Mirabeau préludait à cette foudroyante éloquence ¡ l'écrivain, on est forcé de reconnaître qu'ils ont qui devait le placer à la tête de nos orateurs poli- contribué à placer Diderot au premier rang des prosateurs. tiques. Sans rester étrangère aux questions de gouvernement et d'administration, l'influence des encyclopédistes et des philosophes se fit mieux sentir dans la métaphysique, la morale, les sciences mathématiques et naturelles. Assurément il y avait quelque chose d'imposant dans cette réunion des savants et des littérateurs de France, associant leurs études et leurs efforts pour fixer le point où étaient parvenues de leur temps toutes les connaissances humaines : c'était un utile et magnifique héritage à léguer à l'avenir. On doit avouer que ce grand travail est resté incomplet sous plusieurs rapports; quelques branches ont été négligées; il règne dans d'autres une confusion nuisible; en obéissant trop aveuglément aux opinions et aux préjugés du jour, les rédacteurs sont souvent tombés dans de graves erreurs; mais lorsqu'on songe aux obstacles de tout geure qui ont entravé la marche de l'Encyclopédie, sans cesse harcelée par l'autorité, on s'étonne qu'elle ait pu être menée à terme, et l'on admire davantage la supériorité de plusieurs parties. Le plus ardent promoteur de cette immense entreprise, l'homme qui lui donna la vie, et la suivit dans sa carrière avec une infatigable constance, ce fut Diderot. Diderot est, après Voltaire, le génie le plus universel du xvme siècle, l'écrivain le plus éloquent après Rousseau; peut-être même a-t-il été plus éminemment artiste que l'un et l'autre. Parmi les idées qu'aujourd'hui l'on nous donne comme nouvelles dans la littérature et les arts, il en est peu qu'il n'ait aperçues et jetées çà et là avec une verve toute particulière. Mais il ne put jamais élaborer toutes ces conceptions qui bouillonnaient confusément dans son esprit. L'incohérence est son caractère distinctif. D'ailleurs il mit de la chaleur jusque dans les désespérantes doctrines de son aride métaphysique, et de la poésie jusque dans sa prosaïque théorie du drame; on ne se lasse point d'admirer la variété féconde et entraînante qui anime sa Correspondance avec Grimm, ses Lettres à Mme Roland dernièrement découvertes, Examen des salons de peinture, etc. Nul autre n'eut autant de spontanéité; pour ainsi dire, dans le style. Elle éclate au plus haut degré dans ses Contes, dans Jacques le fataliste, dans le Neveu de Rameau, cet ouvrage si original que Goethe a littéralement traduit. Sans doute on gémit sur les sophismes sans nombre, sur le dévergondage effréné des pensées, sur le cynisme audacieux des expressions qui souillent ses Romans; mais en signalant le danger de tels ouvrages, dont il faut accuser le siècle plus encore que son D'Alembert lui est bien inférienr sous ce rapport. Excellent mathématicien, il a traité admirablement la partie du Discours préliminaire de l'Encyclopédie qui traite des sciences exactes et naturelles, c'est un de ses plus beaux titres de gloire; mais sa métaphysique est incomplète et superficielle; comme littérateur, toujours pur, correct, ingénieux, il manque souvent de chaleur et d'originalité. La doctrine de Condillac est fa base de la métaphysique de l'Encyclopédie. C'est le système de Locke porté plus loin que n'avait osé Locke lui-même, mais sans le pousser à ses dernières conséquences comme le firent Hume et Berkeley. La philosophie de Condillac part des sensations pour remonter jusqu'à l'activité de l'àme, comme Leibnitz et la philosophie allemande partent, en général, de l'activité de l'âme pour descendre à la sensation. Mais, sans vouloir décider si la route choisie par Leibnitz est la meilleure, on doit avouer que lorsque Condillac est parvenu, par l'analyse, à spiritualiser autant que possible la sensation, il est forcé de s'arrêter devant l'abîme qui sépare encore le point où il est arrivé et l'activité de l'âme. Son style, dans le Traité des Sensations, dans celui des Systèmes, dans la Logique, dans l'Origine des connaissances humaines, est précis, clair, intelligible; sa fameuse fiction de la statue est ingénieuse; mais cette précision et cette clarté ne viennent peut-être que de ce qu'il n'est ni assez complet, ni assez profond. Son Cours d'Etudes et surtout l'Histoire universelle qui en fait partie, sont bien au-dessous de ses ouvrages purement philosophiques. Charles Bonnet, excellent naturaliste et observateur ingénieux, a adopté un système de métaphysique semblable à celui de Condillac, mais son analyse de la statue est plus parfaite, et quoique la sensation soit aussi son point de départ, elle ne l'empêche pas d'admettre, comme par instinct, l'activité spontanée de l'âme. On aurait tort de chercher dans les philosophes du xvme siècle un corps de doctrines morales complet et déterminé. L'impérieux besoin d'exprimer les opinions changeantes de la société de leur temps s'oppose chez eux à toute unité de dessein on voit assez cependant que pour concilier la morale avec leur métaphysique ils ont dù lui donner pour base l'égoïsme, mais dans le sens louable du mot, c'est-à-dire l'amour de soi en tant qu'il renferme celui des autres. Helvétius, honnête homme lui-même, développa, dans ses livres de l'Homme et de l'Esprit, cette doctrine qui fut trop souvent subversive par le fait de toute moralité vraie et profonde. Les attaques dirigées contre ces deux ouvrages furent en grande partie la cause de leur prodigieux succès. Ils n'en étaient dignes ni pour le fond ni pour la forme, quoiqu'on y trouve des aperçus ingénieux et des pages bien écrites. Cabanis, dans son livre des Rapports du physique et du moral de l'homme, traita avec plus de science et de profondeur qu'Helvétius la partie physiologique de sa doctrine. Volney et Saint-Lambert formulè. rent mieux sa morale en lui laissant toujours pour fondement l'intérêt personnel. Nous ne parlons point d'une foule d'écrivains qui exagérèrent le matérialisme sensuel de leur temps, et méritèrent plutôt le nom de sophistes et de déclamateurs que celui de philosophes. Tels sont le baron d'Holbach, le marquis d'Argens, Maupertuis, l'abbé Morellet, plus modéré que ses confrères, etc. On préfère revenir à ceux qui avaient conservé, avec le style du xvne siècle, une morale plus pure et plus consolante. Vauvenargues, sans être resté étranger aux opinions de son âge, n'avait pas étudié l'homme pour le mépriser et le décourager. Sa morale sympathise avec toutes les nobles affections du cœur, et son langage rappelle par intervalles la noblesse et la suavité de Fénélon; le goût qui a dirigé sa critique littéraire est singulièrement remarquable à l'époque où il vivait. Nul n'a mieux apprécié que lui Racine, Quinault, et plusieurs des grands poëtes de l'àge précédent. On peut rapprocher Condorcet de Vauvenargues, quoique leur point de départ n'ait pas été le même. L'Esquisse des progrès de l'esprit humain du premier a pour but, comme les Réflexions et Maximes du second, d'inspirer à l'homme le sentiment de sa dignité. On ne peut se défendre d'une profonde émotion lorsqu'on songe que celui qui écrivait sur la perfectibilité humaine, avait alors pour demeure un cachot et la guillotine en perspective. C'est ainsi qu'en parcourant les pages où le savant Bailly applique à l'Histoire de l'astronomie ancienne et moderne, l'élégance et l'éclat du style de Buffon, on se rappelle avec plus d'attendrissement le supplice de ce martyr de l'ordre public et de la vraie liberté. observation juste et spirituelle, mais il ne s'o cupe guère que de la société de son temps, et peint plutôt l'extérieur et les habitudes, qu'il ne pénètre dans la nature intime des mœurs et des passions. Marmontel, dans ses Mémoires, est moins ingénieux que Duclos; sa Morale est plus pratique et s'appuie sur des bases plus solides, mais elle est commune et sans expression; sa Grammaire est bien préférable; sa Logique et sa Métaphysique ne sont qu'une copie assez terne de PortRoyal; le jésuite Buffier avait fait mieux; Du marsais, dont on a trop vanté les Tropes, et don le seul ouvrage un peu remarquable est l'Essar sur les préjugés, n'avait pas fait plus mal. Les meilleurs titres littéraires de Marmontel sont quelques pièces de vers, et entre autres son Epitre aux poëtes, quelques opéras-comiques, Zémire et Azor, l'Ami de la maison, la Fausse Magie, qui durent une partie de leur succès à la musique de Grétry, mais qui n'en sont pas indignes, le roman des Incas, et surtout celui de Bélisaire, sans doute infiniment au-dessous de Télémaque, mais supérieur au Séthos de l'abbé Terrasson. On regrette que les premiers chapitres, qui sont excellents, soient suivis de dissertations philosophiques qui fatiguent par leur ton sentencieux et pédantesque. Les Contes moraux sont préférables. Plusieurs d'entre eux se distinguent par une simplicité gracieuse et touchante. On peut reprocher aux Eléments de littérature des longueurs et des observations un peu communes, mais une mémoire heureuse, un goût sûr, un style élégant et spirituel, font de ce recueil un des meilleurs traités de critique littéraire que possède notre langue. Cependant les dernières années du xviie siècle virent naître deux ouvrages qui effacèrent la réputation de Marmontel comme rhéteur, et surtout comme romancier moraliste. Il s'agit de La Harpe et de Bernardin de SaintPierre. La Harpe, qui s'était déjà fait connaitre par ses Eloges académiques, par ses tragédies de Coriolan, de Warwick et de Philoctète, par son drame de Mélanie, et par un grand nombre d'opuscules en tout genre, publia son Lycée ou Cours de littérature. Le ton dur et tranchant avec lequel il traite certains écrivains, les longs commentaires qu'il prodigue à quelques autres, ses diatribes contre les philosophes qu'il avait encensés jadis, son ignorance de l'antiquité, son orgueilleux mépris pour les littératures étrangères, son attachement étroit pour les règles classiques, n'empêcheront pas d'apprécier la supériorité de son Avant eux, Duclos avait écrit ses Considérations sur les mœurs. Sans partager les systèmes des philosophes de son temps, il en avait adopté la manière. Comme historien, il montre, dans ses Mémoires sur la régence et dans son Histoire du règne de Louis XI, plus de finesse que de profondeur; comme romancier, il se rapproche, dans les Confessions du comte de, de Mari-jugement et la délicatesse de son analyse dans vaux qu'il n'égale point; comme moraliste, il a de la franchise, de la précision, de la clarté, une l'examen des écrivains du xvIe siècle, l'abondance et la varieté qui permettent de le suivre sans с fatigue dans sa longue carrière, et son admiration. pour les chefs-d'œuvre, si bien sentie qu'elle élève quelquefois sa critique jusqu'à l'éloquence. On pourrait mentionner ici d'Olivet, Girard, si utile à la langue par ses Synonymes français, Des Brosses, Court de Gébelin, le savant auteur du Monde primitif, mais ils sont plutôt des grammairiens que des critiques. Un acharnement insensé contre Homère a immortalisé Zoïle; l'obstination de leurs diatribes contre Voltaire a fait vivre de même Fréron, Clément et La Beaumelle. Ils avaient cependant des connaissances, et les deux premiers surtout font preuve de goût quand la passion ne les aveugle pas. Louis XV; le plus illustre fut Massillon. S'il n'a pas la vigueur de Bourdaloue et l'élévation habituelle de Bossuet, il les surpasse peut-être l'un et l'autre dans le Sermon, par la simplicité toujours noble et pure, et la singulière onction de son langage. Habile à combattre les sophismes que la passion oppose à la vertu, il ramène à Evangile par la douceur pénétrante de ses paroles son style, qui, par intervalles, monte jusqu'au sublime, est toujours mélodieux et facile, et ses négligences mêmes ont un charme, car il semble que l'inspiration céleste lui tienne lieu de tout travail humain. L'abbé Poulle porta l'abondance jusqu'à la prolixité; l'abbé de Boismont, l'élégance jusqu'à l'affectation; mais Beauvais, évêque de Sénez, sut reproduire souvent le langage touchant de Massillon. Il donna au christianisme une forme presque philosophique, indispensable peut-être alors et qu'on retrouve dans tous les sermons de cette époque, excepté dans ceux de ces missionnaires qui, comme le père Bridaine, ignorants de leur siècle, et n'ayant d'autre éloquence que leur foi, mettaient encore, dans leurs fougueuses allocutions, la vieille sévérité de la parole évangé Bernardin de Saint-Pierre fut l'élève et quelquefois l'émule de J.-J. Rousseau; nul autre que lui n'a mieux reproduit ce vague des rêveries individuelles, cette harmonie riche d'images, cette passion enthousiaste pour les merveilles des cieux et de la terre qui caractérisent son maître. Il y a, dans les Etudes et les Harmonies de la nature, des pages ravissantes qu'on dirait échappées à l'auteur des Confessions et des Réveries d'un promeneur solitaire; mais le chef-d'œuvre de Bernardin et l'un des meilleurs livres de la langue, c'est ce délicieux roman de Paul et Vir-lique. ginie, cette perle recueillie sur les rivages d'Afrique, que l'on est tout surpris de rencontrer à travers le clinquant et les oripeaux des romans du XVIe siècle. C'est l'alliance du plus ardent amour et de la plus suave pureté, de ce que la nature a de plus touchant et de plus gracieux, une mère et un berceau, des sentiments raffinés de notre civilisation, et des sensations naïves d'une famille primitive et solitaire. Le style enchanteur de Paul et Virginie se retrouve, mêlé aux couleurs de la philosophie du temps, dans la jolie nouvelle de la Chaumière indienne. Les noms de Rousseau et de Bernardin sont une transition naturelle de la philosophie morale à l'éloquence. ÉLOQUENCE DE LA CHAIRE, DU BARREAU ET DE LA TRIBUNE. On conçoit qu'au milieu de ce torrent d'opinions hostiles à toutes les institutions précédentes, qui entraînait le xvIe siècle, l'éloquence de la chaire ne pouvait conserver ce caractère sévère et impérieux que les mœurs et les croyances publiques lui avaient assuré sous Louis XIV. L'orateur, pour ne pas blesser un auditoire qui lui apportait des dispositions critiques et railleuses, se voyait forcé d'adoucir l'austérité de la parole religieuse, et d'éloigner le dogme pour s'occuper préférablement de la morale. Cependant plusieurs prédicateurs se distinguèrent sous Mais si l'éloquence de la chaire ne se soutint pas à la même hauteur que sous Louis XIV, l'éloquence académique et celle du barreau se perfectionnèrent, et, en 1789, les circonstances créèrent l'éloquence politique. La Harpe, Champfort et d'Alembert louèrent avec élégance et avec goût plusieurs des écrivains et des grands hommes du siècle passé ; le dernier rappela le genre d'esprit de Fontenelle dans les éloges de ses collègues à l'Académie, qu'il devait prononcer en sa qualité de secrétaire perpétuel. D'Alembert s'y montre aussi ingénieux et moins affecté que Fontenelle. Mais cette sorte d'oraison funèbre, à laquelle plusieurs littérateurs et surtout Thomas durent leur renommée, ne pouvait soutenir le parallèle avec celle qui avait illustré Fléchier et Bossuet. Récitée devant une assemblée académique, elle était dépouillée de cette puissance que donnait la foi à l'ancienne oraison funèbre, et de cet appareil imposant qui l'environnait dane les temples. Aussi Thomas, ne pouvant atteindre la sublimité essentielle de ses prédécesseurs, trahit partout l'effort qu'il fait pour s'y élever. Il y a quelque chose de froid, d'ampoulé, de déclamatoire, dans ses Éloges de Sully, de DuguayTrouin, de Descartes, etc.; mais, comme il était réellement vertueux, son âme honnête lui inspire, par intervalles, une éloquence vraiment énergique et touchante. Tel est le caractère de l'Eloge de Marc-Aurèle, qu'il cut l'heureuse idée de placer dans la bouche d'un philosophe ami de Tempereur, au moment où Commode va monter sur le trône et lorsque les Romains peuvent déjà sentir que Marc-Aurèle est mort tout entier. Un des ouvrages les plus éloquents de Thomas est son Essai sur les Eloges. Il a su apprécier d'une manière digne d'eux les hommes de génie dont il parle. En passant de l'Académie au barreau, nous voyons, dès le commencement du xvme siècle, d'Aguesseau, dans un style pur et noble, plein de gravité et de douceur, tracer à l'avocat et au magistrat le code de leurs devoirs, dont sa vie tout entière leur donnait le plus bel exemple. Plus tard Cochin et Le Normand se firent un nom par des plaidoyers, où ils rattachèrent la discussion des intérêts privés à des principes plus larges et plus généraux que ceux que l'on avait invoqués avant eux. De Monclar et Castillon, à Aix, La Chalotais en Bretagne, et l'avocat général Servan, eurent l'occasion de les développer d'une manière plus brillante encore dans l'affaire de la destruction des jésuites. Déjà les écrits politiques et les journaux qui s'étaient multipliés avaient répandu de toutes parts les idées de réforme dans la jurisprudence et l'administration, lorsque les événements de 1789 dotèrent la France d'une représentation nationale. Alors d'habiles jurisconsultes appliquèrent l'art oratoire à tous les objets de la législation: alors brillèrent à la fois Thouret, que ses Considérations sur les révolutions de l'ancien gouvernement français ont placé, comme historien, à côté du président Hénault; Tronchet, Camus, aux mœurs austères et au grand savoir; Target, Treilhard, Merlin dont les lumières ont éclairé les tribunaux de l'Europe entière; Chapelier, Barnave, également distingué par la gravité de son style et l'adresse de sa dialectique; Lally-Tolendal dont la sentimentale éloquence rappelait toujours que l'amour filial avait inspiré ses premières paroles; Cazalès et Maury qui surent être orateurs même en défendant des priviléges que la raison et l'opinion repoussaient également: enfin ce prodigieux Mirabeau qui plane sur eux de toute la hauteur de sa måle et dominante éloquence, cet homme aux passions impétueuses et au sublime génic, dont on a dit qu'il avait les pieds dans la fange et la tête dans les cieux, le plus puissant des temps modernes pour soumettre les autres hommes à T'empire de la parole, dont le nom, comme celui de Démosthènes, est devenu synonyme de l'éloquence, et qui égalerait toute la perfection de l'orateur grec, si son élocution, toujours forte, entrainante, passionnée, tranchant d'un seul trait tous les nœuds d'une question, n'était parfois incorrecte et embarrassée. Dans les assemblées suivantes on ne retrouve | plus de Mirabeau; l'éloquence, aigrie par les passions, n'est le plus souvent qu'un tissu de déclamations délirantes. On doit s'arrêter cependant sur cette admirable Gironde, sur ces hommes si purs et si nobles qui aimaient la liberté, dit Nodier, comme les premiers chrétiens aimaient la foi, parce qu'alors on mourait pour elle. Là se trouvaient Guadet, Gensonné, Louvet dont l'éloquence fit si souvent pålir Robespierre; Fonfrède aux inspirations pleines de fougue et d'impétuosité; Isnard dont la voix rude et emphatique contrastait avec le charme indicible, l'harmonie toute poétique de ce Vergniaud qui jeta, à travers toutes ces clameurs furieuses, des paroles exhalant je ne sais quel suave parfum d'antiquité. Elles s'échappent de sa noble bouche, comme ces flocons de neige auxquels le poëte compare les discours de Nestor on les dirait filles de la prose de Fénélon, sœurs de la poésie d'André Chénier. Telle était alors l'éloquence; l'histoire se taisait; on en faisait, on n'en écrivait plus. Cependant le xvme siècle avait compté quelques historiens. HISTOIRE, MÉMOIRES, ROMANS. les Les Mémoires, qui se retrouvent à chacune des époques de l'histoire de France, et qui appartiennent si bien au caractère de la nation, parce qu'ils ont pour éléments l'amour-propre, le bor sens et le besoin d'une causerie naïve et malicieuse, les Mémoires ne pouvaient manquer au XVIIIe siècle. Ceux de Dangeau ne sont qu'un journal des événements du siècle précédent, Correspondances de Mme du Deffant, de Mme d'Épinay et de quelques autres dames, renferment beaucoup de faits et une peinture animée de la corruption du temps, mais on ne peut leur donner le nom de mémoires, pas plus qu'aux lettres de Mme de Sévigné. Quelques ouvrages, comme les Mémoires du duc de Richelieu, sont apocryphes et n'ont d'autre mérite que le scandale. Nous avons parlé des écrits de Marmontel et de Ducios sur la régence. Mais le meilleur peintre de cette époque est le duc de Saint-Simon. Il faut lire ses Mémoires dans l'édition publiée il y a quelques années. Sa franchise, son énergie, la verve de sa causticité aristocratique, la perspicacité de son coup d'œil, l'originalité de son expression, le placent à côté, si ce n'est au-dessus, du cardinal de Retz. Dans l'histoire proprement dite, un contemporain du duc de Saint-Simon, l'abbé de Fleury, se montra érudit et judicieux. Son traité des Mœurs des Israélites et des Chrétiens, cl surtout sou immense Histoire ecclésiastique, sont des com positions dignes d'estime. Dans les discours qui l'accompagnent, il a fait preuve d'un esprit philosophique qui ne nuit en rien à son orthodoxie et qui fait honneur à son jugement. Son livre intitulé: Choix et méthode des études, se recommande aux amis des saines doctrines littéraires par un style pur et de sages préceptes. Il faut rapprocher de cet ouvrage le Traité des études de Rollin, qui doit être le manuel des hommes chargés de l'éducation de la jeunesse. Rollin est un historien de l'école de Fleury; on voit que tous deux appartiennent au xviie siècle plutôt qu'au xvine. Le recteur de l'université est verbeux comme le savant abbé; il ne possède pas sa perspicacité et sa profondeur; mais son style dans l'Histoire ancienne et romaine a de la sagesse et une teinte de bonhomie quelquefois touchante; partout on y reconnaît l'homme de bien. Crevier, qui a continué l'histoire romaine jusqu'au règne de Constantin, écrit dans les mêmes principes, mais il est plus lourd et plus diffus. Lebeau a poursuivi leur travail en traitant de l'Histoire du Bas-Empire. Bien inférieur à l'Anglais Gibbon, il ne manque cependant ni d'élégance, ni d'une certaine harmonie. Il cût été à désirer que Rollin et Lebeau se fussent occupés de l'histoire de France plutôt que Velly, Villaret et Garnier, dont le long et pénible ouvrage n'est pas inutile à ceux qui ignorent les faits, mais est dépourvu de critique aussi bien que d'élégance. Les Observations de Dubos sur l'Histoire de France, et surtout les savantes recherches de Boulainvilliers sur le droit public et l'esprit des anciennes institutions françaises, sont beaucoup plus lumineuses et plus instructives. Voltaire avait senti le besoin d'une réforme dans la manière d'écrire l'histoire. Il voulut l'exécuter en y introduisant l'esprit philosophique; mais sa vivacité d'imagination, l'ardeur quelquefois irréfléchie avec laquelle il saisissait les opinions, sans pouvoir se soumettre toujours à la patience de l'examen, ne lui permirent pas de réussir complétement. Le meilleur de ses ouvrages historiques est l'Histoire de Charles XII; là, en effet, il devait se montrer plutôt peintre que philosophe. Celle de Pierre le Grand se place au second rang. Le tableau qu'il a présenté du siècle de Louis XIV, brille des plus éblouissantes couleurs, et il est certain que le grand roi devra beaucoup à Voltaire pour sa renommée dans l'avenir; mais ce tableau est incomplet, et le peintre a laissé dans l'ombre une partie de son sujet, soit à dessein, soit qu'il ne l'ait pas aperçue lui-même. Le même défaut se fait sentir dans l'Essai sur les mœurs et l'esprit des nations; on y remarque de plus une raillerie légère qui no paraît pas digne de la sévérité historique, et u partialité qui quelquefois tronque les faits dans le but de détruire les opinions religieuses de son époque. Du reste, il faut admirer dans Voltaire historien toutes les qualités de style que nous avons remarquées dans Voltaire philosophe; de tous ceux qui ont cultivé ce genre en France, c'est lui qui embrasse le mieux un vaste plan, le distribue avec le plus de clarté, peint un grand homme avec le plus de vivacité; c'est lui enfin dont la lecture est la plus facile et la plus attachante. Son école n'hérita pas de son mérite : l'abbé Millot, en écrivant des résumés incomplets de l'Histoire ancienne et moderne, de celle de France et d'Angleterre, a montré autant de partialité contre les dogmes et les formes du culte religieux que d'autres ecclésiastiques en avaient montré en leur faveur. Raynal consacra une verve et un talent d'écrivain, dignes d'un meilleur usage, à déclamer, avec tout l'emportement de l'intolérance, contre les institutions sociales de son pays. Son Histoire de l'établissement des Européens dans les deux Indes, où l'on trouve d'ailleurs tant de réflexions justes et de pages éloquentes, fatigue par les diatribes qu'il y a multipliées. Sous ce rapport, on lui préférerait peut-être l'Histoire des Indes orientales par l'abbé Guyon, d'ailleurs si inférieur à Raynal comme savant et comme écrivain. La père Bougeant, dans son Histoire de la guerre de trente ans et de la paix de Westphalie, a employé de bons matériaux dont malheureusement il n'a pas su tirer tout le parti possible. Gaillard a mieux exploité les sources dans ses Histoires de Charlemagne, de François Ier, et de la Rivalité de la France et de l'Angleterre. Son style manque de vigueur et de précision, mais il a mis dans sa narration de l'intérêt et de l'élégance. Si le grand nom de Mirabeau n'a pas sauvé de l'oubli son travail immense, mais diffus et indigeste, sur la Monarchie prussienne, on trouve d'excellents documents sur cette partie des annales de l'Europe dans les écrits de Frédéric. II, que la France peut compter au nombre de ses historiens, puisqu'il a écrit en français. Ses Mémoires sur sa maison rappellent parfois l'énergie et la simplicité du style de César et sont beaucoup plus estimables que tous les vers qu'il prodiguait si facilement. Ce fut vers la fin de ce siècle qu'Anquetil publia ses compilations historiques qui présentent en général peu d'intérêt, si l'on en excepte l'Esprit de la Ligue et l'Intrigue du Cabinet. On lira avec beaucoup plus de fruit l'excellente Histoire de l'anarchie de la Pologne, de Rulhière, qui s'était déjà fait un nom par son joli poëme des Disputes. M. de Castera avait publié une Histoire de Catherine 11, mais Rulhière, qui passa vingt-deux années à |