du prince; qui doit veiller sur tout l'empire de la justice; entretenir la rigueur des lois, qui tendent toujours à s'affaiblir; ranimer les lois utiles, que le temps ou les passions des hommes ont anéanties; en créer de nouvelles, lorsque la corruption augmentée, ou de nouveaux besoins decouverts, exigent de nouveaux remèdes; les faire exécuter, ce qui est plus difficile encore que de les créer; observer d'un œil attentif les maux qui, dans l'ordre politique, se mêlent toujours au bien; corriger ceux qui peuvent l'être; souffrir ceux qui tiennent à la constitution de l'Etat, mais, en les souffrant, les resserrer dans les bornes de la nécessité; connaître et maintenir les droits de tous les tribunaux; distribuer toutes les charges à des citoyens dignes de servir Etat; juger ceux qui jugent les hommes; savoir ce qu'il faut pardonner et punir dans les magistrats, dont la nature est d'être faibles, et le devoir de ne pas l'être; présider à tous ces conseils où se discute ordinairement le sort des peuples; balancer la clémence du prince et l'intérêt de la justice; être auprès du souverain le protecteur et non le calomniateur de la nation. THOMAS. Éloge de d'Aguesseau. LE CURÉ DE CAMPAGNE. Le pasteur, sur lequel la politique peut-être ne daigne pas abaisser ses regards, ce ministre relégué dans la poussière et l'obscurité des campagnes, voilà l'homme de Dieu qui les éclaire, t l'homme d'État qui les calme. Simple comme eux, pauvre avec eux, parce que son nécessaire même devient leur patrimoine, il les élève audessus de l'empire du temps, pour ne leur laisser ni le désir de ses trompeuses promesses, ni Je regret de ses fragiles félicités. A sa voix, d'autres cieux, d'autres trésors s'ouvrent pour eux; à sa voix, ils courent en foule aux pieds de ce leur Dien qui compte leurs larmes, ce Dieu, eternel heritage, qui doit les venger de cette exhérédation civile à laquelle une Providence qu'on leur apprend à bénir les a dévoués. Les subsides, les impôts, les lois fiscales, les éléments même, fatiguent leur triste existence; dociles à cette voix paternelle qui les rassemble, qui les ranime, ils tolèrent, ils portent, ils oublient tout. Je ne sais quelle onction puissante s'échappe de nos tabernacles; le sentiment toujours actif de cette autre vie qui nous attend, adoucit dans les pauvres toute l'amertume de la vie présente. Ah! la foi n'a point de malheureux: ces mystères de miséricorde dont on les environne, ces ombres, ces figures, le traité de protection et de paix qui se renouvelle, dans la prière publique, entre le ciel et la terre, tout les remue, tout les attendrit dans nos temples; ils gémissent, mais ils espèrent, et ils en sortent consolés. Ce n'est pas tout garant des promesses divines, ce pasteur, cet ange tutélaire les réalise, en quelque sorte, dès cette vie, par les secours, par les soins les plus généreux, les plus constants je dis les soins; et peut-être, hommes superbes, n'avez-vous jamais compris la force et l'étendue de cette expression! Peignez-vous les ravages d'un mal épidémique, ou plutôt placezvous dans ces cabanes infectes, habitées par la mort seule, incertaine sur le choix de ses victimes hélas ! l'objet le moins affreux qui frappe vos regards est le mourant lui-même ; épouse, enfants, tout ce qui l'environne semble être sorti du cercueil pour y rentrer pêle-mêle avec lui. Si l'horreur du dernier moment est si pénétrante au milieu des pompes de la vanité, sous le dais de l'opulence, qui couvre encore de son faste l'orgueilleuse proie que la mort lui arrache, quelle impression doit-elle produire dans des lieux où toutes les misères et toutes les horreurs sont rassemblées! Voilà ce que bravent le zèle et le courage pastoral. La nature, l'amitié, les ressources de l'art, le ministre de la religion seul remplace tout; seul au milieu des gémissements et des pleurs, livré lui-même à l'activité du poison qui dévore tout à ses yeux, il l'affaiblit, il le déil tourne; ce qu'il ne peut sauver, il le console, le porte jusque dans le sein de Dieu; nuls témoins, nuls spectateurs, rien ne le soutient; ni la gloire, ni le préjugé, ni l'amour de la renommée, ces grandes faiblesses de la nature, auxquelles on doit tant de vertus; son âme, ses principes, le ciel qui l'observe, voilà sa force et sa récompense. Le monde, cet ingrat qu'il faut plaindre et servir, ne le connaît pas s'occupet-il, hélas! d'un citoyen utile, qui n'a d'autre mérite que celui de vivre dans l'habitude d'un héroïsme ignoré? L'abbé DE BOISMONT. Sermon pour l'établissement d'un hôpital ecclésiastique el militaire. L'HOMME DE LETTRES. C'est celui dont la profession principale est de cultiver sa raison pour ajouter à celle des autres. C'est dans ce genre d'ambition, qui lui est particulier, qu'il concentre toute l'activité, tout l'intérêt que les autres hommes dispersent sur les différents objets qui les entraînent tour à tour. Jaloux d'étendre et de multiplier ses idées, il remonte dans les siècles, et s'avance au travers des monuments épars de l'antiquité, pour y recueil lir, sur des traces souvent presque effacées, l'àme et la pensée des grands hommes de tous les âges. Il converse avec eux dans leur langue, dont il se sert pour enrichir la sienne. Il parcourt le domaine de la littérature étrangère, dont il remporte des dépouilles honorables au trésor de la littérature nationale. Doué de ces organes heureux qui font aimer avec passion le beau et le vrai en tout genre, il laisse les esprits étroits et prévenus s'efforcer en vain de plier à une même mesure tous les talents et tous les caractères, et il jouit de la variété féconde et sublime de la nature dans les différents moyens qu'elle a donnés à ses favoris pour charmer les hommes, les éclairer et les servir. C'est pour lui surtout que rien n'est perdu de ce qui se fait de bon et de louable; c'est pour une oreille telle que la sienne que Virgile a mis tant de charme dans l'harmonie de ses vers; c'est pour un juge aussi sensible, que Racine répandit un jour si doux dans les replis des âmes tendres, que Tacite jeta des lueurs affreuses dans les profondeurs de l'âme des tyrans; c'est à lui que s'adressaient Montesquieu quand il plaidait pour l'humanité, Fénélon quand il embellissait la vertu. Pour lui toute vérité est une conquête, tout chefd'œuvre est une jouissance. Accoutumé à puiser également dans ses réflexions et dans celles d'autrui, il ne sera ni seul dans la retraite, ni étranger dans la société : enfin, quel que soit le travail où il s'applique, soit qu'il marche à pas mesurés dans le monde intellectuel des spéculations mathématiques, ou qu'il s'égare dans le monde enchanté de la poésie; soit qu'il attendrisse les hommes sur la scène, ou qu'il les instruise dans l'histoire; en portant ses tributs au temple des arts, il ne cherchera pas à renverser ses concurrents dans sa route, ni à déshonorer leurs offrandes pour relever le prix de la sienne; il ne détournera pas des triomphes d'autrui son œil consterné; les cris de la renommée ne seront pas pour son âme un bruit importun; et, au lieu que la médiocrité inquiète et jalouse gémit de tous les succès, parce que le champ du génie se rétrécit sans cesse à ses faibles yeux, le véritable homme de lettres, le parcourant d'un regard plus vaste et plus sûr, y verra toujours un monument à élever, et une place à obtenir. LA HARPE, Discours de réception à l'Académic française. MÊME SUJET. Le littérateur est l'élève de la nature; tout ce qu'elle offre de beau, de bon, d'aimable, de grand, se réfléchit, se combine, se féconde dans son âme ; il semble ne vivre que pour recevoir et communiquer ces belles émotions dont la nature est le principe, le moyen et l'objet. Il est aussi l'élève de l'art tout ce qu'il apprend, tout ce qu'il sait, est pour lui une source inépuisable de recherches, d'observations, de principes, d'émotions réfléchies; il décompose tout ce qu'on a fait avant lui, tout ce qui se fait autour de lui. On dirait que son âme est double; il sent et combine en même temps; il ne réfléchit que pour mieux sentir encore; l'enthousiasme qui échauffe ses pensées est aussi la lumière qui les éclaircit. Il s'étudie surtout lui-même comme sa principale richesse, et s'assouplit comme son continuel instrument: il sait s'émouvoir, se calmer, diriger, détourner les idées, les retenir, les lancer, tirer en lui de l'homme tout ce qui peut servir à l'écrivain, et mettre ainsi à profit ses vertus et ses défauts, ses joies et ses douleurs, Il est plusieurs hommes, plusieurs talents fondus ensemble homme de la vie commune, c'est là qu'il puise ces expressions d'un heureux naturel, ces rencontres de simple bon sens, caractères plus sensibles de la vérité, ces grâces familières et naïves, charmes de la beauté même. Homme d'un monde idéal, tout s'épure, s'embellit, s'agrandit dans sa méditation. Philosophe, il saisit les causes où les autres ne démêlent pas même les effets; il lie, par des rapports inaperçus, des choses qui se repoussaient. Orateur, dès qu'il est pénétré de son objet, la conviction s'imprime dans ses pensées, et la persuasion coule de ses lèvres. Poëte, ses idées deviennent des impressions, des images, des accords; il ne médite plus, il est inspiré; il ne voit plus, il contemple; il n'expose pas, il peint; il ne dit pas, i il chante. LACRETELLE aine. UNE ARMÉE. Qu'est-ce qu'une armée? C'est un corps animé d'une infinité de passions différentes, qu'un homme habile fait mouvoir pour la défense de la patrie; aveuglément les ordres d'un chef, dont ils ne c'est une troupe d'hommes armés qui suivent savent pas les intentions; c'est une multitude d'âmes, pour la plupart viles et mercenaires, qui, sans songer à leur propre réputation, travaillent à celle des rois et des conquérants; c'est un assemblage confus de libertins, qu'il faut assujettir à l'obéissance; de lâches, qu'il faut mener au combat; de téméraires, qu'il faut retenir; d'impatients, qu'il faut accoutumer à la confiance. Quelle prudence ne faut-il pas pour conduire et réunir au seul intérêt public tant de vues et de volontés différentes? Comment se faire craindre, sans se mettre en danger d'être haï et bien souvent abandonné? Comment se faire aimer, sans perdre un peu de l'autorité, et relâcher de la discipline nécessaire? FLÉCHIER Oraison funèbre de Turenne. LLS COMBATS DE MER, PLUS TERRIBLES QUE CEUX DE TERRE. Si jamais l'homme eut occasion de développer cet instinct de courage que lui donna la nature, c'est dans les combats qui se livrent sur mer. Les batailles de terre présentent, à la vérité, un spectacle terrible; mais du moins le sol qui porte les combattants ne menace point de s'entr'ouvrir sous leurs pas; l'air qui les environne n'est pas leur ennemi, et les laisse diriger leurs mouvements à leur gré ; la terre entière leur est ouverte pour échapper au danger. Dans les combats de ner, tout conspire à augmenter les périls, à diminuer les ressources. L'eau n'offre que des abimes, dont la surface, balancée par d'éternelles secousses, est toujours prête à s'ouvrir. L'air, agité par les vents, produit des orages, trompe les efforts de l'homme, et le précipite audevant de la mort qu'il veut éviter. Le feu déploie sur les eaux son activité terrible, entr'ouvre les vaisseaux, et réunit la double horreur d'un naufrage et d'un embrasement. La terre, ou reculée à une grande distance, refuse son asile; ou, si elle est près, sa proximité même est dangereuse, et le refuge est souvent un écueil. L'homme, isolé et séparé du monde entier, est resserré dans une prison étroite d'où il ne peut sortir, tandis que la mort y entre de toutes parts. Mais, parmi ces horreurs, il trouve quelque chose de plus terrible pour lui: c'est l'homme son semblable, qui, armé de fer, et mêlant l'art à la fureur, l'approche, le joint, le combat, lutte contre lui sur ce vaste tombeau, et unit les efforts de sa rage à telle de l'eau, des vents et du feu 1. THOMAS. Eloge de Duguay-Trouin. L'AVARICE. L'avare n'amasse que pour amasser; ce n'est pas pour fournir à ses besoins, il se les refuse; son argent lui est plus précieux que sa santé, que sa vie, que lui-même; toutes ses actions, toutes ses vues, toutes ses affections ne se rapportent qu'à cet indigne objet. Personne ne s'y trompe, et Voyez Narrations, Combat et triomphe de DuguayTrouin. il ne prend aucun soin de dérober aux yeux du public le misérable penchant dont il est possédé; car tel est le caractère de cette honteuse passion, de se manifester de tous les côtés, de ne faire au dehors aucune démarche qui ne soit marquée de ce maudit caractère, et de n'être un mystère que pour celui seul qui en est possédé. Toutes les autres passions sauvent du moins les apparences; on les cache aux yeux du public; une imprudence peut quelquefois les dévoiler, mais le coupable cherche, autant qu'il est en soi, les ténèbres. Mais, pour la passion de l'avarice, l'avare ne se la cache qu'à lui-même : loin de prendre des précautions pour la dérober aux yeux du public, tout l'annonce en lui, tout la montre à découvert ; il la porte écrite dans son langage, dans ses actions, dans toute sa conduite, et, pour ainsi dire, sur son front. L'âge et les réflexions guérissent d'ordinaire les autres passions, au lieu que l'avarice semble se ranimer et reprendre de nouvelles forces dans la vieillesse. Plus on avance vers ce moment fatal, où tout cet amas sordide doit disparaître et nous être enlevé, plus on s'y attache; plus la mort approche, plus on couve des yeux son misérable trésor, plus on le regarde comme une précaution nécessaire pour un avenir chimérique. Ainsi l'âge rajeunit, pour ainsi dire, cette indigne passion; les années, les maladies, les réflexions, tout l'enfonce plus profondément dans l'âme; elle se nourrit et s'enflamme par les remèdes mêmes qui guérissent et éteignent toutes les autres. On a vu des hommes, dans une décrépitude où à peine leur restait-il assez de force pour soutenir un cadavre tout près de retomber en poussière, ne conserver, dans la défaillance totale des facultés de leur âme, un reste de sensibilité, et, pour ainsi dire, de signe de vie, que pour cette indigne passion; elle seule se soutenir, se ranimer sur les débris de tout le reste; le dernier soupir être encore pour elle; les inquiétudes des derniers moments la regarder encore; et l'infortuné qui meurt, jeter encore des regards mourants qui vont s'éteindre, sur un argent que la mort lui arrache, mais dont elle n'a pu arracher l'amour de son cœur. L'AMBITIEUX. MASSILLON. Quelle idée vous formez-vous d'un ambitieux préoccupé du désir de se faire grand? Si je vous disais que c'est un homme ennemi par profession de tous les autres hommes (j'entends de tous ceux avec qui il peut avoir quelque rapport d'intérêt), un homme à qui la prospérité d'autrui est un sup plice; qui ne peut voir le mérite, en quelque sujet qu'il se rencontre, sans le haïr et sans le combattre; qui n'a ni foi, ni sincérité; toujours prêt, dans la concurrence, à trahir l'un, à supplanter l'autre, à décrier celui-ci, à perdre celui-là, pour peu qu'il espère d'en profiter; qui, de sa grandeur prétendue et de sa fortune, se fait une divinité à laquelle il n'y a ni amitié, ni reconnaissance, ni considération, ni devoir qu'il ne sacrifie, ne manquant pas de tours et de déguisements spécieux pour le faire même honnêtement selon le monde; en un mot, qui n'aime personne, et que personne ne peut aimer. Si je vous le figurais de la sorte, ne diriez-vous pas que c'est un monstre dans la société, dont je vous aurais fait la peinture? et cependant, pour peu que vous fassiez de réflexions sur ce qui se passe tous les jours au milieu de vous, n'avouerez-vous pas que ce sont là les véritables traits de l'ambition, tandis qu'elle est encore aspirante, et dans la poursuite d'une fin qu'elle se propose? MÊME SUJET. BOURDALOUR. Un homme livré à l'ambition se laisse-t-il rebuter par les difficultés qu'il trouve sur son chemin? Il se refond, il se métamorphose, il force son naturel, et l'assujettit à sa passion. Né fier et orgueilleux, on le voit, d'un air timide et soumis, essuyer les caprices d'un ministre, mériter part mille bassesses la protection d'un subalterne en crédit, et se dégrader jusqu'à vouloir être redevable de sa fortune à la vanité d'un commis ou à l'avarice d'un esclave; vif et ardent pour le plaisir, il consume ennuyeusement, dans des antichambres et à la suite des grands, des moments qui lui promettaient ailleurs mille agréments. Ennemi du travail et de l'embarras, il remplit des emplois pénibles, prend non-seulement sur ses aises, mais encore sur son sommeil et sur sa santé, de quoi y fournir; enfin, d'une humeur serrée et épargnante, il devient libéral, prodigue même; tout est inondé de ses dons, et il n'est pas jusqu'à l'affabilité et aux égards d'un domestique, qui ne soient le prix de ses largesses 1. LE MÊME. en coûte de peines à ceux qui l'établissent ou le conservent, à peu près comme tous les hommes jouissent de la régularité des mouvements célestes, sans en avoir aucune connaissance; et même, plus l'ordre d'une police ressemble, par son uniformité, à celui des corps célestes, plus il est insensible, et, par conséquent, il est toujours d'autant plus ignoré qu'il est plus parfait. Mais qui voudrait le connaître et l'approfondir en serait effrayé. Entretenir perpétuellement dans une ville telle que Paris une consommation immense, dont une infinité d'accidents peuvent toujours tarir quelques sources, réprimer la tyrannie des marchands à l'égard du public, et en même temps animer leur commerce; empêcher les usurpations mutuelles des uns sur les autres, souvent difficiles à démêler; reconnaître, dans une foule infinie, tous ceux qui peuvent si aisément y cacher une industrie pernicieuse, en purger la société, on ne les tolérer qu'autant qu'ils lui peuvent être utiles, par des emplois dont d'autres qu'eux ne se chargeraient pas, ou ne s'acquitteraient pas si bien; tenir les abus nécessaires dans les bornes prescrites de la nécessité, qu'ils sont toujours prêts à franchir; les renfermer dans l'obscurité à laquelle ils doivent être condamnés, et ne les en tirer pas même par des châtiments trop éclatants; ignorer ce qu'il vaut mieux ignorer que punir, et ne punir que rarement et utilement; pénétrer, par des conduits souterrains, dans l'intérieur des familles, et leur garder des secrets qu'elles n'ont pas confiés, tant qu'il n'est pas nécessaire d'en faire usage; être présent partout sans être vu; enfin, mouvoir ou arrêter à son gré une multitude immense et tumultueuse, et être l'âme toujours agissante et presque inconnue de ce grand corps: voilà quelles sont, en général, les fonctions du magistrat de la police. Il ne semble pas qu'un homme seul y puisse suffire, ni par la quantité des choses dont il faut être instruit, ni par celle des vues qu'il faut suivre, ni par l'application qu'il faut apporter, ni par la variété des conduites qu'il faut tenir et des caractères qu'il faut prendre; mais la voix publique répondra si d'Argenson a suffi à tout. FONTENELLE. Éloge de d'Argenson. LA POLICE DE PARIS. Les citoyens d'une ville bien policée jouissent de l'ordre qui est établi, sans songer combien il ■ Voyez Morale religieuse, le même sujet, par Massillon et Bourdaloue. LA VIE HUMAINE ET LES HOMMES. Qu'est-ce que la vie humaine? qu'une mer furieuse et agitée, où nous sommes sans cesse à la merci des flots, et où chaque instant change notre situation, et nous donne de nouvelles alarmes. Que sont les hommes eux-mêmes? que les tristes jouets de leurs passions insensées et de la vicissitude éternelle des événements. Liés par la corruption de leur cœur à toutes les choses présentes, ils sont avec elles dans un mouvement perpétuel : semblables à ces figures que la roue rapide entraine, ils n'ont jamais de consistance assurée; chaque moment est pour eux une situation nouvelle; ils flottent au gré de l'inconstance des choses humaines; voulant sans cesse se fixer dans les créatures, et sans cesse obligés de s'en déprendre ; croyant toujours avoir trouvé le lieu de leur repos, et sans cesse forcés de recommencer leur course; lassés de leurs agitations, et cependant toujours emportés par le tourbillon, ils n'ont rien qui les fixe, qui les console, qui les paye de leurs peines, qui leur adoucisse le chagrin des événements; le monde qui le cause, ni leur conscience qui le rend plus amer, ni l'ordre de Dieu contre lequel ils se révoltent. Ils boivent jusqu'à la lie toute l'amertume de leur calice: ils ont beau le verser d'un vase dans un autre, se consoler d'une passion par une passion nouvelle, d'une perte par un nouvel attachement, d'une disgrâce par de nouvelles espérances, l'amertume les suit partout; ils changent de situation, mais ils ne changent pas de supplice. MASSILLON. LA COUR ET LES POSTES ÉMINENTS. Un homme sage envisagera toujours la cour et les postes éminents comme dangereux pour le salut: c'est à la cour, c'est dans les postes éminents que sont tendus, pour l'ordinaire, les plus grands pieges à la vertu; c'est là que l'on s'abandonne, pour l'ordinaire, à ses passions, par la facilité que F'on trouve à les satisfaire; c'est là qu'on est tenté de se regarder comme un être d'une espèce particuliere, et infiniment supérieur au vulgaire; c'est là du moins que chacun devient tyran à son tour, et que le courtisan, pour se dédommager de l'esclavage où le prince le réduit, rend esclave T'homme qui lui est soumis; c'est là que se forment res intrigues secrètes, ces menées clandestines, ces trames sanguinaires, ces complots criminels dont l'innocence est si souvent la victime; c'est La que chacun souffle le venin de la flatterie, et que chacun aime à le recevoir; c'est là que l'imagnation se prosterne devant de frivoles divinités, et que d'indignes idoles reçoivent ces hommages supremes qui ne sont dus qu'au Dieu souverain; c'est là que l'âme, frappée d'images séduisantes, se trouve livrée, comme malgré elle, à d'importuns souvenirs lorsqu'elle veut se nourrir de ces meditations, seules dignes d'une intelligence immortelle; c'est là, entin, que l'on se sent entrainé par le torrent, et que des exemples que 'on croit illustres autorisent les démarches les Qu'est-ce que le monde, pour ceux mêmes qu l'aiment, qui paraissent enivrés de ses plaisirs, et qui ne peuvent se passer de lui? Le monde? c'est une servitude éternelle, où nul ne vit pour soi, et où, pour vivre heureux, il faut pouvoir baiser ses fers, et aimer son esclavage. Le monde? c'est une révolution journalière d'événements qui réveillent tour à tour, dans le cœur de ses partisans, les passions les plus violentes et les plus tristes, des haines cruelles, des perplexités odieuses, des craintes amères, des jalousies dévorantes, des chagrins accablants. Le monde? c'est une terre de malédiction, où les plaisirs mêmes portent avec eux leurs épines et leur amertume. Le jeu lasse par ses fureurs et par ses caprices; les conversations ennuient par les oppositions d'humeurs et la contrariété des sentiments; les passions et les attachements criminels ont leurs dégoûts, leurs contre-temps, leurs bruits désagréables; les spectacles, ne trouvant presque plus dans les spectateurs que des âmes grossièrement dissolues et incapables d'être réveillées que par les excès les plus monstrueux de la débauche, deviennent fades en ne remuant que ces passions délicates qui ne font que montrer le crime de loin, et dresser des piéges à l'innocence. Le monde enfin est un lieu où l'espérance même, qu'on regarde comme une passion si douce, rend tous les hommes malheureux; où ceux qui n'espèrent rien se croient encore plus misérables; où tout ce qui plait ne plait jamais longtemps, et où l'ennui est presque la destinée la plus douce et la plus supportable qu'on puisse y attendre. Voilà le monde; et ce n'est pas ce monde obscur qui ne connait ni les grands plaisirs, ni les charmes de la prospérité, de la faveur et de l'opulence: c'est le monde dans son beau; c'est vous-mêmes qui m'écoutez. Voilà le monde; et ce n'est pas ici une de ces peintures imaginées, et dont on ne trouve nulle part la ressemblance. Je ne peins le monde que d'après votre cœur, c'est-à-dire tel que vous le connaissez, et le sentez tous les jours vous-mêmes. MÊME SUJET. MASSILLON. Rien n'est constant dans le monde, ni les fortunes les plus florissantes, ni les amitiés les plus |