D'autres fois, de ces solitudes impénétrables, la nuit fuyait tout à coup, et, sans se consumer, les arbres devenaient autant de flambeaux dont les lueurs laissaient apercevoir des dragons ailés, de hideux scorpions, des cérastes impurs s'entrelacer, se suspendre aux rameaux éblouissants; des larves, des fantômes montraient leurs ombres sur un fond de lumière, comme des taches sur le soleil; mais bientôt tout s'éteignait, et une obscurité plus terrible ressaisissait la forêt mystérieuse. LACÉPÈDE. Poélique de la musique. La grandeur, l'étonnante mélancolie de ce tableau, ne sauraient s'exprimer dans les langues humaines; les plus belles nuits en Europe ne peuvent en donner une idée. En vain, dans nos champs cultivés, l'imagination cherche à s'étendre; elle rencontre de toutes parts les habitations des hommes; mais, dans ces pays déserts, l'âme se plaît à s'enfoncer dans un océan de forêts, à errer aux bords des lacs immenses, à planer sur le gouffre des cataractes, et, pour ainsi dire, à se trouver seule devant Dieu. CHATEAUBRIAND. Génie du Christianis LE SPECTACLE d'une belle nuIT DANS LES DÉSERTS DU NOUVEAU MONDE. Une heure après le coucher du soleil, la lune se montra au-dessus des arbres; à l'horizon opposé, une brise embaumée qu'elle amenait de l'orient avec elle, semblait la précéder, comme sa fraiche haleine, dans les forêts. La reine des nuits monta peu à peu dans le ciel : tantôt elle suivait paisiblement sa course azurée, tantôt reposait sur des groupes de nues, qui ressemblaient à la cime des hautes montagnes couronnées de neige. Ces nues, ployant et déployant leurs voiles, se déroulaient en zones diaphanes de satin blanc, se dispersaient en légers flocons J'écume, ou formaient dans les cieux des bancs d'une ouate éblouissante, si doux à l'œil, qu'on croyait ressentir leur mollesse et leur élasticité. La scène, sur la terre, n'était pas moins ravissante; le jour bleuatre et velouté de la lune descendait dans les intervalles des arbres, et poussait des gerbes de lumière jusque dans l'épaisseur des plus profondes ténèbres. La rivière qui coulait à mes pieds, tour à tour se perdait dans les bois, tour à tour reparaissait toute brillante des constellations de la nuit, qu'elle répélait dans son sein. Dans une vaste prairie, de l'autre côté de cette rivière, la clarté de la lune dormait sans mouvement sur les gazons. Des bouleaux agités par les brises, et dispersés çà et là dans la savane, formaient des iles d'ombres flottantes, sur une mer immobile de lumière. Auprés, tout était silence et repos, hors la chute de quelques feuilles, le passage brusque d'un vent subit, les gémissements rares et interrompus de la bulotte; mais au loin, par intervalles, on entendait les roulements solennels de la cataracte de Niagara, qui, dans le calme de la nuit, se prolongeaient de désert en désert, et expiraient à travers les forêts solitaires. t Serpents des déserts de l'Afrique septentrionale qui se dist nguent par deux petites cornes pointues au-dessus des feux. Les charlatans des Gaules faisaient un céraste d'un LES NUAGES. Lorsque j'étais en pleine mer, et que je n'avais d'autre spectacle que le ciel et l'eau, je m'amusais quelquefois à dessiner les beaux nuages blancs et gris, semblables à des groupes de montagnes, qui voguaient à la suite les uns des autres, sur l'azur des cieux. C'était surtout vers la fin du jour qu'ils développaient toute leur beauté en se réunissant au couchant, où ils se revêtaient des plus riches couleurs, et se combinaient sous les formes les plus magnifiques. Un soir, environ une demi-heure avant le coucher du soleil, le vent alizé du sud-est se ralentit, comme il arrive d'ordinaire vers ce temps. Les nuages, qu'il voiture dans le ciel à des distances égales comme son souffle, devinrent plus rares, ct ceux de la partie de l'ouest s'arrêtèrent et se groupèrent entre eux sous les formes d'un paysage'. Ils représentaient une grande terre formée de hautes montagnes, séparées par des vallées profondes, et surmontées de rochers pyramidaux. Sur leurs sommets et leurs flancs, apparaissaient des brouillards détachés, semblables à ceux qui s'élèvent des terres véritables. Un long fleuve semblait circuler dans les vallons, et tomber çà et là en cataractes; il était traversé par un grand pont, appuyé sur des arcades à demi ruinées. Des bosquets de cocotiers, au centre desquels on entrevoyait des habitations, s'élevaient sur les croupes et les profils de cette ile aérienne. Tous ces objets n'étaient point revêtus de ces riches teintes de pourpre, de jaune doré, de nacarat, d'émeraude; si communes le soir dans les couchants de ces parages; ce paysage n'était point un tableau colorié c'était une simple estampe, où se réunissaient tous les accords de la lumière et des ombres. Il représentait une contrée éclairée, non en face des rayons du soleil, mais par derrière, de leurs simples reflets. En effet, dès que l'astre du serpent ordinaire, en lui implantant dans le front des ongles d'oiseau. (N. E.) Espèce de chouette. (N. E.) four se fut caché derrière lui, quelques-uns de ces rayons décomposés éclairèrent les arcades demitransparentes du pont, d'une couleur ponceau, se reflétèrent dans les vallons et au sommet des rochers, tandis que des torrents de lumière couvraient ses contours de l'or le plus pur, et divergeaient vers les cieux comme les rayons d'une gloire; mais la masse entière resta dans sa demiteinte obscure, et on voyait, autour des nuages qui s'élevaient de ses flancs, les lueurs des tonnerres dont on entendait les roulements lointains. On aurait juré que c'était une terre véritable, située environ à une lieue et demie de nous. Peut-être était-ce une de ces réverbérations célestes de quelque ile très-éloignée, dont les nuages nous répétaient la forme par leurs échos. Plus d'une fois des marins expérimentés ont été trompés par de semblables aspects. Quoi qu'il en soit, tout cet appareil fantastique de magnificence et de terreur, ces montagnes surmontées de palmiers, ces orages qui grondaient sur leurs sommets, ce fleuve, ce pont, tout se fondit et disparut à l'arrivée de la nuit, comme les illusions du monde aux approches de la mort. L'astre des nuits, la triple Hécate, qui répète par des harmonies plus douces celles de l'astre du jour, en se levant sur l'horizon, dissipa l'empire de la lumière, et fit régner celui des ombres. Bientôt des étoiles innombrables et d'un éclat éternel brillèrent au sein des ténèbres. Oh! si le jour n'est lui-même qu'une image de la vie, si les heures rapides de l'aube, du matin, du midi et du soir, représentent les âges si fugitifs de l'enfance, de la jeunesse, de la virilité et de la vieillesse, la mort, comme la nuit, doit nous découvrir aussi de nouveaux cieux et de nouveaux mondes! BERNARDIN DE SAINT-PIERRE. Harmonies de la nature. BIENFAITS DES VENTS. Ici, comme dans toutes ses œuvres, le Créateur manifeste sa sagesse et sa bonté. Il règle le mouvement, la force et la durée des vents, et il leur prescrit la carrière qu'ils doivent parcourir. Lorsqu'une longue sécheresse fait languir les animaux et dessécher les plantes, un vent qui vient du côté de la mer, où il s'est chargé de vapeurs bienfaisantes, abreuve les prairies et ranime toute la nature. Cet objet est-il rempli, un vent sec accourt de l'orient, rend à l'air sa sérénité, et ramène le beau temps. Le vent du nord emporte et précipite toutes les vapeurs nuisibles de l'air d'automne. A l'apre vent du septentrion succède le vent du sud, qui, naissant des contrées méridionales, remplit tout de sa chaleur vivifiante. Ainsi, par ces variations continuelles, la fertilité et la santé sont maintenues sur la terre. Du sein de l'Océan s'élèvent dans l'atmosphère des fleuves qui vont couler dans les deux mondes. Dieu ordonne aux vents de les distribuer et sur les iles et sur les continents: ces invisibles enfants de l'air les transportent sous mille formes diverses; tantôt ils les étendent dans le ciel comme des voiles d'or et des pavillons de soie; tantôt ils les roulent en forme d'horribles dragons et de lions rugissants qui vomissent les feux du tonnerre ; ils les versent sur les montagnes, en rosées, en pluies. en grêle, en neige, en torrents impétueux. Quelque bizarres que paraissent leurs services, chaque partie de la terre en reçoit tous les ans sa portion d'eau, et en éprouve l'influence. Chemin faisant, ils déploient sur les plaines liquides de la mer la variété de leurs caractères : les uns rident à peine la surface de ses flots; les autres les roulent en ondes d'azur; ceux-ci les bouleversent en mugissant, et couvrent d'écume les plus hauts promontoires. COUSIN-DESPRÉAUX. Leçons de la nature. DE LA NATURE DANS L'AMÉRIQUE MÉRIDIONALE. Dans ces contrées de l'Amérique méridionale, où la nature plus active fait descendre à grands flots, du sommet des hautes Cordilières, des fleuves immenses, dont les eaux, s'étendant en liberté, inondent au loin des campagnes nouvelles, et où la main de l'homme n'a jamais opposé aucun obstacle à leur cours; sur les rives limoneuses de ces fleuves rapides, s'élèvent de vastes et antiques forêts. L'humidité chaude et vivifiante qui les abreuve devient la source intarissable d'une verdure toujours nouvelle pour ces bois touffus, image sans cesse renaissante d'une fécondité sans bornes, et où il semble que la nature, dans toute la vigueur de la jeunesse, se plait à entasser les germes productifs. Les végétaux ne croissent pas seuls au milieu de ces vastes solitudes; la nature a jeté sur ces grandes productions la variété, le mouvement et la vie. En attendant que l'homme vienne régner au milieu de ces forêts, elles sont le domaine de plusieurs animaux qui, les uns par la beauté de leurs écailles, l'éclat de leurs couleurs, la vivacité de leurs mouvements, l'agilité de leut course, les autres par la fraîcheur de leur plumage, l'agrément de leur parure, la rapidité de leur vol, tous par la diversité de leurs formes, font, des vastes contrées du nouveau monde, un grand et magnifique tableau, une scène animée, aussi variée qu'immense. D'un côté, des onder majestueuses roulent avec bruit; de l'autre, des flots écumants se précipitent avec fracas des ro chers élevés, et des tourbillons de vapeurs réfléchissent au loin les rayons éblouissants du soleil; ici, l'émail des fleurs se mêle au brillant de la verdure, et est effacé par l'éclat plus brillant encore du plumage varié des oiseaux; là, des couleurs plus vives, parce qu'elles sont renvoyées par des corps plus polis, forment la parure de ces grands quadrupedes ovipares, de ces gros lézards que l'on est tout étonné de voir décorer le sommet des arbres et partager la demeure des habitants ailės. LACEPEDE. Histoire naturelle des ovipares. ROME ANTIQUE. J'errais sans cesse du Forum au Capitole, du quartier des Carènes au Champ-de-Mars; je courais au théâtre de Germanicus, au môle d'Adrien, au cirque de Néron, au Panthéon d'Agrippa; je ne pouvais me lasser de voir le mouvement d'un peuple composé de tous les peuples de la terre, et la marche des ces troupes romaines, gauloises, germaniques, grecques, africaines, chacune différemment armée et vêtue. Un vieux Sabin passait avec ses sandales d'écorce de bouleau auprès d'un sénateur couvert de pourpre; la litière d'un consulaire était arrêtée par le char d'une courtisane; les grands bœufs du Clitumne traînaient au Forum l'antique chariot du Volsque; l'équipage de chasse d'un chevalier romain embarrassait la voie Sacrée ; des prêtres couraient encenser leurs dieux, et des rhéteurs ouvrir leurs écoles. Que de fois j'ai visité ces thermes ornés de bibliothèques, ces palais, les uns déjà croulants, les autres à moitié démolis pour servir à construire d'autres édifices! La grandeur de l'horizon romain se mariant aux grandes lignes de l'architecture romaine: ces aqueducs qui, comme des rayons aboutissant à un même centre, amènent les eaux au peuple-roi sur des arcs de triomphe: le bruit sans fin des fontaines ces innombrables statues qui ressemblent à un peuple immobile au milieu d'un peuple agité : ces monuments de tous les âges et de tous les pays: ces travaux des rois, des consuls, des césars: ces obélisques ravis à l'Égypte, ces tombeaux enlevés à la Grèce je ne sais quelle beauté dans la lumière, les vapeurs et le dessin des montagnes : la rudesse même du cours du Tibre: les troupeaux de cavales demi-sauvages qui viennent s'abreuver dans ses eaux : cette campagne que le citoyen de Rome dédaigne maintenant de cultiver, se réservant à déclarer chaque année aux nations esclaves quelle partie de la terre aura l'honneur de le nourrir que vous dirai-je enfin? tout porte, à Rome, l'empreinte de la domination et de la durée : j'ai vu la carte de la ville éternelle tracée CAMPAGNE ET ASPECT DE ROME MODERNE. Figurez-vous quelque chose de la désolation de Tyr et de Babylone, dont parle l'Écriture; un silence et une solitude aussi vaste que le bruit et le tumulte des hommes qui se pressaient jadis sur ce sol. On croit y entendre retentir cette malédiction du prophète: Venient tibi duo hæc subito in die und, sterilitas et viduitas. Vous apercevez çà et là quelques bouts de voies romaines, dans les lieux où il ne passe plus personne, quelques traces desséchées des torrents de l'hiver, qui, vues de loin, ont elles-mêmes l'air de grands chemins battus et fréquentés, et qui ne sont que le lit désert d'une onde orageuse qui s'est écouléo comme le peuple romain. A peine découvrez-vous quelques arbres; mais vous voyez partout des ruines d'aqueducs et de tombeaux, qui semblent être les forêts et les plantes indigènes d'une terre composée de la poussière des morts et des débris des empires. Souvent, dans une grande plaine, j'ai cru voir de riches moissons; je m'en approchais, et ce n'étaient que des herbes flétries qui avaient trompé mon œil; quelquefois, sous ces moissons stériles, vous distinguez les traces d'une ancienne culture. Point d'oiseaux, point de laboureurs, point de mouvements champêtres, point de mugissements de troupeaux, point de villages. Un petit nombre de fermes délabrées se montrent sur la nudité des champs les fenêtres et les portes en sont fermées; il n'en sort ni fumée, ni bruit, ni habitants; une espèce de sauvage presque nu, pâle et miné par la fièvre, garde seulement ces tristes chaumières, comme ces spectres qui, dans nos histoires gothiques, défendent l'entrée de châteaux abandonnés. Enfin, l'on dirait qu'aucune nation n'a osé succéder aux maîtres du monde dans leur terre natale, et que vous voyez ces champs, tels que les a laissés le soc de Cincinnatus, ou la dernière charrue romaine. C'est du milieu de ce terrain inculte, que domine et qu'attriste encore un monument appelé par la voix populaire, le tombeau de Néron, que s'élève la grande ombre de la ville éternelle. Déchue de sa puissance terrestre, elle semble, dans son orgueil, avoir voulu s'isoler ; elle s'est séparée des autres cités de la terre, et, comme une reine tombée du trône, elle a noblement caché ses malheurs dans la solitude. Il me serait impossible de vous peindre ce qu'on éprouve, lorsque Rome vous apparait tout A Voyez Descriptions en vers. à coup au milieu de ces royaumes vides, inania regna, et qu'elle a l'air de s'élever pour vous de la tombe où elle était couchée. Tâchez de vous figurer ce trouble et cet étonnement qu'éprouvaient les prophètes, lorsque Dieu leur envoyait la vision de quelque cité à laquelle il avait attaché les destinées de son peuple. La multitude des souvenirs, l'abondance des sentiments vous oppressent, et votre âme est bouleversée à l'aspect de cette Rome qui a recueilli deux fois la succession du monde, comme héritière de Saturne et de Jacob. LE MÊME. Itinéraire. RÉVEIL D'UN CAMP. Épuisé par les travaux de la journée, je n'avais, durant la nuit, que quelques heures pour délasser mes membres fatigués. Souvent il m'arrivait, pendant ce court repos, d'oublier ma nouvelle fortune: lorsqu'aux premières blancheurs de l'aubet, les trompettes du camp venaient à sonner l'air de Diane, j'étais étonné d'ouvrir les yeux au milieu des bois. Il y avait pourtant un charme à ce réveil du guerrier échappé aux périls de la nuit. Je n'ai jamais entendu, sans une certaine joie belliqueuse, la fanfare du clairon, répétée par l'écho des rochers, et les premiers hennissements des chevaux qui saluaient l'aurore. J'aimais à voir le camp plongé dans le sommeil, les tentes encore fermées, d'où sortaient quelques soldats à moitié vêtus, le centurion qui se promenait devant les faisceaux d'armes en balançant son cep de vigne, la sentinelle immobile qui, pour résister au sommeil, tenait un doigt levé dans l'attitude du silence, le cavalier qui traversait le fleuve coloré des feux du matin, le victimaire qui puisait l'eau du sacrifice, et souvent un berger appuyé sur sa houlette, qui regardait boire son troupeau. LE MÊME, Les Martyrs. LE GRAND GÉNÉRAL ET SON ARMÉE, AU MOMENT D'UNE BATAILLE. Quel moment qu'une bataille, pour un homme el que Catinat, déjà familiarisé avec l'art de vaincre, et capable de la considérer en philosophe, en même temps qu'il la dirigeait en guerrier! Quel spectacle que cette foule d'hommes rassemblés de toutes parts, qui tous semblent n'avoir alors d'autre âme que celle que leur donne le général; qui, agrandis les uns par les autres, élevés au-dessus d'eux-mêmes, vont exécuter des prodiges dont peut-être chacun d'eux, abandonné à ses propres forces, n'eût jamais conçu l'idée ! Ah! la multitude est dans la main du grand homme; on n'en fait rien qu'en la transformant, pour ainsi dire, qu'en faisant passer en elle un instinct qui la domine, et qu'elle n'est pas maitresse de repousser. Alors le péril, la mort, la crainte, les petits intérêts, les passions viles s'éloignent et disparaissent; le cri de l'honneur, plus fort, plus imposant, plus retentissant que le bruit des instruments militaires et que le fracas des foudres, fait naître dans tous les esprits un même enthousiasme; le général le meut, le dirige, l'anime, et ne le ressent pas; seul, il n'en a pas besoin. La pensée du salut de tous le remplit sans l'agiter elle occupe toutes les forces de sa raison recueillies. Tout ce qui se fait de grand lui appartient, et lui-même est au-dessus de cette grandeur. Son œil, toujours attaché sur la victoire, la suit dans tous les mouvements qui semblent l'éloigner ou la rapprocher'; il la fixe, l'enchaîne enfin, et, voyant alors tout le sang qu'elle a coûté, il se détourne du carnage, et se console en regardant la patrie. LA HARPE. Éloge de Catinal. MÊME SUJET SOUS UN AUTRE POINT DE VUE. S'il y a une occasion au monde où l'âme pleine d'elle-même soit en danger d'oublier son Dieu, c'est dans ces postes éclatants où un homme, par la sagesse de sa conduite, par la grandeur de son courage, par la force de son bras, et par le nombre de ses soldats, devient comme le Dieu des autres hommes, et, rempli de gloire en luimême, remplit tout le reste du monde d'amour, d'admiration ou de frayeur. Les dehors mêmes de la guerre, le son des instruments, l'éclat des armes, l'ordre des troupes, le silence des soldats, l'ardeur de la mêlée, le commencement, le progrès et la consomination de la victoire, les cris différents des vaincus et des vainqueurs, attaquent l'âme par tant d'endroits, qu'enlevée à tout ce qu'elle a de sagesse et de modération, elle ne connaît ni Dieu, ni elle-même. C'est alors que les impies Salmonées 1, osent imiter le tonnerre de Dieu, et répondre par les foudres de la terre aux foudres du ciel c'est alors que les sacriléges Antiochus n'adorent que leurs bras et leur cœur, et que les insolents Pharaons, enflés de leur puissance, s'écrient: C'est moi qui me suis fait moi-même! Mais aussi la religion et 1 Vidi et crudeles dantem Salmonea pœnas, Dum flammas Jovis et sonitus imitatur Olympi, Demens! qui nimbos et non imitabile fulmen, ære et coruipedum pulsu simulârat equorum. VIRG. Æneid.. 1. v 583 (N EI l'humanité ne paraissent-elles jamais plus majestueuses que lorsque dans ce point de gloire et de grandeur, elles retiennent le cœur de l'homme dans la soumission et la dépendance où la créature doit être à l'égard de son Dieu. MASCARON. Oraison funèbre de M. de Turenne. PRIÈRE DU SOIR A BORD D'UN VAISSEAU. I globe du soleil, dont nos yeux pouvaient alors soutenir l'éclat, prêt à se plonger dans les vagues étincelantes, apparaissait entre les cordages du vaisseau, et versait encore le jour dans des espaces sans bornes. On eût dit, par le balancement de la poupe, que l'astre radieux changeait à chaque instant d'horizon. Les mâts, les haubans, les vergues du navire étaient couverts d'une teinte de rose. Quelques nuages erraient sans ordre dans l'orient, où la lune montait avec lenteur. Le reste du ciel était pur; et, à l'horizon du nord, formant un glorieux triangle avec l'astre du jour et celui de la nuit, une trombe chargée des couleurs du prisme s'élevait de la mer comme une colonne de cristal supportant la voûte du ciel. Il eût été bien à plaindre celui qui, dans ce beau spectacle, n'eût pas reconnu la beauté de Dieu ! Des larmes coulèrent, malgré moi, de mes paupieres lorsque tous mes compagnons, ôtant leurs chapeaux goudronnés, vinrent à entonner, d'une voix rauque, leur simple cantique à Notre-Damede-Bon-Secours, patronne des mariniers. Qu'elle était touchante la prière de ces hommes qui, sur une planche fragile, au milieu de l'Océan, contemplaient un soleil couchant sur les flots! Comme elle allait à l'âme cette invocation du pauvre matelot à la mère de douleur! Cette humiliation devant celui qui envoie les orages et le calme; cette conscience de notre petitesse à la vue de l'infini; ces chants s'étendant au loin sur les vagues; les monstres marins, étonnés de ces accents inconnus, se précipitant au fond de leurs gouffres; la nuit s'approchant avec ses embûches; la merveille de notre vaisseau au milieu de tant de merveilles; un équipage religieux, saisi d'admiration et de crainte; un prêtre auguste en prière Dieu penché sur l'abime, d'une main retenant le soleil aux portes de l'occident, de F'autre élevant la lune à l'horizon opposé, et prêtant, à travers l'immensité, une oreille attentive à la faible voix de sa créature: voilà ce que l'on ne saurait peindre et ce que tout le cœur de l'homme suffit à peine pour sentir 1. CHATEAUBRIAND. Génie du Christianisme. Voyez le même sujet, 2 partic. LES INVALIDES AU PIED DES AUTEL. Qui de nous n'a pas vu quelquefois ces vieux soldats qui, à toutes les heures du jour, sont prosternés çà et là sur les marbres du temple élevé au milieu de leur auguste retraite? Leurs cheveux, que le temps a blanchis, leur front, que la guerre a cicatrisé, ce tremblement, que l'âge seul a pu leur imprimer, tout en eux inspire d'abord le respect : mais de quel sentiment n'eston pas ému lorsqu'on les voit soulever et joindre avec effort leurs mains défaillantes, pour invoquer le Dieu de l'univers et celui de leur cœur et d. leur pensée; lorsqu'on leur voit oublier, dang cette touchante dévotion, et leurs douleurs pré sentes et leurs peines passées; lorsqu'on les voi se lever avec un visage serein, et emporter dang leur àme un sentiment de tranquilité et d'espérance! Ah! ne les plaignez point dans cet instant, vous qui ne jugez du bonheur que par les joies du monde! Leurs traits sont abattus, leur corps chancelle, et la mort observe leurs pas; mais cette fin inévitable, dont la seule image vous effraye, ils la voient venir sans alarmes : ils se sont approchés par le sentiment de celui qui est bon, de celui qui peut tout, de celui qu'on n'a jamais aimé sans consolation. Venez contempler ce spec tacle, vous qui méprisez les opinions religieuses, et qui vous dites supérieurs en lumières; venez, et voyez vous-mêmes ce que peut valoir, pour le bonheur, votre prétendue science. Ah! changez donc le sort des hommes, et donnez-leur à tous, si vous le pouvez, quelque part aux délices de la terre, ou respectez un sentiment qui leur sert à repousser les injures de la fortune; et, puisque la politique des tyrans n'a jamais essayé de le détruire, puisque leur pouvoir ne serait pas assez grand pour réussir dans cette farouche entreprise, vous que la nature a mieux doués, ne soyez ni plus durs, ni plus terribles qu'eux; ou si, par une impitoyable doctrine, vous vouliez enlever aux vieillards, aux malades et aux indigents la seule idée de bonheur à laquelle ils peuvent se prendre, parcourez aussi ces prisons et ces souterrains, où des malheureux se débattent dans leurs fers, et ferm ez de vos propres mains la seule ouverture qui laisse arriver jusqu'à eux quelques rayons de lumière. NECKER. Importance des opinions religieuses LE VOLCAN DE QUITO Heureux les peuples qui cultivent les vallées et les collines que la mer forma dans son sein, des sables que roulent ses flots, des dépouilles |