réserve ces riches et fraiches tentures, dont s'est paré dans un instant le séjour de la race humaine. KERATRY. Inductions morales et physiologiques, liv. 1, ch. VIII. LE LYS ET LA ROSE. Pour me montrer le caractère d'une fleur, les botanistes me la font voir sèche, décolorée et étendue dans un herbier. Est-ce dans cet état que je reconnaîtrai un lis? N'est-ce pas sur le bord d'un ruisseau, élevant au milieu des herbes sa tige auguste, et réfléchissant dans les eaux ses beaux calices plus blancs que l'ivoire, que j'admirera le roi des vallées ? Sa blancheur incomparable n'est-elle pas encore plus éclatante quand elle est mouchetée, comme des gouttes de corail, par de petits scarabées, écarlates, hémisphériques, piquetés de noir, qui y cherchent presque toujours un asile? Qui est-ce qui peut reconnaitre dans une rose sèche la reine des fleurs? Pour qu'elle soit à la fois un objet de l'amour et de la philosophie, il faut la voir, lorsque, sortant des fentes d'un rocher humide, elle brille sur sa propre verdure, que le zéphyr la balance sur sa tige hérissée d'épines, que l'aurore l'a couverte de pleurs, et qu'elle appelle par son éclat et par ses parfums la main des amants. Quelquefois une cantharide, nichée dans sa corolle, en relève le earmin par son vert d'émeraude : c'est alors que cette fleur semble nous dire que, symbole du plaisir par ses charmes et par sa rapidité, elle porte comme lui le danger autour d'elle, et le repentir dans son sein. BERNARDIN DE SAINT-PIERRE. Études de la nature. LA ROSE ET LE PAPILLON. La puissance animale est d'un ordre bien supérieur à la végétale. Le papillon est plus beau et mieux organisé que la rose. Voyez la reine des fleurs, formée de portions sphériques teintes de la plus riche des couleurs, contrastée par un feuillage du plus beau vert et balancée par le zéphyr; le papillon la surpasse en harmonie de couleurs, de formes et de mouvements. Considérez avec quel art sont composées les quatre ailes dont il vole, la régularité des écailles qui le recouvrent comme des plumes, la variété de leurs teintes brillantes, les six pattes armées de griffes avec lesquelles il résiste aux vents dans son repos, la trompe roulée dont il pompe sa nourriture au sein des fleurs, les antennes, organes exquis du toucher, qui couronnent sa tête, et le réseau admirable d'yeux dont elle est entourée, au nombre de plus de douze mille. Mais, ce qui le rend bien supérieur à la rose, il a, outre la beauté des formes, les facultés de voir, d'ouïr, d'odorer, de savourer, de sentir, de se mouvoir, de vouloir, enfin une âme douée de passions et d'intelligence. C'est pour le nourrir que la rose entr'ouvre les glandes nectarées de son sein; c'est pour en protéger les œufs collés comme un bracelet autour de ses branches, qu'elle est entourée d'épines. La rose ne voit ni n'entend l'enfant qui accourt pour la cueillir; mais le papillon, posé sur elle, échappe à la main prête à le saisir, s'élève dans les airs, s'abaisse, s'éloigne, se rapproche; et, après s'être joué du chasseur, il prend sa volée, et va chercher sur d'autres fleurs une retraite plus tranquille 1. LE MÊME. Harmonies de la nature LES OISEAUX ET LES POISSONS. Jusque dans les derniers détails, l'économie tout entière des poissons contraste avec celle des oiseaux. L'être aérien découvre nettement un horizon immense; son ouïe subtile apprécie tous les sons, toutes les intonations; sa voix les reproduit si son bec est dur, si son corps a dû être enveloppé d'un duvet qui le préservât du froid des hautes régions qu'il visite, il retrouve dans ses pattes toute la perfection du toucher le plus délicat. Il jouit de toutes les douceurs de l'amour conjugal et paternel; il en remplit les devoirs avec courage les époux se défendent, défendent leur progéniture. Un art surprenant préside à la construction de leur demeure; quand le temps est venu, ils y travaillent ensemble et sans relâche: pendant que la mère couve ses œufs avec une constance si admirable, le père, d'amant passionné devenu tendre époux, charme par ses chants les ennuis de sa compagne. Dans l'esclavage même, l'oiseau s'attache à son maître; il se soumet à lui et exécute, sous ses ordres, les actes les plus adroits, les plus délicats: il chasse pour lui comme un chien, il revient à sa voix du plus haut des airs; ilimite jusqu'à son langage, et ce n'est qu'avec peine que l'on se décide à lui refuser une espèce de raison. L'habitant des eaux, au contraire, ne s'attache point, n'a point de langage, point d'affection; i ne sait ce que c'est que d'être époux et père, ni que de se préparer un abii: dans le danger, i se cache sous les rochers de la mer, ou se précipite dans la profondeur des eaux ; sa vie est silencieuse et monotone; sa voracité seule l'occupe, et ce n'est que par elle qu'on peut lui enseigner à diriger ses mouvements par des signes venus du dehors. Et cependant ces êtres, à qui il a été ménagé si peu de jouissances, ont été ornés par 1 Voyez, 2 part, le Papillon. la nature de tous les genres de beauté : variété dans les formes, élégance dans les proportions, diversité et vivacité de couleurs, rien ne leur manque pour attirer l'attention de l'homme, et il semble que ce soit cette attention qu'en effet la nature ait eu le dessein d'exciter : l'éclat de tous les métaux, de toutes les pierres précieuses dont ils resplendissent, les couleurs de l'iris qui se brisent, se reflètent en bandes, en taches, en lignes onduleuses, anguleuses, et toujours régulières, symétriques, toujours de nuances admirablement assorties ou contrastées, pour qui auraient-ils reçu tous ces dons, eux qui ne peuvent au plus que s'entrevoir dans ces profondeurs où la lumière a peine à pénétrer; et, quand ils se verraient, quel genre de plaisir pourraient réveiller en eux de pareils rapports? CUVIER, Histoire des poissons, liv. 11, ch. ter. FAIBLESSE DU POUVOIR DE L'HOMME CONTRE CELUI DE LA NATURE. Nous ne voyons l'ordre que là où nous voyons notre blé. L'habitude où nous sommes de resserrer dans des digues le canal de nos rivières, de sabler nos grands chemins, d'aligner les allées de nos jardins, de tracer leurs bassins au cordeau, d'équarrir nos parterres et même nos arbres, nous accoutume à considérer tout ce qui s'écarte de notre équerre, comme livré à la confusion. Mais c'est dans les lieux où nous avons mis la main que l'on voit souvent un véritable désordre. Nous faisons jaillir des jets d'eau sur des montagnes; nous plantons des peupliers et des tilleuls sur des rochers; nous mettons des vignobles dans des vallées, et des prairies sur des collines. Pour peu que ces travaux soient négligés, tous ces petits nivellements sont bientôt confondus sous le niveau général des continents, et toutes ces cultures humaines disparaissent sous celles de la nature. Les pièces d'eau se changent en marais, les murs de charmille se hérissent, tous les berceaux s'obstruent, toutes les avenues se ferment, les végétaux naturels à chaque sol déclarent la guerre aux végétaux étrangers, les chardons étoilés et les vigoureux verbascums étouffent sous leurs larges feuilles les gazons anglais; des foules épaisses de graminées et de trèfles se réunissent autour des arbres de Judée ; les ronces du chien y grimpent avec leurs crochets, comme si elles y montaient à l'assaut; des touffes d'orties s'emparent de l'urne des naïades, et des forêts de roseaux des forges de Vulcain; des plaques verdâtres de minium rongent les visages de Vénus, sans respecter leur beauté. Les arbres mêmes assiégent le château; les cerisiers sauvages, les ormes, les érables montent sur ces combles, enfoncent leurs longs pivots dans ces frontons élevés, et dominent eniin sur ces coupoles orgueilleuses. Les ruines d'un parc ne sont pas moins dignes des réflexions du sage que celles des empires: elles montrent également combien le pouvoir de l'homme est faible quand il lutte contre celui de la nature. BERNARDIN DE SAINT-PERRE. Études de la nature. LES QUATRE SAISONS. LE PRINTEMPS. Le soleil entrait à peine dans le signe du Tau reau. A l'éclat monotone des neiges de l'Apennic avait succédé la fleur de la blanche épine. Déja même commençait l'agréable lutte des zéphyrs et du lilas flexible, dont la tendre couleur annonçait le premier sourire de la nature. La rose n'avait pas encore exhalé ses voluptueux parfums; mais l'humble violette embaumait les forêts, et des milliers de feuilles d'un vert tendre s'échappaient du sein des bourgeons vivifiés par une rosée bienfaisante. Chaque feuille recélait une perle liquide; et, lorsqu'un vent frais et doux agitait la cime des arbres, des gouttes pures et limpides humectaient la terre, l'insecte réjoui s'agitait sous l'herbe, et l'oiseau, en battant des ailes, s'abreuvait de la liqueur divine. O Tivoli fille de Tibur, et vous aussi, antiques monuments des arts, de votre enceinte sacrée l'œil peut voir à la fois les noirs frimas fuir au loin vers les régions hyperborées, et la féconde nature vous couvrir de guirlandes nouvelles, semblables à ces vieillards de la paisible Arcadie, assis à l'ombre d'un chêne, et couronnés de fleurs par des enfants. Dans cette saison fortunée, ô Tivoli ! je foulai, pour la première fois, ton sol antique. Mes regards se portèrent avidement sur ta grande cascade. Jamais ce sublime caprice de la nature n'avait paru plus imposant aux yeux du voyageur étonné. Les flots de l'Aniéno, transformés en une nappe immense, se précipitaient, avec un bruit pareil à celui du tonnerre, dans le vaste bassin que lui avait creusé la nature. Le Vésuve en furie mugit avec moins de majesté. O miracle de l'harmonie! à travers le bruissement de l'onde écumante, on distinguait par intervalles le chant mélodieux de Philomèle 1. L'ÉTÉ. La nuit ne luttait plus qu'avec des forces iné gales contre les feux dont le soleil, vers le milieu du printemps, embrase la belle Ausonie. Une atmosphère de jeunesse et d'amour était répandue 1 Voyez Definitions, les Quatre Saisons de Girodet, sur toute la nature. Le désir, la volupté, la vie, circulaient dans l'air. L'oiseau soucieux volti geait, en battant des ailes, autour du nid tissu par sa merveilleuse industrie, et qui bientôt devait recéler ses petits, près de briser leur enveloppe fragile. Cependant le chêne altier n'offrait point encore une barrière impénétrable aux brûlantes ardeurs du midi. Toutes les fleurs de la saison n'étaient point écloses ;-celles qui appartiennent aux derniers jours du printemps avaient seules reçu, par leurs stigmates 1, cette poussière mystérieuse, qui, s'élançant des anthères du fleuron male, et portée sur l'aile du Zéphire, va féconder l'amoureux pistil de la fleur; on voyait même T'abeille dorée et le brillant papillon, chargés du précieux pollen, seconder, en suçant le nectar des fleurs, les essais incertains de l'amant léger de Flore. Enfin la nature n'avait pas encore achevé de développer ses richesses, mais elle se montrait dans toute sa grâce et sa fraîcheur première. Telle on voit une jeune fille à peine adolescente, dont La taille svelte et légère promet à l'hymen mille trésors et les voluptés du ciel, tandis que son joli visage offre encore quelques-uns des traits à demi ébauchés de l'enfance. L'AUTOMNE. Une teinte pourprée s'étendait sur l'horizon. Des nuages de couleur d'ambre flottaient avec grace et paraissaient disposés à se grouper vers un centre commun. Soudain ces nuages s'écartent, et le soleil couchant se montre dans toute sa splendeur. Tel un monarque, assis sur un trône éclatant de rubis et d'opale, annonce, par un coup d'œil, qu'il daigne se manifester aux regards de ses peuples; la foule des courtisans se précipite, et tous se prosternent à ses pieds. De loin on entendait le mugissement du taureau précurseur, et celui des vaches paisibles qui, dans leur marche lentement tumultueuse, se pressaient vers leur étable; ensuite le bèlement des agneaux, et la clochette du mouton favori, dont le son argentin se perdait insensiblement dans les airs. A ces bruits confus, mais non discordants, se mêlait le chant virginal des jeunes filles de Tibur, dont les accents mesurés célébraient le déclin du jour; un chœur d'oiseaux d'espèces variées répondait par intervalles à cet C'est dans les fleurs que se trouvent les organes destinés la reproduction des plantes. L'organe måle se nomme étamine, et l'organe femelle se nomme pistil. L'étamine se compose ordinairement de deux parties, le filet et l'anthère. Le & et sert de support à l'anthère; celle-ci consiste en une ou deux petites loges qui renferment une poussière ou po irn, destinée à féconder les graines. On distingue dans le pustil je l'ovaire, qui en est la base et qui contient les graines: 2o le strie, filet tubuleux qui surmonte l'ovaire; Non, ce n'est point sous les climats tempérés de la belle et riante Ausonie que le poëte doit chercher ses modèles, lorsqu'il veut peindre et les sombres hivers, et ces glaces suspendues en longs cristaux, semblables aux stalactites de la grotte d'Antiparos 2, ces cônes et ces pointes inégales qui surchargent les branches dépourvues de leur verte chevelure. Quel brillant spectacle s'offre à nos regards, lorsque le soleil, écartant avec majesté la foule des nuages montueux qui s'opposent à ses triomphes, inonde de sa bienfaisante lumière nos forêts silencieuses et nos campagnes desséchées par le souffle glacé des fougueux enfants d'Eole! J'irai donc chercher sur la cime des montagnes qui couronnent la belle et libre Helvétie, ces glaciers immenses, ces neiges éternelles dont la solidité, la teinte bleuâtre offrent au physicien philosophe une si ample matière à de nouveaux systèmes sur les époques antédiluviennes, et sur l'origine des choses. O mystères inconcevables du maître de la nature! les flancs de ces rochers sourcilleux recèlent peut-être des torrents de feux clandestins. L'Etna, couvert de neige, n'élancet-il pas vers le ciel ses laves brûlantes, et de son sein déchiré ne voit-on pas jaillir des fleuves embrasés dont les ondes solides et les filons dévastateurs fuient avec rapidité dans les campagnes, brisent et entraînent tout ce qui s'oppose à leur furie? Tel un vieillard, dont la tête est ombragée de cheveux blancs, cache dans son sein un cœur agité de passions tumultueuses. Si, pour le malheur du monde, une destinée vengeresse arme ses faibles mains du pouvoir suprême, soudain l'orage éclate, des torrents d'hommes, altérés de carnage et de sang, couvrent les riches domaines de Palès, et les empires sont détruits. Mais détournons et nos cœurs et nos yeux de ces images de désolation et de mort. D'une main légère, je vais esquisser quelques-unes des grandes scènes si variées que nous offre la saison des glaces et des noirs aquilons. 30 le stigmate, orifice extérieur de l'ovaire situé à l'extrémité du style. Le stigmate est ordinairement enduit d'une matière visqueuse destinée probablement à arrêter et à fixer la poussière fécondante qui s'échappe des anthères. (N. E.) 2 Stalactites, substances pierreuses, ordinairement de nature calcaire, et de forme cylindrique ou conique, qu'on voit pendre à la voûte des grottes. Les plus belles se trouvent dans la grotte d'Antiparos, une des iles de l'archipel grec. N. E Cités superbes, ce ne sera pas non plus dans votre sein, au milieu de vos plaisirs factices et corrupteurs, que j'irai composer le tableau des jouissances et des beautés de l'hiver. Rustique et sauvage habitant des forêts et des vallons, je ne quitterai point mon humble demeure. Et vous, somptueux habitants des villes, qui vantez, par désœuvrement, les douceurs de la vie champêtre, vous souriez de pitié à la seule idée de prolonger votre séjour aux champs durant ces longues et austères intempéries qui aflligent votre mollesse. Ah! combien il est facile de démasquer ces poétiques et mensongères amours de nos femmes et de nos gens du monde pour la vie champêtre ! Répondez, êtres frivoles : lui trouvez-vous encore des charmes durant la saison des frimas et des neiges? O nature, nature! n'aurais-tu donc, sous les lambris dorés, que des amants vulgaires? Maintenant, quittons ces imposants glaciers de la Suisse, ces brillants effets de lumière qui scintillent sur leurs pointes aiguës, ces gouffres, ces précipices recouverts d'une surface trompeuse de neige fragile sous laquelle sont cachés le désespoir et la mort, ces torrents suspendus, ces grottes sinueuses: transportons-nous dans une de ces vastes forêts non moins antiques, non moins vénérables que ces pics audacieux, voisins du ciel, et où nul être vivant ne peut respirer 1. Là se développe et fuit sous les regards un sol immense également recouvert d'une neige éclatante, dont l'œil ne peut mesurer l'étendue, ni supporter longtemps la monotone et fatigante blancheur. Des groupes imposants d'arbres au tronc noirâtre se détachent en masses colossales sur cet océan immobile qui réfléchit des myriades de faisceaux lumineux. Le regard attristé glisse ensuite et s'égare péniblement à travers ces longues branches, sur lesquelles des flocons de neige condensée remplacent les feuilles tremblantes, dont le mugissement était naguère semblable à celui des vagues de la mer; seules elles se rallient au sol par leur blancheur intermittente. Des cèdres altiers, des épines, des pins de diverses espèces, interrompent ces grands contrastes. Leurs feuilles survivancières 2 rappellent à la fois et le souvenir et l'espoir du printemps malgré leur teinte obscure et sévère, l'oeil aime à s'y reposer. Oh! quelle foule de sensations amères et d'effrayantes pensées assiége l'âme et comprime le cœur de l'infortuné qui s'est égaré au milieu de ces vastes solitudes! La nuit s'approche, le froid augmente, ses membres s'engourdissent, et Dans les forêts de la Russie. (N. E.) Qui survivent à l'automne, perpétuelles; expression peu usitée. (N. E.) cependant son pouls bat avec violence: il ne respire plus qu'avec d'insupportables déchirements. Ses forces défaillantes sont près de l'abandonner; un sommeil de mort envahit par degrés tous ses sens; s'il y succombe, il est perdu. Enfin, un silence affreux règne autour de lui. Les oiseaux ne sillonnent plus l'air par leurs chants, et les insectes invisibles, voisins du néant, dont les essaims répandus dans l'espace animaient l'atmosphère de leur bourdonnement presque insensible, et le peuplaient, à la fois, d'amour, de mouvement et de vie, ont disparu de la création. Avec quelle angoisse l'âme de cet infortuné ne s'élancet-elle pas alors vers les lointains objets de ses douloureuses affections, sa femme, ses enfants, son vieux père! Hélas! toutes ces images chéries vont s'engloutir dans ce désordre où règne un calme lugubre, qui n'est interrompu que par le craquement subit de quelques arbres dont le trone, cédant aux rigueurs d'un froid excessif, s'écarte et se fend en éclats. Rien ne signale plus la nature vivante, si ce n'est les hurlements sinistres des bêtes sauvages et des loups dévorants. Mais la crainte de la mort soutient et conserve sa vie. II a invoqué le créateur du monde, l'enfer se referme derrière lui. Ivre d'espérance et de joie, il presse de ses lèvres reconnaissantes la terre sacrée qui borne cette prison immense. La scène change. A droite une opulente cité s'offre à ses regards; en face de lui est un lac d'une vaste étendue, dont la surface, quoique diaphane, ne réfléchit plus l'azur transparent des cieux. Ses eaux fortement gelées, recouvertes d'une neige légère, résistent au plus pesant fardeau. De gais patineurs, le visage caché sous un masque, les mains enveloppées dans un épais manchon, tracent sur l'onde solide cent figures variées. On croirait être dans la place publique d'une des premières capitales de l'Europe. Les uns se heurtent en passant, ils chancellent les spectateurs prévoient en riant une chute prochaine; mais l'adroit patineur, s'appuyant sur un de ses talons, reste un instant immobile, glisse, et reprend avec grâce son équilibre. Plus loin, sous un ciel non moins nébuleux, on voit de jeunes et fraiches laitières, les cheveux emprisonnés dans une toque brune, le front couvert d'un léger bavolet, et vêtues d'une jupe bleuâtre, rouge ou cendrée : un corset plus blanc que la neige marque leur taille leste et déliée. Leur bras gauche est appuyé sur la banche, tandis que le droit soutient, en s'arrondissant, un brillant pot au lait posé sur leur tête, et qu'un rayon du soleil fait paraître aussi éclatant que l'or le plus pur. A l'aide du rapide patin, elles glissent sur la glace endurcie, et franchissent, en moins d'une heure, l'espace de plusieurs milles. Mais, ciel! j'aperçois sur les ondes glacées du Wolga un élégant traîneau attelé d'un renne dont les pieds légers et fugitifs ne le céderaient pas même au plus jeune cerf de nos forêts: il vole, avec la rapidité d'une flèche, sur la surface perfide du fleuve. Une mère, sa fille, beauté qui comptait à peine dix-sept printemps, son jeune époux, occupent cette terrestre nacelle. O désespoir! 6 mort! la glace amincie crie, se brise, s'écarte, et le fleuve funeste engloutit dans son sein avare les plus doux trésors de la nature et de F'amour. Un seul instant, un éclair a suffi; l'ame de ces trois infortunés a suivi vers les régions célestes le cri d'horreur et simultané qui signale cette triple mort! Hélas! du moins ils périssent ensemble. CHARLES FOUGENS. Les Quatre Saisons. LES QUATRE AGES. sipent rapidement avec les objets qui les ont fait naître que lui manque-t-il pour offrir l'image la plus fidèle des grâces, de la gaieté, de l'agrément, des charmes et de la gentillesse? LA JEUNESSE. Maintenant se présente à nous la brillante jeunesse, cet âge où la nature morale et la nature physique développent et étendent leurs forces, où l'esprit se déploie, et où les impressions seraient plus profondes que jamais, si la réflexion les accompagnait, la réflexion, cette faculté qui seule peut arrêter nos idées, fixer nos sentiments, et durcir véritablement leur empreinte. C'est alors que les passions commencent à exercer leur empire orageux, c'est alors que tous les objets règnent si aisément sur l'âme; rien ne la remue faiblement, comme dans l'enfance; tout la secoue violemment le jeune homme ne vit que d'élans et de transports, heureux quand ces transports ne l'entraînent que dans la route qu'il doit parcourir! heureux lorsque les mains sages qui le dirigent ne s'efforcent point d'éteindre le feu qui le dévore, et qu'elles ne pourraient parvenir à étouffer, mais qu'elles cherchent à contenir ce feu, à le lancer vers les vertus sublimes, vers tout le bien auquel la jeunesse peut atteindre! L'enfant peut être rempli d'agréments, de grâces et de charmes, si une éducation mal entendue n'a pas contraint ses mouvements, si la simple nature a développé librement ses membres, s'il a pu en faire usage par tous les exercices qui conviennent à cet âge tendre, mais ami de l'agitation et du changement dans tous les genres. Les proportions les plus agréables, c'esta-dire les proportions les plus naturelles, règnent dans ses membres; il n'a pas encore appris à les tenir replies par contenance, à les roidir par bon air, à leur donner des attitudes bizarres par convention; les travaux forcés ne les ont pas encore viciés, déformés, altérés. Sa main n'a pas encore manié des instruments pesants, son dos n'a pas été courbé sur une charrue ou sur un établi; ses cheveux flottent au gré des vents et de la telle nature, sans avoir été décolorés bizarrement, brûlés avec art, et souvent ridiculement contraints; sa peau n'a pas été ternie par un soleil ardent, ou gercée par le froid; la tempête n'a pas encore fondu sur sa tête; il ne voit la vie qui se présente à lui que comme une route semée de fleurs; il ne prévoit aucun des dangers et des taalheurs qui l'attendent; le chagrin n'a pas ridé son front et effacé la noblesse de ses traits; l'on y distingue encore la première origine du roi de la nature; la défiance n'a pas rendu sa démarche arrêtée et suspendue, son regard inquiet, son coup d'ail fixe et sinistre; son esprit, dégagé de pré-porter de lourds fardeaux; il croit avoir beaujugés et de soucis, ne lie que des idées agréables, n'enfante que des images gracieuses; si quelques peines légères viennent troubler les beaux jours qui sont tissus pour lui, elles sont toutes hors de hi, elles ne laissent aucun souvenir, elles se dis Venant d'un âge où personne n'a eu besoin de se défendre contre lui, où personne n'a pu le redouter, où, par conséquent, rien ne lui a résisté; sentant chaque jour de nouvelles forces qui se développent en lui; imaginant qu'elles augmenteront toujours, ne les ayant encore mesurées avec aucun obstacle; pensant que rien ne peut les égaler; croyant que tout doit s'aplanir devant lui, fier, indomptable, et voulant secouer entièrement le joug sous lequel sa faiblesse l'a retenu pendant son enfance, le jeune homme est l'image de la liberté et de l'indépendance. Il fuit tout ce qui peut lui retracer ce qu'il appelle son esclavage, tout ce qui peut lui peindre son ancienne soumission; il dédaigne des demeures trop resserrées où son corps et son esprit se trouvent à l'étroit; il ne se plaît que dans une vaste campagne, où il peut en liberté exercer ses forces à courir, son courage à dompter des coursiers sauvages, son adresse à les dresser, et son intrépidité à vaincre et à immoler des animaux féroces. Là, il saute de joie sur la terre qu'il peut maintenant parcourir à son gré; il agite ses membres vigoureux; il s'essaye à trans coup fait lorsqu'il a renversé avec effort un bloc de rocher, abattu avec vigueur un arbre, ou devancé ses chiens à la course. Ses traits ne sont plus l'image de la grâce et de la gentillesse, comme dans l'enfance, mais celle de la fierté. |