucie et l'oreille charmée,

1 Terpandre, pocte et musicien, naquit à Lesbos. Il apaisa par ses chants une sedition à Sparte. (N, E.

Et même des tyrans la rage désarmée.
Ce fut l'attrait des vers qui fit aimer les lois.
L'art de les déclamer fut le talent des rois.
Les dieux même, les dieux, par la voix des oracles,
De cet art enchanteur consacraient les miracles.

Chez les fils de Cadmus, peuples ingénieux,
Que les sons de la lyre étaient harmonieux!
Que, dans ces beaux climats, l'exacte prosodie
Aux chansons des Neuf Sœurs prêtait de mélodie!
On voyait, à côté des dactyles volants,
Le spondée allongé se trainer à pas lents.
Chaque mot chez les Grecs, amants de la mesure,
Se pliait de lui-même aux lois de la césure.
Chaque genre eut son rhythme. En vers majestueux,
L'épopée entonna ses récits fastueux.

La modeste élégie eut recours au distique;

Archiloque s'arma de l'ïambe caustique.
A des mètres divers, Alcée, Anacréon,
Prêtèrent leur génie, et leur gloire, et leur nom.
Pour nous, enfants des Goths, Apollon plus avai
A dédaigné longtemps notre jargon barbare.
Ce jargon s'est poli: les Muses, sur nos bords,
Ont d'une mine ingrate arraché des trésors.
O Racine! ô Boileau! votre savante audace
Fait parler notre langue aux échos du Parnasse;
Ce rebelle instrument rend des accents flatteurs;
Vous peignez la nature en sons imitateurs,
Tantôt doux et légers, tantôt pesants et graves;
Votre Apollon est libre au milieu des entraves;
Et l'oreille, attentive au charme de vos vers,
Croit de Virgile même entendre les concerts.

FRANÇOIS DE NEUFCHATEAU,

NARRATIONS.

Soyez vif et pressé dans vos natrations. BOILEAU. Art poét., ch. 111.

NARRATION POÉTIQUE.

PRÉCEPTES DU GENRE.

la

La narration est l'exposé des faits, comme la description est l'exposé des choses; et celle-ci est comprise dans celle-là, toutes les fois que description des choses contribue à rendre les faits plus vraisemblables, plus intéressants, plus sensibles.

Il n'est point de genre de poésie où la narration ne puisse avoir lieu; mais, dans le dramatique, elle est accidentelle et passagère; au lieu que, dans l'épique, elle domine et remplit le fond.

Toutes les règles de la narration sont relatives aux convenances et à l'intention du poëte.

Quel que soit le sujet, le devoir de celui qui raconte, pour remplir l'attente de celui qui l'écoute, est d'instruire et de persuader; ainsi les premières règles de la narration sont la clarté et la vraisemblance.

La clarté consiste à exposer les faits d'un style qui ne laisse aucun nuage dans les idées, aucun embarras dans l'esprit. Il y a dans les faits des circonstances qui se supposent, et qu'il serait superflu d'expliquer. Il peut arriver aussi que celui qui raconte ne soit pas instruit de tout, ou qu'il ne veuille pas tout dire; mais ce qu'il ignore ou veut dissimuler ne le dispense pas d'être clair dans ce qu'il expose. Le spectateur ou le lecteur veut tout savoir; et, si l'acteur est dispensé de tout éclaircir, le poëte ne l'est pas. S'il jette un voile sur l'avenir, il le laisse du moins entrevoir dans un lointain confus et vague:

Sublustrisque aliquid dant cernere noctis în umbra.
VIDA.

C'est un nouvel attrait pour le lecteur. A l'égard du présent et du passé, tout doit être à ses yeux sans nuage et sans équivoque.

Les éclaircissements sont faciles dans l'épopée, où le poëte cède et reprend la parole quand bon lui semble. Dans le dramatique, il faut un peu

plus d'art pour mettre l'auditeur dans la confidence; mais comme, dans les moments passionnés, il est permis de penser tout haut, le spectateur entend la pensée. C'est donc une négligence inexcusable que de laisser, dans l'exposition des faits, une obscurité qui nous inquiète et qui nuise à l'illusion.

Si les faits sont trop compliqués, la méthode la plus sage, en travaillant, c'est de les réduire d'abord à leur plus grande simplicité; et, à mesure qu'on aperçoit dans leur exposé quelque embarras à prévenir, quelque nuage à dissiper, on y répand quelques traits de lumière. Le comble de l'art est de faire en sorte que ce qui éclaircit la narration soit aussi ce qui la décore.

Le poëte est en droit de suspendre la curiosité, mais il faut qu'il la satisfasse; cette suspension n'est même permise qu'autant qu'elle est motivée.

L'art de ménager l'attention sans l'épuiser consiste à rendre intéressant et comme inévitable l'obstacle qui s'oppose à l'éclaircissement, et à paraitre soi-même partager l'impatience que l'on cause. On emploie quelquefois un incident nouveau pour suspendre et différer l'éclaircissement; mais qu'on prenne garde à ne pas laisser voir qu'il est amené tout exprès, et surtout à ne pas einployer plus d'une fois le même artifice. Le spectateur veut bien qu'on le trompe; mais il ne veut pas s'en apercevoir.

Il n'y a que les faits surnaturels dont le poët soit dispensé de rendre raison en les racontant.

Les poëtes anciens n'ont pas toujours dédaigné de motiver la volonté des dieux ; et le merveilleux est bien plus satisfaisant lorsqu'il est fondé, comme, dans l'Eneide, le ressentiment de Junon contre les Troyens, et la colère d'Apollon contre les Grecs dans l'Iliade. Mais, pour motiver la conduite des dieux, il faut une raison plausible; il vaut mieux n'en donner aucune, que d'en alléguer de mauvaises.

Ce que je viens de dire de la clarté contribue aussi à la vraisemblance. Un fait n'est incroyable,

que parce qu'on y voit de l'incompatibilité dans les circonstances, ou de l'impossibilité dans l'exécution. Or, en l'expliquant, tout se concilie, tout s'arrange, tout se rapproche de la vérité. Etiam incredibile solertia efficit sæpe credibile esse. (Scaliger.) C'est une idée lumineuse d'Aristote que la croyance que l'on donne à un fait se réfléchit sur l'autre, quand ils sont liés avec art. Par une espèce de paralogisme qui nous est naturel, nous concluons, dit-il, de ce qu'une chose est véritable, que celle qui la suit doit l'être. Cette remarque importante prouve combien, dans le récit du merveilleux, il est essentiel de mêler des circonstances communes.

vient de se passer dans l'assemblée des conjurés, la personne et le temps seraient convenables, mais le lieu ne le serait pas. Théramène raconte à Thésée tout le détail de la mort d'Hippolyte : la personne et le lieu sont bien choisis; mais ce n'est point dans le premier accès de sa douleur, qu'un père, qui se reproche la mort de son fils, peut entendre la description du prodige qui l'a causée.

Une règle sûre pour éprouver si le récit vient à propos, c'est de se consulter soi-même, de se demander Si j'étais à la place de celui qui l'écoute, l'écouterais-je ? Le ferais-je à la place de celui qui le fait? Est-ce là même et dans cet instant que ma situation, mon caractère, mes sentiments ou mes desseins me détermineraient à le faire?> Cela tient à une qualité de la narration plus essentielle que l'à-propos : c'est de l'intérêt que je parle.

La narration purement épique, c'est-à-dire du poëte à nous, n'a besoin d'être in'éressante que pour nous-mêmes. Qu'elle réunisse à notre égard l'agrément et l'utilité, l'objet du poëte est rempli : elle peut même se passer d'instruire, pourvu qu'elle attache. Or, le plaisir qu'elle peut causer est celui de l'esprit, de l'imagination ou du sentiment.

Plaisir de l'esprit, lorsqu'elle est une source de réflexion et de lumières : c'est l'intérêt que nous éprouvons à la lecture de Tacite. Il suffit à l'histoire; il ne suffit pas à la poésie, mais il en fait le plus solide prix, et c'est par là qu'elle plait

Pour me persuader que les héros qu'on me présente ont fait réellement des prodiges dont je n'ai jamais vu d'exemples, il faut qu'ils fassent des choses qui, tous les jours, se passent sous mes yeux. Il est vrai que, parmi les détails de la vie commune, l'on doit choisir avec goût ceux qui ont le plus de noblesse dans leur naïveté, ceux dont la peinture a le plus de charmes; et en cela les mœurs anciennes étaient plus favorables à la poésie que les nôtres. Les devoirs de l'hospitalité, les cérémonies religieuses, donnaient un air vénérable à des usages domestiques qui n'ont plus rien de touchant parmi nous. Il y a donc de l'avantage à prendre ses sujets dans les temps éloignés, ou, ce qui revient au même, dans les pays lointains. Mais dans nos mœurs on peut trouver encore des choses naïves et familières, qui ne laissent pas d'avoir de la noblesse et de la beauté. Eh! pourquoi ne peindrait-on pas aujourd'hui les adieux d'un guerrier qui se sépare de sa femme et de son fils, avec cette ingénuité naturelle qui rend si touchants les adieux d'Hector? Pourquoi ne pas s'attacher à cette nature simple et charmante, lorsqu'une fois on l'a saisie? Pour-diques; mais l'art de les enlacer dans le tissu de quoi du moins ne pas se relâcher plus souvent de cette dignité factice où l'on tient ses personnages en attitude et comme à la gêne? Le dirai-je ? le défaut dominant de notre poésie héroïque, c'est la roideur. Je la voudrais souple comme la taille des Grâces. Je ne demande pas que le plaisant s'y joigne au sublime; mais je suis persuadé qu'on ne saurait trop y mêler le familier noble, et que c'est surtout de ces relâches que dépend l'air de vérité.

La troisième qualité de la narration, c'est l'à-propos. Toutes les fois que, des personnages qui sont en scène, l'un raconte et les autres écoutent, ceux-ci doivent être disposés à l'attention et au silence, et celui-là doit avoir eu quelques raisons de prendre, pour le récit dans lequel il s'engage, ce lieu, ce moment, ces personnes mêmes. S'il était vrai que Cinna rendit compte à Emilie, dans l'appartement d'Auguste, de ce qui

aux sages.

Plaisir de l'imagination, lorsqu'on présente aux yeux de l'âme le tableau de la nature : c'est là ce qui distingue la narration du poëte de celle de l'historien. Le soin de la varier et de l'enrichir fait qu'on y mêle souvent des descriptions épiso

la narration, de les placer dans les repos, de leur donner une juste étendue, de les faire désirer ou comme délassements, ou comme détails curieux; cet art, dis-je, n'est pas facile.

Cet attrait même de la nouveauté, ce plaisir de l'imagination, s'il était seul, serait faible et bientot insipide; l'âme ne saurait s'attacher à ce qui ne l'éclaire ni ne l'émeut; et du moins, si on la laisse froide, ne faut-il pas la laisser vide.

Plaisir du sentiment, lorsqu'une peinture fidèle et touchante exerce en nous cette faculté de l'âme par les vives impressions de la douleur ou de la joie; qu'elle nous émeut, nous attendrit, nous inquiète et nous étonne, nous épouvante, nous afflige et nous console tour à tour; enfin, qu'elle nous fait goûter la satisfaction de nous trouver sensibles, le plus délicat de tous les plaisirs.

De ces trois intérêts, le plus vif est évidemment celui-ci Le sentiment supplée à tont, et rien ne

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