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POLITIQUES, CIVILES,

ET

LITTÉRAIRES

DU

DIX-HUITIÈME SIÈCLE;

OUVRAGE PERIODIQUE,

PAR M. LINGUET.

Uno avulfo, non deficit alter.

TOME.SEPTIÈME.

A LONDRES.

MDCC.LXXIX,

Rom. Ravy. querenik 35 20.37

33983

LETTRE

A L'AUTEUR DES ANNALES,

»

Sur l'article VARIÉTÉS du Mercure Panckoucke du 18 Septembre 1779.

Paris, ce 19 Septembre 1779.

:

LE E vif intérêt, Monfieur, que tous vos amis, & même bien des gens indifférens en apparence, prennent à votre gloire, m'engage seul à vous écrire. Je suis Membre d'une Société où vous êtes chéri, estimé. Nous nous réuniffons tous pour vous demander un éclaircissement sur la Lettre dont voici copie. Elle est inférée dans le dernier Mercure, celui d'hier. Je la transcris, de peur que vous ne l'ayiez pas encore fous les ieux, & afin de hâter le moment de votre réponse. La voici telle qu'elle eft, ou semble être adressée aux Rédacteurs de ce Journal.

1

>> Je n'ai point envie, Monfieur, d'entrer dans la lice des disputes littéraires: j'avouerai même mon insuffisance. Sans efprit de parti, j'aime le talent par-tout où je le trouve; j'ai toujours admiré hautement celui de M. Linguet; mais en regrettant bien sincèrement qu'il ne fit presque jamais pour la vérité les efforts de courage qu'il proftitue si souvent au menfonge.

à

>>> Quand M. Linguet n'a fait la guerre qu'à la littérature, & ce qu'il appelle la Philosophie, qu'il a vu des armées d'ennemis où il étoit feul ennemi de lui-même, & qu'il a créé des fantômes pour avoir la gloire de les combattre, il n'y a jamais eu un grand danger à lui laisser user toutes les ressources de l'amour-propre révolté, & d'un désespoir impuissant. La belle Littérature & la faine Philofophie font également à l'abri de ses coups. Mais quand M. Linguet, emporté par la plus fougueuse passion, fabrique une imposture & une espèce de faux pour alarmer la nation fur la confiance qu'elle doit au premier Corps de l'Etat, chargé de la vérification & du dépôt des loix, & effentiellement lié à la constitution de notre Monarchie, tous les citoyens qui peuvent faire entendre la vérité, doivent élever la voix pour rassurer le Public.

» M. Linguet, dans le No. 46 de fes Annales, copie l'Edit du mois d'Août dernier, portant abolition du droit de mainmorte & de fervitude dans les Domaines du Roi, & abolition générale du droit de suite sur les serfs & main-mortables. Après des réflexions à fa manière fur ce monument de la bienfaisance du Roi, antant au-dessus de ses éloges que de fa cri tique, M. Linguet s'exprime ainsi, pag. 361 & 362. Il a été pré Senté an Parlement de Paris pour y fubir la formalité de l'enregistrement: il paroîtra bien fingulier, aux étrangers fur-tout, d'apprendre que ce Tribunal y ait ajouté une modification qui l'annulle dans une de fes parties: il est enregistré à la charge qu'il ne pourra nuire ni préjudicier aux droits des Seigneurs ; mais dès que ce droit de fuite est une prérogative Seigneuriale, l'Edit qui tend à l'abolir est donc anéanti lui-même par cette restriction. Si les volontés Parlementaires doivent l'emporter fur les volontés Royales, fi les hommes appellés pour juger au nom du Prince peuvent éluder, en vertu de cette mission, les règles établies par le Prince même, qu'y aura-t-il donc de stable & de fixe dans le Royaume? Un main-mortable décédé dans un lieu frane, laissera une fucceffion opulente : les enfans, en vertu de la loi, voudront la recueillir: le Parlement, en vertu de fa modification, les déclarera non-recevables, & adjugera l'héritage au Seigneur fuivant. C'est la millionième des inconféquences de ce genre dont notre Législation & notre Jurisprudence offrent des exemples: on ne les corrige pas toutes; mais celle-ci eft fi frappante & fi inconcevable qu elle fera fans doute réformée.

>> Ceux qui font accoutumés à croire M. Linguet sur sa parole (car il en est encore quelques-uns), ne s'attendent pas à trouver dans cet endroit la calomnie la plus téméraire

qu'aucun Ecrivain ait jamais pu hasarder: cependant il ne faut que jetter les ieux sur l'Arrêt d'enregistrement de cet Edit, & l'on voit qu'il est enregistré, sans que ses dispositions puissent nuire ni préjudicier aux droits des Seigneurs QUI SEROIENT OUVERTS AVANT L'ENREGISTREMENT DUDIT EDIT.

:

>>> Le Parlement, par cette clause, n'a fait que déclarer une difpofition de droit, suivant laquelle les loix n'ont point d'effets rétroactifs, & ne font obligatoires que du jour de leur publication. Que fait M. Linguet? Il imprime que l'Edit eft enregistré à la charge qu'il ne pourra nuire ni préjudicier aux droits des Seigneurs; il fupprime qui feroient ouverts avant l'enregistrement ; & au moyen de cette falfification , ne faisant voir que le droit de suite aboli par l'Edit, & confervé par T'enregistrement, il se met à portée de tirer ses conféquences, & de se livrer à là plus scandaleuse déclamation. Si la calomnie étayée par le faux devient un crime, c'est sans doute lorsqu'elle tend à inculper la première Cour Souveraine du Royaume, & à rendre odieux des Magistrats que la nation doit aimer & respecter.

>> Que pourra alléguer M. Linguet pour se difculper? Il ne pourra pas dire qu'il a été trompé par une fausse notice. Il a copié littéralement l'Edit & l'enregistrement, & il ne s'est arrêté qu'aux mots qui feroient ouverts avant l'enregistrement, parce qu'ils écartoient toute idée de modification & de reftriction, & qu'ils faisoient évanouir son projet.

>> Mais allons plus loin, & examinons la propofitión de M. Linguet dans la thèse générale. M. Linguet, grand Jurifconfulte & grand Publiciste, comme l'on fait, regarde une modification apposée à une loi par une Cour Souveraine, comme une contradiction à la loi & une inconféquence. Il affecte d'ignorer que ce droit des Cours, ainsi que celui de faire des Réglemens qui ont force de loi, n'est qu'une émanation de la souveraine Puissance de nos Rois qui ont pensé, d'après l'expérience des temps, que, sur bien des objets, les Cours étoient plus à portée qu'eux-mêmes de savoir ce qui étoit le plus utile à leurs peuples, & qu'il ne pourroit jamais. y avoir d'inconvéniens à leur communiquer cette portion de leur pouvoir, pour l'exercer provisoirement & fous le bon plaifir de la Majesté Royale. Ainsi ce témoignage vivant &

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