quer que tous les grands génies de son temps avaient été aussi contemporains de la Fronde et qu'ils n'eurent pas de successeurs. De nouveaux événements formèrent d'autres hommes, mais les pensées dominantes de l'âge de Louis n'en formèrent plus. Molière fut à la fois le Corneille et le Racine de la comédie; également supérieur dans les pièces d'intrigue et dans celles de caractère, dans la gaieté d'imagination et dans celle d'observation. Quoi de plus spirituellement bouffon que le Médecin malgré lui, l'Amour médecin, Pourcequgnac? Quoi de plus savamment intrigué que l'Ecole des femmes ? Quel comique pour ainsi dire idéal dans le Bourgeois gentilhomme, le Malade imaginaire! En un mot, quelle variété féconde dans les trente-cinq pièces qu'il nous a laissées! Et partout, dans sa prose comme dans ses vers, quel style! si naturel et si vigoureux, où la pensée est tellement inhérente à l'expression qu'on ne peut l'en concevoir détachée! Un trait admirable, dans Molière, c'est que non-seulement il châtia les vices et les ridicules, mais encore qu'il les aperçut le premier dans des choses que son siècle estimait ou prenait au sérieux, en sorte que pour les attaquer, il fallait non-seulement une grande perspicacité d'esprit, mais aussi un courage d'artiste extrêmement rare; témoin, les Précieuses ridicules, les Femmes savantes, le Tartufe lui-même. Molière peut opposer à Phèdre, le Misanthrope, désespérant modèle de cette comédie classicofrançaise qui fait le pendant du système tragique conçu par Racine. Le principe développé dans le Misanthrope consiste aussi à abstraire une qualité unique d'un individu, à anéantir par la pensée toutes les autres, pour se concentrer sur celle-là, et à la mettre non-seulement en action, mais aussi, pour la faire mieux ressortir, en plaidoirie et en procès continuel avec les qualités opposées. Il est aisé de voir que si ce système dramatique présente beaucoup d'avantages, il offre aussi de nombreux inconvénients. Qu'on n oublie pas cependant de remarquer, dès le principe, que les deux grands hommes qui le créèrent, peu contents d'en atteindre la perfection, le surpassèrent eux-mêmes dans Athalie et Tartufe. Tartufe et Athalie, voilà les deux chefs-d'œuvre de la scène française; voilà ce qu'elle peut opposer à tout ce que les anciens et les étrangers ont jamais eu de plus admirable. Là se trouvent tous les mérites, de là sont bannis tous les défauts des genres divers. L'unité et la variété, la généralité dans les passions, l'individualité dans les caractères, la leçon philosophique et morale réunie à l'intérêt dramatique, on y rencontre tout. Aucun personnage n'y est forcé ni déplacé, presque toujours Faction y remplace les plaidoiries théoriques habi tuelles au système classico-français, et s'il s'en présente quelques-unes, elles sont nécessitées par les événements et les situations. D'autres dramatistes, pris dans leur ensemble, sont peut-être des génies plus extraordinaires et plus puissants que Racine et Molière; mais assurément aucun théâtre n'a produit deux pièces supérieures à Athalie et au Tartufe. Le Tartufe ne fut pas imité; mais la ligne dont le Misanthrope était le point de départ fut suivie par presque tous les poëtes comiques. On avait déjà distingué avant Molière le Menteur, de Pierre Corneille, pièce d'intrigue plutôt encore que de caractère, admirable sous le rapport du style; car, jusqu'alors, la comédie avait ignoré l'art d'imiter le langage de la bonne société et de réunir la décence à la gaieté. Pendant la vie de Molière, parurent les Plaideurs, de Racine, délicieux croquis dans le genre d'Aristophane, alliance de toute l'urbanité attique des anciens et de la bonne plaisanterie de nos pères; le sel, comme l'on disait alors, y est jeté à pleines mains, et, dans quelques mots, perce une observation de mœurs si profonde qu'on peut croire que Molière eût trouvé dans Racine un rival dangereux, si ce dernier eût suivi la même carrière. On distingua aussi dans le même temps la Mère coquette, de Quinault, le Jaloux désabusé, de Campistron, pièce moins mauvaise que ses tragédies. Baron fit l'Homme à bonnes fortunes et traduisit l'Andrienne de Térence. On voit encore avec plaisir aujourd'hui le Grondeur de Bruéis et Palaprat, charge d'un excellent genre, leur Avocat Patelin, et le Don Juan, de Th. Corneille, qui ne sont que des traductions de Molière et du xve siècle, enfin les pièces épisodiques ou à tiroir de Boursault. Il y a des choses plaisantes et vraies dans son Mercure galant, et une moralité noblement exprimée dans Esope à la ville et Esope è la cour, dont Montesquieu a fait le plus grand éloge en disant quelque part: « Je me souviens qu'en sortant d'une pièce intitulée: Esope à la cour, je fus si pénétré du désir d'être plus honnête homme, que je ne sache pas avoir formé une résolution plus forte. › Parmi les élèves de l'école de Molière le premier et le plus distingué fut Regnard. Ce qui caractérise essentiellement ses pièces, c'est la gaieté, moins profonde sans doute, mais presque aussi franche, presque aussi spirituelle et plus folle peut-être que celle de Molière, surtout dans le Légataire universel etles Ménechmes. Car si le Joueur est plus vrai, si le portrait est d'autant mieux tracé d'après nature que le peintre servait de modèle, onrit plus encore dans les deux autres pièces, en dépit de l'immoralité réelle de la première. A cette école de gaieté appartiennent Dufresny, dont le Double reuvage, la Réconciliation normande, etc., furent fort applaudis; Monfleury, l'auteur de la Femme juge et partie; Hauteroche, dont on voit encore avec plaisir le Deuil et Crispin médecin; les deux Poisson père et fils; et surtout Dancourt, quoique peut-être il ait poussé trop loin la complaisance pour les vices de son siècle dans le Chevalier à la mode, et les Bourgeoises de qualité. On cite encore les petites pièces de Legrand, l'Aveugle clairvoyant, Cartouche, surtout le Roi de Cocagne, où brille une des plus rares qualités de notre comédie, le comique d'imagination. Legrand laisse jaillir quelques étincelles de ce feu follet et fantasque qui anima Aristophane chez les anciens et Shakspeare chez les modernes. Destouches est plus sérieux; il ne manque point de finesse dans l'observation, et surtout de pureté et d'élégance dans le style, mais il a outré les défauts du genre classico-français. Toutes ses pièces qui sont des comédies de caractère, le Curieux, l'Ingrat, Ambitieux, le Médisant, le Philosophe marié, seraient très-froides si l'on en retranchait la soubrette et le valet obligé; il faut excepter cependant le Glorieux, qui est son chef-d'œuvre. Au moins y a-t-il de la bonne gaieté dans la Fausse Agnès et le Tambour nocturne. La danse et la musique avaient de tout temps fait partie des divertissements de la cour des rois de France. On avait même songé plusieurs fois à leur associer la poésie. Ce qu'on appelait le grand ballet, où se distingua Benserade, les intermèdes de certaines pièces de Molière, l'Andromède de Corneille, la Pomone d'un certain Perrin, peuvent donner une idée de ces productions. Enfin, vers 1675, Quinault régularisa ces essais et créa l'opéra tel que nous le connaissons. Ce fut lui qui, aidé de Lulli pour la musique, et de Vigarani pour les décorations, réunit réellement dans un spectacle brillant et bien ordonné tous les arts capables de toucher le cœur et d'enchanter l'imagination et les yeux, la poésie, la musique, la danse, la peinture. Le grand mérite de Quinault est d'avoir deviné ce que ses premiers successeurs n'ont pas aussi bien compris, que le véritable domaine de l'opéra est la féerie, la mythologie, l'idéal plutôt que l'histoire, le positif et la réalité. Nul poëte, si l'on excepte Racine, n'a mieux coupé et disposé le vers lyrique pour le chant, et si l'on trouve chez lui de la fadeur et du mauvais goût, il a des morceaux pleins de verve, et presque partout une douceur exquise. Ses meilleurs opéras sont ceux d'Alceste, de Thésée, d'Armide et de Roland. Th. Corneille, Duché, Campistron, Fontenelle, s'exercerent dans le même genre; mais tous sont bien inférieurs à Quinault. La Motte, auteur d'Issé, du Triomphe des arts, de Sémélé, voulut perfec tionner son œuvre et ne fit que la défigurer en lui substituant un nouveau genre qu'il appela ballet-opéra. Au lieu de l'unité d'action appliquée par Quinault au drame lyrique, le balletopéra fut simplement un spectacle de chant et de danse, formé de plusieurs actions toutes indépendantes et n'ayant entre elles d'autre lien qu'un rapport vague et indéterminé, presque toujours fondé sur l'allégorie. PROSE; ROMANS, LETTRES, GRAMMAIRE, CRITIQUE LITTÉRAIRE, ETC. Par sa traduction du Traité des Bienfaits de Sénèque et du 33me livre de Tite-Live, par ses remarques critiques sur les écrivains qui l'avaient précédé, Malherbe avait tenté d'appliquer à la prose la réforme qu'il réalisa dans la poésie. Balzac marcha sur ses traces. Formé par ses leçons, Balzac, à force de travailler et de polir sa phrase, donna à la prose l'harmonie et la magnificence qu'elle avait ignorées jusqu'alors; il arriva à la pensée de Dubellay, comme Malherbe à celle de Ronsard, par une autre route que la leur. Il éleva la prose en la régularisant, comme Malherbe avait régularisé la poésie, en modérant son essor; et dès lors disparurent les différences si tranchées qu'on avait généralement remarquées jusque-là entre la langue des poëtes et celle des prosateurs. On peut presque toujours reprocher à Balzac l'enflure, d'ailleurs commune à son siècle; mais il faut reconnaître dans le Socrate chrétien et dans plusieurs de ses Lettres une énergie d'idée et d'expression excellente en tout temps, et partout une correction de style qui était un rare mérite à cette époque. La langue se dégageait, en effet, des dernières vapeurs du chaos qui l'avait si longtemps enveloppée; elle réunissait les éléments qui devaient la constituer dans la suite. Aussi ne doit-on pas s'étonner de la haute estime que l'on professait alors pour les travaux des grammairiens. Le dépôt sacré de la langue avait été confié aux mains de l'Académie française, sa charge principale était de le conserver intact. Vaugelas se fit une renom mée par ses investigations grammaticales et par sa Traduction de Q. Curce, qui lui coûta trente années de minutieux labeur. Ménage, savant estimable, Patru, Saint-Évremont, et plus tard le P. Bouhours, Le Bossu et l'abbé d'Aubignac joignirent à la grammaire les préceptes d'une rhétorique et d'une poétique malheureusement beaucoup trop arides, trop rigoureuses et trop incomplétes. L'abbé d'Aubignac voulut même unir l'exemple au précepte dans une mauvaise tragédie de Zénobie. Cependant d'autres influences combattaient celle de Marherbe, au moins dans ce qui tenait à la pensée. L'imitation de l'Italie et de l'Espagne, le mauvais goût des femmes beaux esprits, des précieuses et de l'hôtel Rambouillet, firent naître le Roman pastoral. L'Astrée d'Honoré d'Urfé, la plus illustre des productions de ce genre, avait paru en 1610, inspirée par la Diane de Montemayor et les Bergeries italiennes. Bientôt Gomberville, La Calprenède, La Serre, Mlle de Scuderi, se précipitèrent sur les traces de d'Urfé, avec leurs romans infinis en dix ou douze volumes in-4o, les Clélie, les Artamène, les Caloandre, etc. En vain Sorel, dans le Berger extravagant et dans Francion, protestait contre ce délire: Sorel n'était pas un Cervantes; Molière et Boileau n'avaient pas encore foudroyé les précieuses. Mile Caumont de La Force, Mme de Villedieu, Mme Daunoy, dont les Contes sont d'ailleurs assez jolis, défiguraient l'histoire; les beaux esprits divisés en jobistes et uranistes, selon qu'ils préféraient le sonnet à Uranie, par Voiture, ou le sonnet de Job, par Benserade, donnaient toujours le ton à la littérature; l'hôtel Rambouillet restait l'oracle du goût; et si la postérité a cassé presque tous ses arrêts, le xvi° siècle ne s'y soumit que trop longtemps. C'est à lui, sans parler de ce Pradon, qui opposait à Racine son Régulus et sa Phèdre, de l'abbé Cotin et d'une foule d'écrivains de même force, que Saint-Évremont et Voiture ont dù leur immense renommée. Saint-Évremont, qui a gâté une foule d'aperçus ingénieux, d'observations justes et délicates par ses fadeurs quintessenciées et ses faux jugements, Voiture, qu'on est tout surpris de voir placer par Boileau au rang d'Horace; qui, sans doute, rencontre souvent des traits fins et spirituels, mais dont les Lettres sont fatigantes par la recherche perpétuelle d'une gaieté qui n'était pas dans sa nature et qui! le fuit presque toujours. Cependant quelques romans du xvi siecle sont dignes de l'âge où ils ont paru. Le Roman bourgeois de Furetière, l'auteur du dictionnaire, est faible, mais le Roman comique de Scarron, fort au-dessus de ses écrits burlesques, est excellent par le ton de franche gaieté et l'esprit naturel qui y règnent d'un bout à l'autre. Hamilton, dans les Aventures du comte de Grammont, perfec- | tionna ce genre; sans en altérer le caractère jovial et moqueur, il y fit passer le bon ton et les manières élégantes des deux cours les plus ! polies de l'Europe; tandis que Mile de La Fayette, dans la Princesse de Clèves et dans Zaïde, sut, en évitant l'afféterie et le maniéré de la pastorale, en conserver toute la grâce et la délicatesse. Les Contes de Fées de Perrault ne furent point, comme l'a dit, sans doute en se jouant, un des critiques les plus spirituels de notre âge, la merveille du siècle des merveilles. mais Perrault eut le bon esprit de conserver leur simple et naïve allure à de vieux récits populaires qu'il contribua à populariser davantage. Le mérite des Contes de Perrault passa presque inaperçu de son temps; il fut beaucoup plus connu par ses écrits contre les anciens. Dans cette fameuse querelle, l'excellence de l'antiquité fut aussi mal défendue qu'elle était mal attaquée. Perrault, La Motte-Houdart, qui s'avisa d'abréger l'Iliade, et d'autres athlètes d'aussi mauvais goût et d'aussi mince érudition, furent aisément mais maladroitement vaincus par Boileau, par Longepierre, par M. et surtout par Mme Dacier qui mit dans sa polémique la même pesanteur de style et le même défaut d'intelligence réelle des anciens que dans ses traductions d'Homère, d'Aristophane et de Térence, supérieures pourtant, telles qu'elles sont, aux traductions de Perrot d'Ablancourt. Si Mme Dacier parut oublier dans ses discussions littéraires le caractère de son sexe, un grand nombre de ses contemporaines mirent dans leurs écrits cette finesse d'observation et cette délicatesse toute particulière de sentiment et de langage qui semble lui appartenir exclusivement. Aucune langue n'a rien à opposer au recueil des Lettres où brillent les noms de Mme de Coulanges, de La Sablière, de Grignan, de Maintenon, et pardessus tous les autres, celui de Mme de Sévigné. Mme de Sévigné est le La Fontaine de la prose. Elle appartient à cette école qui, tout en conservant la naïve liberté, le capricieux abandon du xvre siècle, y sut allier la politesse et l'élégance de la plus brillante époque de la société française. L'esprit religieux de son temps et de son éducation jette à travers la gaieté de ses Lettres ou plutôt de ses longues et ravissantes causeries, une légère teinte de gravité mélancolique, et rend plus profonde cette sensibilité maternelle qu'elle porta jusqu'à la passion. Pour ceux même qui seraient insensibles au charme infini des sentiments et du style, il resterait encore à admirer, dans cette correspondance de vingt-sept années, la vive peinture des faits et des mœurs d'une des périodes les plus intéressantes de l'histoire de France. HISTOIRE, ELOQUENCE, PHILOSOPHIE. Si Mme de Sévigné s'est attachée à peindre le côté noble et décent des mœurs de son siècle, un de ceux qui soupirèrent vainement pour elle, le comte de Bussi-Rabutin en offrit les traits les plus licencieux dans ses Amours des Gaules. Bussi-Rabutin semble n'avoir eu d'autre but que de continuer Brantôme. Les Mémoires de Mme de Motteville sont indispensables pour bien connaitre l'intérieur de la cour d'Anne d'Autriche; Guy Patin amuse par ses curieuses et malignes anecdotes sur le règne de Louis XIII et sur les premiers temps de Louis XIV; Mlle de Montpensier et La Rochefoucauld ont voulu donner une idée de cette guerre de la Fronde dans laquelle ils avaient joué un si grand rôle. Mais celui qui a traité cette époque avec le plus de verve, de franchise et d'originalité, est assurément Paul de Gondi, cardinal de Retz; Voltaire, en avouant qu'il est inégal, trouve plusieurs endroits de ses Mémoires dignes de Salluste. Il excellait dans les portraits; le plus curieux de tous ceux qu'il a tracés est le sien, car il dit plus de mal de lui que n'en aurait pu dire son plus grand ennemi. d'important n'échappe à son coup d'œil rapide, et, en paraissant effleurer les objets, il n'en est point qu'il n'approfondisse avec autant de sens que de pénétration. Il ne faut pas le confondre avec son homonyme J. Hénault, auteur du fameux sonnet de l'Avorton, et d'une traduction brillante des premiers vers de Lucrèce. En choisissant les époques les plus intéressantes de l'histoire ancienne et moderne, Saint-Réal, le P. d'Orléans et Vertot ont acquis, surtout sous le rapport du style, une réputation méritée. Ce dont on peut les blâmer, c'est d'avoir trop souvent sacrifié la vérité à l'effet dramatique du récit; d'avoir imité trop servilement les formes classiques de quelques historiens anciens; de n'avoir presque jamais connu cette profondeur dans les généralités ou cette naïveté dans les détails, qui est un des caractères du vrai et qui force l'assentiment du lecteur. Saint-Réal, surtout dans sa Conjuration des Espagnols contre Venise, morceau d'un style très-remarquable d'ailleurs, s'approche du roman; le P. d'Orléans dans ses Révolutions d'Espagne et d'Angleterre, a souvent plié les faits à ses opinions d'homme ou de moine; l'inexactitude de Vertot, dans son Histoire des chevaliers de Malte, est devenue proverbiale. Son Histoire des Révolutions de Suède et de Portugal, celle surtout des Révolutions romaines, où il est soutenu par Tite-Live et Denys d'Halicarnasse, sont bien supérieures. Tous trois, au reste, dans quelques-unes des harangues qu'ils prêtent à leurs personnages, sont restés les modèles de l'éloquence historique. Mais parmi les écrivains du xvII° siècle, ou Les Mémoires du cardinal de Retz soutiennent, au xvire siècle, la gloire que la littérature françoise s'était faite en ce genre. Mais l'histoire proprement dite, si l'on excepte le chef-d'œuvre de Bossuet, n'atteignit pas la même hauteur. Quelques historiens de ce temps se distinguèrent par leur érudition, mais la pesanteur ou la sécheresse de leur style rend leur lecture pénible et fastidieuse; c'est le Nain de Tillemont, c'est Beausobre dans son Histoire du Manichéisme, c'est Lenfant dans celle de plusieurs conciles. Perefixe, en écrivant avec naïveté la Vie de Henri IV, a su augmenter l'amour des François pour son béros. Mézeray, dans son Histoire de France, a porté jusqu'à la hardiesse l'expression de ce qu'il croyait la vérité. Quoiqu'on puisse trouver de l'exagération dans les éloges qu'il donna long-plutôt de tous les siècles, celui qui a su transtemps au cardinal de Richelieu, il fut écrivain exact et consciencieux; sa manière d'exposer les faits est quelquefois un peu lourde et diffuse, mais son style a souvent de l'originalité et du nerf, et dans plusieurs de ses harangues il a égalé les grands modèles de l'antiquité. Rapin de Thoiras publiait vers le même temps son Histoire d'Angleterre. C'est à un Français, alors émigré dans leur pays, que les Anglais doivent la première histoire de leur nation qui ait pu se lire avec plaisir. Les excellents historiens qui ont honoré la Grande-Bretagne sont postérieurs à Rapin de Thoiras. Presque tous les reproches que l'on peat faire à Mézeray s'appliquent aux jésuites Maimbourg et Daniel; mais ceux-ci n'ont su faire pardonner leurs erreurs ou leurs inexactitades, ni par quelques aperçus larges et philosophiques sur les lois, sur les mœurs, sur les causes des événements, ni par l'élégance ou la chaleur de leur style. La meilleure production du xvne siè cle qui ait l'histoire de France pour objet, est surément l'Abrégé du président Hénault. Rien porter dans l'histoire avec le plus de hardiesse, tout l'entraînement passionné de l'éloquence, c'est Bossuet, si toutefois l'on peut ranger parmi les compositions historiques l'ouvrage que luimême intitula Discours sur l'histoire universelle. Du point de vue d'un Père de l'Église, saisissant en un coup d'œil tout l'ensemble des faits humains et les enchaînant l'un à l'autre avec une merveilleuse puissance de génie, Bossuet énonça, comme loi éternelle de la Providence, leur concours à l'accomplissement des projets de Dieu. envers son Église. Si, dans les âges suivants, cette vue a pu paraître incomplète et même erronée, si Vico, Herder et notre siècle ont été chercher ailleurs la clef des événements, il faut avouer que 'explication de Bossuet répondait parfaitement à ia pensée dominante du temps de Louis XIV, et, en même temps, donnait à l'histoire cette précieuse unité, si indispensable aux ouvrages de l'art. Aussi semble-t-il que le Discours sur l'histoire universelle ait été fondu d'un seul jet, tant toutes les parties sont étroitement liées, ensemble; et cependant chacune des trois grandes divisions de l'ouvrage a son caractère particulier, et elles n'ont de commun, outre l'unité de dessein, que la majesté et l'éclat d'une expression qui répond toujours à l'élévation de la pensée. Bossuet est la plus parfaite réalisation de cette philosophie religieuse et monarchique, qui inspira toute l'éloquence du xvi siècle. On conçoit, en effet, que sous le despotisme de Louis XIV, l'éloquence politique ne pouvait exister; celle du barreau laissa peu de traces, quoique supérieure cependant à ce qu'elle avait été jusqu'alors. Patru la dégagea des entraves pédantesques qui l'enchaînaient et lui enseigna la pureté et la dignité; Pélisson, en la consacrant à la défense d'une victime de l'arbitraire dans la personne de Fouquet, lui donna un caractère noble et touchant; Talon l'employa à soutenir les perfectionnements partiels qu'il cherchait à introduire, près Pussort, dans la législation, et Barbier d'Aucourt à plaider quelques causes avec éclat. Mais quel que fut le talent de ces hommes distingués, le barreau fut loin d'atteindre à la hauteur où parvint alors l'éloquence religieuse. Lingendes, sous Louis XIII, fut le Patru de ja chaire. Après lui, l'élégance, la correction, l'élévation du style y devinrent des qualités indiscensables. Les sermons de Claude et plus tard ceux de Saurin, pasteurs protestants, surpassent, sous ce rapport, ceux de la plupart de leurs coreligionnaires en Angleterre et en Allemagne. Les catholiques, soutenus par le pouvoir et par l'opinion, allèrent beaucoup plus loin qu'eux. A leur tête est Bourdaloue; ce qui le distingue, c'est la fécondité et la variété de la pensée; car, dans la grande quantité des sermons qu'il a laissés, le même sujet se trouve souvent traité plusieurs fois d'une manière toute différente c'est la profonde connaissance qu'il y déploie des dogmes et de la morale des Écritures; c'est la puissance de sa dialectique, si rigoureuse, si irrésistible, une fois que vous lui avez accordé ses prémisses; c'est la simplicité d'un style sévère et soutenu, qui n'accorde rien aux mots, dont la beauté est dans l'idée et dans la parfaite convenance qui s'établit entre elle et l'expression. Ses contemporains ne concevaient rien au-dessus de lui; bientôt après, Cheminais, qu'on appela le Racine des prédicateurs, prouva qau'il lui manquait cette onction qui arrache les lermes, et que Massillon, dans le siècle suivant, porta au plus haut degré. Mascaron et Fléchier ne purent lutter avec Bourdaloue com me prédicateurs, mais ils s'acquirent, par leur talent dans l'oraison funèbre, une renommée presque égale à la sienne. Le premier, beaucoup moins correct, moins poli, moins harmonieux, s'éleva jusqu'à la véritable éloquence dans l'Oraison funèbre de Turenne, soutenu qu'il était alors par la grandeur du sujet. L'autre, à qui l'on a reproché l'abus de l'antithèse, et une faconde trop méthodique et trop artificielle, mérite d'être soigneusement étudié surtout par les jeunes gens, pour la régularité de ses plans, le soin qu'il met à donner de la valeur aux plus petits détails, la pureté continue de sa diction, la singulière propriété de son expression souvent pittoresque, et l'harmonic tantôt brillante et gracieuse, tantôt grave et imposante de ses périodes. Fléchier s'exerça aussi dans le genre historique, mais son Histoire de Théodose et surtout celle du cardinal Ximenes sont bien au-dessous de ses discours. Fléchier avait atteint la perfection de l'art; chez Bossuet l'art disparaît, et l'on ne voit plus que le génie. On a dit de ses écrits ce que Quintilien disait du Jupiter de Phidias, qu'ils avaient ajouté à la religion des peuples. Jamais, dans aucun temps, l'éloquence n'avait atteint ces hauteurs sublimes, ou plutôt, comme la narration de Bossuet a toute la passion de l'orateur, son éloquence a tout l'enthousiasme de la poésie. Dans les Oraisons funèbres de la reine d'Angleterre, de la duchesse d'Orléans, du prince de Condé, il ne s'abaisse ni ne se repose; le lecteur irrésistiblement entraîné court avec lui au dénoûment, comme si le discours était devenu le drame le plus tragique et le plus animé. Aussi savant politique que Démosthènes, il pénètre, comme lui, jusqu'aux dernières profondeurs du cœur et des affaires humaines; mais, ce qui n'était pas donné à Démosthènes, il s'élance de là au ciel pour y puiser les inspirations religieuses qui lui font dominer ces abimes. Il a ennobli jusqu'à cette adulation monarchique qui était si bien dans l'esprit de son siècle que lui-même ne put s'y dérober. Sa langue est à part comme sa manière; il a plié le français à toutes les impérieuses exigences de son esprit, il l'a fait sien, au point que l'imiter ne serait pas impossible, mais presque ridicule; sa parole ne serait plus qu'étrange, si on la rencontrait hors de sa pensée. Quoique ce style ne soit nulle part si élevé que dans ses Oraisons funèbres, on en trouve des reflets dans tous ses autres ouvrages, dans la Politique de l'Écriture sainte, dans les Méditations, dans l'Histoire des Variations, dans cette foule d'écrits polémiques qui marquèrent presque chaque année de sa brillante carrière; car la fécondité fut toujours un des premiers attributs du génie. On voudrait cependant retrancher des derniers écrits de Bossuet ceux dans lesquels il poursuivit, avec une intolérance inexcusable à nos yeux, un homme qui, par ses écrits, fut comme lui la |