ment de la justice! sinon, c'est encore exciter chacun à mordre son voisin : pour prouver que la justice n'est qu'en soi. Et, voilà précisément pourquoi : il y a des nationalités. Il paraît que, c'est seulement depuis le déluge qu'il y a des nationalités. C'est au moins l'avis de Bossuet. Auparavant, sans doute, on avait déjà appris : à distinguer la vérité de l'erreur; et, les opinions n'existaient pas encore. Il faut alors savoir mauvais gré, à notre commun père Noé, de ce qu'il a préféré embarquer dans l'arche le serpent à sonnettes, aux archives du genre humain. « Ce fut après le déluge, dit Bossuet, que parurent ces ravageurs de province que l'on a nommés conquérants, qui, poussés par la seule gloire du commandement, ont exterminé tant d'innocents. » Il est peu charitable, à Bossuet, d'interpréter les intentions; et, surtout, de les interpréter du mauvais côté. Pour que la paix existe, il faut que les nationalités soient exterminées. Pourquoi donc les conquérants n'auraient-ils pas eu l'intention de faire, par force, ce que la raison n'est pas encore en état de faire? la «< Depuis ce temps, continue Bossuet, l'ambition s'est jouée sans aucune borne de la vie des hommes; ils en sont venus à ce point de s'entre-tuer sans se haïr; le comble de la gloire et le plus beau de tous les arts a été de se tuer les uns les autres. >> (Discours sur l'Hist. univ.) - Et Bossuet, en divisant la nationalité chrétienne en huit ou dix nationalités secondaires, a considérablement augmenté les causes de tuerie. Ce n'est, du reste, que par l'excès de mal que les nationalités peuvent être anéanties. Alors, gloire à Bossuet! << La religion, dit Chateaubriand, est le plus puissant motif de l'amour de la patrie. >> (Gén. du Christ., 3e part., liv. IV, ch. v.) - C'est même le seul durable. Quand cette base s'écroule, le monde tombe dans une anarchie, dont il ne peut sortir que, par l'avénement de la société nouvelle, basée sur la religion réelle, achevant d'anéantir les nationalités. << Celui qui renie le Dieu de son pays est presque toujours un homme sans respect pour la mémoire de ses pères. >> (Ibid.) Il paraît que, par respect pour la mémoire de son père et pour sa nationalité, M. de Chateaubriand eût continué d'adorer le grand Serpent: si, tel avait été le culte de ses aïeux. C'est ce qu'il a fait, du reste; il est resté royaliste: parce qu'il était né tel, quoique sa raison lui disait d'être républicain. C'est lui qui l'a imprimé. En voulez-vous la page? << Se peut-il, dit Pascal, rien de plus plaisant qu'un homme ait droit de me tuer, parce qu'il demeure au delà de l'eau, et que son prince a querelle avec le mien, quoique je n'en aie aucune avec lui? >> - « Plaisant n'est pas le mot propre, il fallait démence exécrable. » - Ce n'est ni plaisant, ni d'une démence exécrable; c'est, ce qui doit être, sous peine de mort de l'humanité : tant que l'examen est compressible. Quand il ne l'est plus, il faut : ou que les nationalités soient anéanties; ou, que l'humanité périsse. Voilà ce qu'il eût fallu dire au lieu de parler : soit de fait plaisant; soit de démence exécrable. « J'aimerais autant, dit Frédéric, déclamer contre la fièvre que contre la guerre c'est du temps de perdu; les gouvernements laissent brailler les cyniques et vont leur train; la fièvre n'en tient pas plus compte. >> (A Voltaire, 4 janvier 1774.) C'est parfaitement vrai. Tant qu'il y a des nationalités, les guerres sont aussi nécessaires, à leur existence, que l'atmosphère aux individus. Et, parler d'anéantir les nationalités, avant que cet anéantissement ne soit devenu absolument nécessaire, serait une impardonnable folie. Même, quand c'est devenu nécessaire, les fous ne vous écoutent pas. Aussi, ce n'est pas pour eux que l'on écrit alors; mais, pour ceux qui, venant après, pourront s'instruire avant d'être devenus incurablement fous. : << On demande d'un médecin, dit encore Frédéric, qu'il guérisse la fièvre et non qu'il fasse une satire contre elle. Avez-vous des remèdes ? Donnez-les. N'en avez-vous point? Compatissez à nos maux. »> (A Voltaire, 30 juillet 1774.) - Il est impossible de mieux raisonner. Mais, Voltaire n'avait de remède que le panthéisme; et c'est précisément ce qui rend l'anarchie continuelle inévitable. Au moins avec l'anthropomorphisme, il y avait, quand il était socialement possible, quelques intermittences de paix. Voici, du reste, ce que pensait Voltaire du roi, aux pieds duquel, il se prosternait si souvent : — « A l'égard de Luc (le roi de Prusse), dit-il à d'Alembert, tantôt mordant et tantôt mordu, c'est un bien malheureux mortel; et ceux qui se font tuer pour ces messieurs-là sont de terribles imbéciles. >> Vous voyez que, si Voltaire était vivant; et, que les Cosaques vinssent aux frontières; Voltaire irait présenter ses vers à l'empereur Nicolas. Que de Voltaires nous avons encore en France! « Gardez-moi, ajoute-t-il, le secret avec les rois et avec les prêtres, et croyez que je suis. » (12 décembre 1757.) Quand les nationalités seront anéanties, ce ne sera point par des courtisans de la fortune. Dire : que ceux qui se font tuer pour assurer l'indépendance de leur patrie sont des imbéciles, peut être attribué à l'amour de l'humanité. A cet égard le passage suivant ne peut être trop médité. « Le patriotisme et l'humanité, dit Rousseau, sont deux VERTUS incompatibles dans leur énergie, et surtout chez un peuple entier. » Ceci est du véritable galimatias. C'est même plus, c'est absurde. Lorsque deux vertus sont dites incompatibles c'est que l'une des deux, loin d'être une vertu, est un crime. Car le crime est uniquement : ce qui est opposé à la vertu. Alors, ayez donc le courage de dire ou, que le patriotisme est un crime; ou, que l'humanité est un crime. Mais, peut-être, y a-t-il une époque où le patriotisme est un crime; et, une autre, où l'humanité est un crime. Avant de faire cette recherche, voyons, d'abord, ce que signifient : patriotisme et humanité. Le patriotisme, c'est le sacrifice de l'humanité à la patrie. L'humanité, c'est le sacrifice de la patrie à l'humanité. Et, faites attention qu'il peut être des cas : où, sacrifier sa vie à la patrie; c'est la sacrifier à l'humanité. Maintenant, arrivons à la question. Tant que l'examen est compressible; tant que les nationalités sont nécessaires à l'existence de l'ordre ; sacrifier toutes les autres patries à la sienne, est une vertu. Dès lors, l'humanité est un crime. Lorsque l'examen est devenu incompressible; lorsque l'existence des nationalités est devenue une source inextinguible d'anarchie; sacrifier sa patrie à l'humanité est une vertu. Dès lors, le patriotisme est un crime. Remarquez, néanmoins que, si votre patrie combat pour le triomphe de l'humanité, sur les nationalités ; se sacrifier pour cette patrie, est aussi se sacrifier pour l'humanité. Mais, dans ce cas, l'amour de la patrie, même chez un peuple entier, et l'amour de l'humanité, ne sont point des vertus incompatibles. « Le législateur qui les voudra toutes deux n'obtiendra ni l'une ni |