D'autres ont feint que Diane ayant eu pitié de cette jeune Princesse, l'avoit enlevée et portée dans la Tauride, au moment qu'on l'alloit sacrifier; et que la Déesse avoit fait trouver en sa place, ou une biche, ou une autre victime de cette nature. Euripide a suivi cette fable, et Ovide l'a mise au nombre des Métamorphoses. Il y a une troisieme opinion, qui n'est pas moins ancienne que les deux autres sur Iphigénie. Plusieurs Auteurs, et entr'autres Stesichorus l'un des plus fameux et des plus anciens Poëtes lyriques, ont écrit qu'il étoit bien vrai qu'une Princesse de ce nom avoit été sacrifiée, mais que cette Iphigénie étoit une fille qu'Hélene avoit eue de Thésée. Hélene, disent ces Auteurs, ne l'avoit osé avouer pour sa fille, parce qu'elle n'osoit déclarer à Ménélas qu'elle eût été mariée, en secret, avec Thésée. Pausanias (1) rapporte et le témoignage et les noms des Poëtes qui ont été de ce sentiment; et il ajoute que c'étoit la créance commune de tout le pays d'Argos. Homere enfin, le pere des Poëtes, a si peu (1) Corinth. pag. 125. prétendu qu'Iphigénie, fille d'Agamemnon, eût été ou sacrifiée en Aulide, ou transportée dans la Scythie que dans le neuvieme Livre de I'Iliade, c'est-à-dire, près de dix ans depuis l'arrivée des Grecs devant Troie, Agamemnon fait offrir en mariage à Achille sa fille Iphigénie, qu'ila, dit-il, laissée à Mycene, dans sa maison. J'ai rapporté tous ces avis si différens, et surtout le passage de Pausanias, parce que c'est à cet Auteur que je dois l'heureux personnage d'Eriphile, sans lequel je n'aurois jamais osé entreprendre cette Tragédie. Quelle apparence que j'eusse souillé la scene par le meurtre horrible d'une personne aussi vertueuse et aussi aimable qu'il falloit représenter Iphigénie? et quelle ap parence encore de dénouer ma Tragédie par le secours d'une Déesse et d'une machine, et par une métamorphose, qui pouvoit bien trouver quelque créance du tems d'Euripide, mais qui seroit trop absurde et trop incroyable parmi nous. Je puis dire donc que j'ai été très-heureux de trouver dans les Anciens cette autre Iphigénie, que j'ai pu représenter telle qu'il m'a plu, et qui, tombant dans le malheur où cette amante jalouse vouloit précipiter sa rivale, mérite en quelque façon d'être punie, sans être pourtant tout-àfait indigne de compassion. Ainsi le dénouement de la Piece est tiré du fond même de la Piece; et il ne faut que l'avoir vu représenter, pour comprendre quel plaisir j'ai fait au Spectateur, et en sauvant à la fin une Princesse vertueuse pour qui il s'est si fort intéressé dans le cours de la Tragédie, et en la sauvant par une autre voie que par un miracle, qu'il n'auroit pu souffrir, parce qu'il ne le sauroit jamais croire. Le voyage d'Achille à Lesbos, dont ce Héros se rend maître, et d'où il enleve Eriphile avant que de venir en Aulide, n'est pas non plus sans fondement. Euphorion de Chalcide, Poëte trèsconnu parmi les Anciens, et dont Virgile (1) et Quintilien (2) font une mention honorable, parloit de ce voyage de Lesbos. Il disoit, dans un de ses Poëmes, au rapport de Parthenius, qu'Achille avoit fait la conquête de cette isle avant que de joindre l'armée des Grecs, et qu'il y avoit même (1) Églog. 1o. (2) Instit. 1. 10. trouvé une Princesse qui s'étoit éprise d'amour pour lui. Voilà les principales choses en quoi je me suis un peu éloigné de l'économie et de la fable d'Euripide. Pour ce qui regarde les passions, je me suis attaché à le suivre plus exactement. J'avoue que je lui dois un bon nombre des endroits qui ont été le plus approuvés dans ma Tragédie; et je l'avoue d'autant plus volontiers que ces approbations m'ont confirmé dans l'estime et dans la vénération que j'ai toujours eue pour les Ouvrages qui nous restent de l'antiquité. J'ai reconnu avec plaisir, par l'effet qu'a produit sur notre Théatre tout ce que j'ai imité ou d'Homere ou d'Euripide, que le bon sens et la raison étoient les mêmes dans tous les siecles. Le goût de Paris s'est trouvé conforme à celui d'Athenes. Mes Spectateurs ont été émus des mêmes choses qui ont mis autrefois en larmes le plus savant peuple de la Grece et qui ont fait dire qu'entre les Poëtes, Euripide étoit extrêmement tragique, Τραγικώτατος ; c'est-à-dire, qu'il savoit merveilleusement exciter la compassion et la terreur, qui sont les véritables effets de la Tragédie. , Je m'étonne, après cela, que des modernes aient témoigné depuis peu tanr de dégoût pour ce grand Poëte, dans le jugement qu'ils ont fait de son Alceste. Il ne s'agit point ici de l'Alceste mais, en vérité, j'ai trop d'obligation à Euripide pour ne pas prendre quelque soin de sa mémoire et pour laisser échapper l'occasion de le réconcilier avec ces Messieurs. Je m'assure qu'il n'est si mal dans leur esprit que parce qu'ils n'ont pas bien lu l'Ouvrage sur lequel ils l'ont condamné. J'ai choisi la plus importante de leurs objections, pour leur montrer que j'ai raison de parler ainsi. Je dis, la plus importante de leurs objections, car ils la répetent à chaque page, et ils ne soupçonnent pas seulement que l'on y puisse répliquer. Il y a dans l'Alceste d'Euripide une scene merveilleuse, où Alceste, qui se meurt et qui ne peut plus se soutenir, dit à son mari les derniers adieux. Admete, tout en larmes, la prie de reprendre ses forces, et de ne se point abandonner elle-même. Alceste, qui a l'image de la mort de vant les yeux, lui parle ainsi: Je vois déja la rame et la barque fatale, |