de la terre! Le pasteur y conduit ses troupeaux sans alarmes; le laboureur y sème et y moissonne en paix. Mais malheur aux peuples voisins de ces montagnes sourcilleuses, dont le pied n'a jamais trempé dans l'Océan, et dont la cime s'élève au-dessus des nues! Ce sont des soupiraux que le feu souterrain s'est ouverts, en brisant la voûte des fournaises profondes où sans cesse il bouillonne. Il a formé ces monts des rochers calcinés, des métaux brûlants et liquides, des flots de cendre et de bitume qu'il lançait, et qui, dans leur chute, s'accumulaient au bord de ces gouffres ouverts! Malheur aux peuples que la fertilité de ce terrain perfide attache! Les fleurs, les fruits et les moissons couvrent l'abîme sous leurs pas. Ces germes de fécondité, dont la terre est pénétrée, sont les exhalaisons du feu qui la dévore. Sa richesse, en croissant, présage sa ruine; et c'est au sein de l'abondance qu'on lui voit engloutir ses heureux possesseurs tel est le climat de Quito. La ville est dominée par un volcan terrible, qui, par de fréquentes secousses, en ébranle les fondements. Un jour que le peuple indien, répandu dans les campagnes, labourait, semait, moissonnait (car ce riche vallon présente tous ces travaux à la fois), et que les filles du Soleil, dans l'intérieur de leur palais, étaient occupées, les unes à filer, les autres à ourdir les précieux tissus de laine dont le pontife et le roi sont vêtus, un bruit sourd se fait d'abord entendre dans les entrailles du volcan. Ce bruit, semblable à celui de la mer lorsqu'elle conçoit les tempêtes, s'accroît et se change bientôt en un mugissement profond. La terre tremble, le ciel gronde, de noires vapeurs l'enveloppent, le temple et les palais chancellent et menacent de s'écrouler; la montagne s'ébranle, et sa cime entr'ouverte vomit, avec les vents enfermés dans son sein, des flots de bitume liquide et des tourbillons de fumée qui rougissent, s'enflamment et lancent dans les airs des éclats de rochers brûlants qu'ils ont détachés de l'abime superbe et terrible spectacle, de voir des rivières de feu bondir à flots étincelants à travers des monceaux de neige, et s'y creuser un lit vaste et profond ! Dans les murs, hors des murs, la désolation, l'épouvante, le vertige de la terreur se répandent en un instant. Le laboureur regarde et reste immobile. Il n'oserait entamer la terre qu'il sent comme une mer flottante sous ses pas. Parmi les prètres du Soleil, les uns tremblants s'élancent hors du temple; les autres consternés embrassent l'autel de leur dieu. Les vierges éperdues sortent de leur palais, dont les toits menacent de fondre sur leur tête; et courant dans leur vaste enclos, ales, échevelées. elles tendent leurs mains timides vers ces murs, d'où la pitié même n'ose approcher pour les secourir. MARMONTEL. Les Incas. L'ÉRUPTION D'UN VOLCAN, ET SES RAVAGES. Tout à coup, au milieu du silence de la nuit, un bruit affreux retentit à leurs oreilles; ils en tendent de loin la mer-mugir, et rouler vers le rivage ses ondes amoncelées; les souterrains profonds sont frappés à coups redoublés, la terre tremble sous leurs pas; ils courent pleins d'effroi au milieu des ténèbres épaisses. Une montagne voisine, s'entr'ouvrant avec effort, lance au plus haut des airs une colonne ardente qui répand, au milieu de l'obscurité, une lumière rougeâtre et lugubre; des rochers énormes volent de tous côtés; la foudre éclate et tombe; une mer de feu, s'avançant avec rapidité, inonde les campagnes; à son approche, les forêts s'embrasent, la terre n'offre plus que l'image d'un vaste incendie qu'entretiennent des amas énormes de matières enflammées, et qu'animent des vents impétueux. Où fuyez-vous, mortels infortunés ? de quelque côté que vous cherchiez un asile comment éviterez-vous la mort qui vous menace? De nouveaux gouffres s'ouvrent sous vos pas, de nouveaux tourbillons de flammes, de pierres, de cendres et de fumée, volent vers vous du sommet des montagnes, et la mer écumeuse, rougie par l'éclat des foudres, surmonte son rivage, et s'avance pour vous engloutir! Cependant ces phénomènes terribles s'apaisent peu à peu; les feux s'amortissent; la mer, à demi calmée, retire en murmurant ses ondes bouillonnantes; la terre se raffermit, le bruit cesse, et le jour paraît. Quel triste et lugubre tableau présente la campagne ravagée ! Elle n'offre plus que des monceaux de cendres, que des rochers énormes entassés sans ordre, que des torrents de lave ardente, que des bois qui brûlent encore, que de tristes restes des infortunés qui ont péri au milieu de ces désastres. Un ciel couvert de nuages n'envoie sur tous ces objets lugubres qu'une clarté pâle et terne; un calme sinistre règne dans l'air; des bruits lointains annoncent de nouveaux malheurs; et la mer répond par de sourds gémissements au bruit lugubre que font entendre les profondes cavernes de la terre. Consternés, saisis d'effroi, pressés dans le seul espace où les flammes ne sont pas parvenues, les mains élevées vers le ciel qui seul peut les secourir, les hommes adressent alors leurs ardentes prières à celui qui commande à la mer et à la foudre. Leur prière est courte mais touchante ; 1 Voy. Narrations en vers. ils la recommencent souvent, et chaque fois avec un ton plus pénétré; ils cherchent en quelque sorte à faire parvenir leurs voix jusqu'à l'être dont ils implorent la clémence : tous les signes des passions qui les agitent, de l'effroi, de la vive inquiétude, de la désolation, se mêlent aux sons qu'ils profèrent, et qu'ils soutiennent avec effort 1. LACÉPÈDE. Poélique de la musique. PHOSPHORESCENCE DE LA MER. La phosphorescence des eaux de l'Océan, depuis Aristote et Pline, a été, pour les voyageurs et pour les physiciens, un égal objet d'intérêt et de méditation. Combien les phénomènes n'en sont-ils pas effectivement nombreux et variés! lei, la surface de l'Océan étincelle et brille dans toute son étendue, comme une étoffe d'argent électrisée dans l'ombre: là, se déploient les vaques en nappes immenses de soufre et de bitume mbrasés; ailleurs, on dirait une mer de lait lont on n'aperçoit pas les bornes. Bernardin de Saint-Pierre a décrit avec enthousiasme ces étoiles brillantes qui semblent jaillir par milliers du fond des eaux, et dont, ajoute-t-il avec raison, celles de nos feux d'artifice ne sont qu'une bien faible imitation. D'autres ont parlé de ces masses embrasées qui roulent sous les vagues, comme autant d'énormes boulets rouges, et nous en avons vu nous-mêmes qui ne paraissaient pas avoir moins de vingt pieds de diamètre. Plusieurs marins ont observé des parallelogrammes incandescents, des cones de lumière pirouettant sur eux-mêmes, des guirlandes éclatantes, des serpenteaux lumineux. Dans quelques lieux des mers, on voit souvent s'elancer au-dessus de leur surface des jets de feux étincelants; ailleurs, on a vu comme des nuages de lumière et de phosphore errer sur les flots au milieu des ténèbres. Quelquefois l'Océan semble comme décoré d'une immense écharpe de lumière mobile, onduleuse, dont les extrémités vont se rattacher aux bornes de l'horizon. Tous ces phénomènes, et beaucoup d'autres encore que je m'abstiens d'indiquer ici, quelque merveilleux qu'ils puissent paraître, n'en sont pas moins de la plus incontestable vérité. D'ailleurs, ils ont été plus d'une fois décrits par les voyageurs de la véracité la moins suspecte, et je les ai moi-même presque tous observés en différentes parties des mers. PÉRON. Voyage aux terres Australes, t. 1. LA CATARACTE DE NIAGARA 2. Nous arrivâmes bientôt au bord de la cataracte, qui s'annonçait par d'affreux mugissements. Elle est formée par la rivière Niagara, qui sort du lac Érié, et se jette dans le lac Ontario; sa hauteur perpendiculaire est de cent quarante-quatre pieds: depuis le lac Érié jusqu'au saut, le fleuve arrive toujours en déclinant par une pente rapide; et, au moment de la chute, c'est moins un fleuve qu'une mer, dont les torrents se pressent à la bouche béante d'un gouffre. La cataracte se divise en deux branches, et se courbe en fer à cheval Entre les deux chutes s'avance une île, creusée en dessous, qui pend, avec tous ses arbres, sur le chaos des ondes. La masse du fleuve, qui se précipite au midi, s'arrondit en un vaste cylindre, puis se déroule en nappe de neige, et brille au soleil de toutes les couleurs celle qui tombe au levant, descend dans une ombre effrayante; on dirait une colonne d'eau du déluge. Mille arce en-ciel se courbent et se croisent sur l'abîme. L'onde, frappant le roc ébranlé, rejaillit en tourbillons d'écume qui s'élèvent au-dessus des forêts, comme les fumées d'un vaste embrasement. Des pins, des noyers sauvages, des rochers taillés en forme de fantômes décorent la scène. Des aigles, entraînés par le courant d'air, descendent en tournoyant au fond du gouffre, et des carcajoux se suspendent par leurs longues queues au bout d'une branche abaissée, pour saisir dans l'abîme les cadavres brisés des élans et des ours. 3 CHATEAUBRIAND. Génie du Christianisme. LA VALLÉE DE TEMPÉ. Après avoir passé l'embouchure du Titarésius, dont les eaux sont moins pures que celles du Pénée, nous arrivâmes à Gonnus, distante de Larisse d'environ cent soixante stades. C'est là que commence la vallée, et que le fleuve est resserré entre le mont Ossa qui se trouve à sa droite, et le mont Olympe qui est à sa gauche, et dont la hauteur est d'un peu plus de dix stades *. La vallée s'étend du sud-ouest au nord-ouest; Voyez Narrations on Descriptions en vers 2 Dans l'Amérique septentrionale, au Canada. 3 Il y a probablement ici une erreur dans M. de Chateaubrand, qui aura écrit carcajoux pour kinkajoux. Le carcape, ou blaireau du Labrador, ressemble tout à fait à notre bareau, et par conséquent ne peut s'attacher par la queue aux branches des arbres, tandis que le kinkajou, qui se rapproche beaucoup du singe, peut le faire très-aisément L'erreur de M. de Chateaubriand est d'autant plus excusable qu'elle lui est commune avec d'autres écrivains (NE) 4 Le stade, d'après le calcul de l'abbé Barthélemy, vaul 94 toises 1/2. (N. E) sa longueur est de quarante stades, sa plus grande largeur d'environ deux stades et demi; mais cette largeur diminue quelquefois au point qu'elle ne paraît être que de cent pieds. Les montagnes sont couvertes de peupliers, de platanes, de frênes d'une beauté surprenante. De leur pied jaillissent des sources d'une eau pure comme le cristal; et, des intervalles qui séparent leurs sommets, s'échappe un air frais | elles agissent toutes de concert et sans bruit. L'ombre étrangère du vice les fait seule éclater par son opposition. Amyntor me répondit: Je vais vous montrer l'image de l'ambition, et les funestes effets qu'elle produit. Alors, il me conduisit dans une des gorges du mont Ossa, où l'on prétend que se donna le combat des Titans contre les dieux. C'est là qu'un torrent impétueux se précipite sur un lit de ro que l'on respire avec une volupté secrète. Lechers qu'il ébranle par la violence de ses chutes. fleuve présente presque partout un canal tran quille; et, dans certains endroits, il embrasse de petites îles, dont il éternise la verdure. Des grottes percées dans les flancs des montagnes, des pièces de gazon placées aux deux côtés du fleuve, semblent être l'asile du repos et du plai-briser les unes contre les autres dans les airs. sir. Ce qui nous étonnait le plus, était une certaine intelligence dans la distribution des ornements qui parent ces retraites. Ailleurs, c'est l'art quis efforce d'imiter la nature; ici on dirait que la nature veut imiter l'art. Les lauriers, et différentes sortes d'arbrisseaux, forment d'euxmêmes des berceaux et des bosquets, et font un beau contraste avec des bouquets de bois placés au pied de l'Olympe. Les rochers sont tapissés d'une espèce de lierre, et les arbres, ornés de plantes qui serpentent autour de leur tronc, s'entrelacent dans leurs branches, et tombent en festons et en guirlandes. Enfin, tout présente en ces beaux lieux la décoration la plus riante. De tous côtés l'œil semble respirer la fraîcheur, et l'ame recevoir un nouvel esprit de vie. Nous parvinmes en un endroit où ses vagues, for tement comprimées, cherchaient à forcer un passage: elles se heurtaient, se soulevaient, el tombaient en mugissant dans un gouffre d'où elles s'élançaient avec une nouvelle fureur pour se Les Grecs ont des sensations si vives, ils habitent un climat si chaud, qu'on ne doit pas être surpris des émotions qu'ils éprouvent à l'aspect, et même au souvenir de cette charmante vallée. Au tableau que je viens d'en ébaucher, il faut ajouter que dans le printemps elle est tout émaillee de fleurs, et qu'un nombre infini d'oiseaux y font entendre des chants que la solitude et la saison semblent rendre plus mélodicux et plus tendres. Cependant nous suivions lentement le cours du Pénée, et mes regards, quoique distraits par une foule d'objets délicieux, revenaient toujours sur ce fleuve. Tantôt je voyais ses flots étinceler à travers le feuillage dont ses bords sont ombragés; tantôt, m'approchant du rivage, je contemplais le cours paisible de ses ondes qui semblaient se soutenir mutuellement, et remplissaient leur carrière sans tumulte et sans effort. Je disais à Amyntor 1: Telle est l'image d'une âme pure et tranquille; ses vertus naissent les unes des autres, 1 Ce récit est mis dans la bouche du jeune Anacharsis Amyator est un Tuessalien qui lui evait donne l'hospitalite et qui l'accompaguait dans son voyage (N. E ) Mon âme était occupée de ce spectacle, lorsque je levai les yeux autour de moi; je me trouvai resserré entre deux montagnes noires, arides, et sillonnées dans toute leur hauteur par des abîmes profonds. Près de leurs sommets, des nuages erraient pesamment parmi les arbres funèbres, ou restaient suspendus sur leurs branches stériles. Au-dessus je vis la nature en ruine; les montagnes écroulées étaient couvertes de leurs débris, et n'offraient que des roches menaçantes et confusément entassées. Quelle puissance a donc brisé les liens de ces masses énormes? Est-ce la fu reur des aquilons? est-ce un bouleversement du globe? est-ce, en effet, la vengeance terrible des dieux contre les Titans? je l'ignore: mais, enfin, c'est dans cette affreuse vallée que les conquérants devraient venir comtempler le tableau des ravages dont ils affligent la terre. BARTHÉLENY. Voyage d'Anarcharsis. LA VALLÉE DE CAMPAN. Deux vallons, dont le premier descend du Tourmale, et l'autre des montagnes de la vallée d'Aure, se perdent au bourg de Sainte Marie, dans la vallée de Campan. Chacun de ces vallons y apporte le tribut de son torrent; et l'Adour. formé de leurs eaux confondues, après avoi baigné les riches prairies de cette vallée, rencon trant à Bagnère les plaines du Bigorres, comme charmé des contrées qu'il abandonne et de celles qu'il va parcourir, semble lutter, par ses longs circuits, contre la commune destinée des fleuves. lorsque, rencontrant le Gave à Bayonne, né à côté de lui, il s'engloutit avec lui dans les gouffres de l'Océan. Je ne peindrai point cette belle vallée qui le voit naître, cette vallée si connue, si célébrée, si digne de l'être; ces maisons si jolies et si propres, chacune entourée de sa prairie, accompagnée de son jardin, ombragée de sa toufle d'arbres; gnage de tant de siècles de gloire. CASTELLAN. Lettres sur la Morée. LES MINES ET LEURS TRAVAUX. les méandres de l'Adour plus vif qu'impétueux, | vénérables, et disparaître en un instant le témoi impatient de ses rives, mais en respectant la verdure; les molles inflexions du sol ondé comme des vagues qui se balancent sous un vent doux et léger; la gaieté des troupeaux et la richesse du berger; ces bourgs opulents, formés comme fortuitement, là où les habitations répandues dans la vallée ont redoublé de proximité; Bagnères, ce lieu charmant, où le plaisir a ses autels à côté de ceux d'Esculape, et veut être de moitié dans ses miracles; séjour délicieux, placé entre les champs du Bigorre et les prairies de Campan, comme entre la richesse et le bonheur; ce cadre, enfin, digne de la magnificence du tableau; cette fière enceinte, où la nature oppose le sauvage au champêtre ces cavernes, ces cascades, visitées par tout ce que la France a de plus aimable et de plus illustre; ces roches, trop verticales peutêtre, dont l'aridité contraste avec la parure de ces heureuses vallées, ce pic du Midi, suspendu sur leurs tranquilles retraites, comme l'épée du tyran sur la tête de Damoclès... Menaçants boulevards, qui me font trembler pour l'Élysée qu'ils renferment. RAMOND. RUINES DES MONUMENTS GRECS. L'insouciance des Turcs a fait plus de tort aux arts que la lime du temps. Ils ne se donnent pas la peine de tailler des pierres, ils démolissent de superbes édifices antiques, et se servent des matériaux pour construire des baraques. J'ai vu les ruines d'un temple de la plus riche architecture, des blocs de granit, des marbres précieux, des bas-reliefs et des ornements du plus beau fini, servir à construire une digue grossière, qui détournait les eaux d'un ruisseau pour faire tourner les roues d'un misérable moulin en bois. Ailleurs, ce sont des colonnes de tous ordres, arrachées à divers monuments pour servir de soutien au comble d'une écurie. Ici, c'est un autel qu'on a creusé en forme de mortier, qui sert à dépouiller le grain de son enveloppe ; un tombeau antique, dont on a brisé le fond, formera la margelle d'un puits, et un autre servira d'auge où les troupeaux viendront s'abreuver; une statue, qui par sa masse ne peut être déplacée, sera défigurée par les coups de la lance des fanatiques sectateurs du Coran, qui proscrit toute représentation humaine. L'on trouvera enfin dans un atelier de sculpteur, ou plutôt d'un barbare fabricant de tombeaux, des marbres dont il s'efforce d'effacer les inscriptions précieuses pour l'histoire de l'antiquité, et cela pour y substituer l'épitaphe d'un obscur descendant de Mahomet. On ne peut faire un pas sans gémir de voir dénaturer ces restes Le règne minéral n'a rien en soi d'aimable et d'attrayant; ses richesses, renfermées dans le sein de la terre, semblent avoir été éloignées des regards de l'homme, pour ne pas tenter sa cupidité elles sont là comme en réserve pour servir un jour de supplément aux véritables richesses qui sont plus à sa portée, et dont il perd le goût à mesure qu'il se corrompt. Alors il faut qu'il appelle l'industrie, la peine et le travail, au secours de ses misères ; il fouille les entrailles de la terre, il va chercher dans son centre, aux risques de sa vie et aux dépens de sa santé, des biens imaginaires à la place des biens réels qu'elle lui offrait d'elle-même quand il savait en jouir. Il fuit le soleil et le jour, qu'il n'est plus digne de voir; il s'enterre tout vivant, et fait bien, ne méritant plus de vivre à la lumière du jour. Là, des carrières, des gouffres, des forges, des fourneaux, un appareil d'enclumes, de marteaux, de fumée et de feu, succèdent aux douces images des travaux champêtres. Les visages haves des malheureux qui languissent dans les infectes vapeurs des mines, de noirs forgerons, de hideux cyclopes, sont le spectacle que l'appareil des mines substitue, au sein de la terre, à celui de la verdure et des fleurs, du ciel azuré, des bergers amoureux, et des laboureurs robustes, sur sa surface. J.-J. ROUSSEAU, OEuvres posthumes. LES TOMBEAUX AÉRIENS. La jeune mère se leva, et chercha des yeux, dans le désert embelli par l'aurore, quelque arbre sur les branches duquel elle pût exposer son fils. Elle choisit un érable à fleurs rouges, tout festonné de guirlandes d'apios, et qui exhalait les parfums les plus suaves. D'une main elle en abaissa les rameaux inférieurs; de l'autre elle y plaça le corps de son enfant laissant alors échapper la branche, la branche retourna à sa position naturelle, en emportant la dépouille de l'innocence, cachée dans un feuillage odorant. Oh! que cette coutume indienne est touchante ! Dans leurs tombeaux aériens, ces corps, pénétrés de la substance éthérée, enfoncés dans des touffes de verdure et de fleurs, rafraîchis par la rosée, embaumés par les brises, balancés par elle sur la même branche où le rossignol a bâti son nid et fait entendre sa plaintive mélodic, ces corps ainsi exposés ont perdu toute la laideur du sépulcre. Mais, si c'est la dépouille d'une jeune fille que la main d'un amant a suspendue à l'arbre de la mort; si ce sont les restes d'un enfant chéri qu'une mère a placés dans la demeure des petits oiseaux, le charme redouble encore. Arbre américain, qui, portant des corps dans tes rameaux, les éloigne du séjour des hommes, en les rapprochant de celui de Dieu, je me suis arrêté en extase sous ton ombre! dans ta sublime allégorie, tu me montrais l'arbre de la vertu ses racines croissent dans la poussière de ce monde; sa cime se perd dans les étoiles du firmament, et ses rameaux sont les seuls échelons par où l'homme, voyageur sur ce globe, puisse monter de la terre au ciel 1. CHATEAUBRIAND. Génie du Christianisme. L'AMOUR MATERNEL. Tout Paris se souvient de cette nuit désastreuse qui fut si funeste à l'amour maternel. Un ambassadeur d'Allemagne 2 faisait célébrer le mariage d'un illustre conquérant; mille flambeaux éclairaient un palais magique élevé avec autant de célérité que d'imprévoyance. Tous les arts avaient uni leurs merveilles pour enchanter ce beau lieu; les colonnes étaient couvertes de festons, de guirlandes, de chiffres enlacés, et autres ornements symboliques, auxquels un vernis combustible avait imprimé les plus fraîches couleurs. Qui eût cru que les larmes étaient si près de la joie? Un torrent de feu naquit d'une simple étincelle, et enveloppa en un instant cette belle enceinte où tant de familles réunies se livraient à l'innocent plaisir de la danse. Des cris sinistres, les gémissements prolongés de la douleur succé dèrent tout à coup au son des instruments qui avaient donné le signal de la fête; les voûtes de l'édifice tremblaient, et déjà plusieurs victimes étaient écrasées. Le peu d'eau que l'on jetait à la hate ne faisait que nourrir ce vaste embrasement; tout s'engloutissait dans ce gouffre dévorateur. On s'embarrassait dans la fuite; mais ce qu'il y avait de plus touchant au milieu de ces scènes d'horreur et de désespoir, c'est le courage sublime d'une multitude de femmes, pâles, éche velées, s'élançant au milieu des flammes et disputant leurs filles à l'horrible incendie. Toutes les craintes personnelles s'évanouissaient devant les intérêts sacrés de la maternité malheureuse. En quelques minutes. ce théâtre d'allégresse fut converti en un monceau de cendres. Une princesse adorée y perdit la vie; et le lendemain, quand on fouilla les décombres, on trouva le cadavre d'une autre mère, qui tenait le corps de son enfant étroitement embrassé; non loin d'elle on apercevait les fragments d'un collier, des bracelets, des pierreries, quelques diamants épargnés par le feu, et autres ornements, tristes restes de la vanité humaine, dont la vue affligeait les regards, en rappelant à l'âme contristée la futilité de nos biens et la fragilité de notre nature. ALIBERT. Physiologie des passions, t. 11 LES FEUILLES. La racine étant presque toujours dérobée aux regards, on peut dire que le feuillage donne seul un caractère à la plante. Il croît avec elle; il la dirige dans les airs où il protége de son abri les tendres rameaux. Chargé de fonctions absorbantes et sécrétoires, il est à la fois le pourvoyeur et l'ornement de la tige à laquelle il communique son balancement onduleux. Aussi quelle prévoyance dans le bouton qui le contient! Celui-ci, formé dans l'aisselle d'une feuille qui le nourrit et l'enveloppe de son pétiole, ne présente d'abord qu'un point presque imperceptible. Il croît graduellement et se montre d'une manière plus distincte aux approches de l'hiver, époque à laquelle les frimas lui enlèvent sa protectrice. Mais, si ce secours lui manque, c'est qu'il est déjà pourvu des pellicules et des gommes sous lesquelles il peut braver impunément la rude saison. C'est donc dans cet espace étroit que, pliés selon leurs formes, les divers feuillages attendent le printemps. A peine le soleil de mars a réchauffé la terre, qu'on les voit, de toutes parts, abandonner, déchirer, ou chasser les tuniques qui leur ont servi de berceau. Les arbres se coifient de vertes chevelures, sous lesquelles leurs fronts cannelés se rajeunissent. Variées dans leur port comme dans leurs teintes, elles se groupent, se divisent, s'étalent ou flottent avec grâce. Tantôt agréables pendentifs, elles s'arquent et retombent en guirlandes ; tantôt moins modestes, elles s'élèvent à la manière de faisceaux, de gerbes ou d'obélisques. Ici c'est une flèche que l'on décoche; là c'est une touffe azurée qui se marie élégamment à l'horizon. Des feuilles innombrables se sont tout à coup étendues dans les airs, pareilles à l'épée qui sort du fourreau, à l'éventail que l'on déplisse, ou à la pièce d'étoffe que l'on déroule. Peu de jours viennent de s'écouler, et les bosquets se sont si bien enlacés, l'ombre s'est tellement épaissie, que l'on serait tenté de demander où donc avaient été mises en 1 Voyez Tableaux en vers, même sujet. Le 1er juillet 1810, le prince de Schwartzenberg, ambassadeur d'Autriche, donna cette fête à l'occasion du mariage de l'empereur Napoléon et de l'impératrice Marie-Louise Les deux princesses qui y périrent sont la princesse de Schwartzenberg et la princesse de Leyen. (N. E.) |