les sires d'Aubigny, de Beaujeu, des | Enfin le premier corps, qui marchait en Noyers, et Lemoine Desbacle, ce dernier appartenait à l'hôtel du roi de Bohême. L'intention de Philippe était, si l'on ne pouvait pas atteindre les Anglais ce jourlà, de donner quelque repos à son armée, qui souffrait beaucoup d'une extrême chaleur; mais, soit malentendu, ou défaut de prévoyance, Philippe, en s'arrêtant à Marcheville, avait négligé d'en avertir les deux premiers corps, qui, cheminant toujours, franchirent ces collines, et au lieu de suivre le chemin accoutumé de Créci, qui tournait brusquement à gauche, ils débouchèrent par leur front dans le vallon de Frogelle; la route qu'ils tinrent s'appelle encore le Chemin de l'armée, et mène droit aux terrasses. Cependant les quatre chevaliers envoyés de nouveau pour reconnaître l'ennemi, étant partis à cheval, dépassèrent bientôt toutes les colonnes, arrivèrent devant Créci, et découvrirent immobile, rangée en bataille, cette armée anglaise que bien des gens croyaient en retraite; étonnés à cette vue, ils revinrent sur leurs pas et rejoignirent le roi, mais aucun d'eux n'osa faire le rapport de ce qu'ils venaient de voir; enfin, Lemoine Desbacle, un de ces chevaliers, fit la description de la position avantageuse des Anglais, conseilla même au roi d'attendre au lendemain pour livrer bataille. Le vieux roi de Bohème, Jacques de Bourbon, les autres chefs expérimentés, et Philippe lui-même se rangèrent de cet avis, car l'armée étant déja très-fatiguée de la veille, avait besoin de repos pour combattre avantageusement; d'ailleurs il fallait au moins deux heures pour disposer les attaques qu'on serait obligé de diriger contre un ennemi admirablement retranché. Alors Lemoine Desbacle fut dépêché vers l'avant-garde pour la faire arrêter, mais il cria inutilement : « Arrétez ban étendant ses ailes, fit halte; le duc d'Alençon, qui commandait lesecond, refusa d'obéir à cette injonction, craignant de ne pas avoir le temps de se signaler, et n'écoutant aucune représentation, ce prince impétueux continua à s'avancer en ligne; la première division, en le voyant marcher, crut que l'ordre venait d'être changé, et se remit en route; alors le duc d'Alençon, furieux, redoubla le pas, bientôt il ne conserva plus la distance qui devait le séparer de l'avant-garde, et les deux corps, animés de la même ardeur, s'enchevêtrèrent, et arrivèrent ainsi à Créci, hors d'haleine, les escadrons rompus, et l'infanterie désunie; il était alors trois heures du soir. Pendant cette course désordonnée, un de ces orages, si fréquens dans les grandes chaleurs, creva sur la tête des Français, et bientôt après fit place à un beau soleil, mais il avait duré assez pour inonder les arbalétriers génois. Jacques de la Marche, envoyé par le roi, pour mettre un terme au désordre, y réussit en partie; trouvant les Français à cinquante pas des Anglais, il essaya de faire une attaque en règle, puisqu'on ne pouvait éviter d'en venir aux mains; les Génois, comme gens de trait, devaient engager l'action; mais ces étrangers représentèrent que la corde de leurs arbalètes était mouillée, qu'euxmêmes, exténués de fatigue, se voyaient dans l'impossibilité de combattre. Sur cette réponse, on voulut les faire passer en seconde ligne; ils refusèrent en disant qu'ils n'abandonneraient pas le poste honorable qu'ils occupaient; cependant, excités par leurs chefs, ils se décidèrent enfin à commencer l'attaque; mais ils le firent sans succès, et leur général, Charles de Grimaldi, fut tué le premier en les menant à l'ennemi. Le duc d'Alençon, indigné, croyant nières, au nom de Dieu et de saint Denis!» | voir une trahison dans la mollesse de ces tamé; les Français échouèrent, couvri rent de leurs morts la colline et le chemin de Créci, ce qui est encore certifié par les noms que portent divers quartiers de terre. Le comte de la Marche, blessé à la étrangers, s'écria qu'il fallait écraser cette la plaine où les dernières divisions du deuxième corps ne faisaient que d'arriver. C'étaient les nobles de la chevauchée du frère du roi; on voyait au milieu d'elles la bannière féodale du duché d'Alençon portée par le vaillant Jaoques d'Estracelle. Ces divisions restées en arrière n'étaient arrivées que successivement et désunies, au moment où les premières phalanges venaient de se briser contre le front de l'ennemi. Cette nouvelle troupe de noblesse s'arrêta en voyant la position for tèrent au milieu de la gendarmerie; ils coupèrent avec leurs castilles (espèce de dagues) les jarrets des chevaux; on ne vit bientôt plus dans ces masses que trouble, confusion et terreur. Il était déjà mort beaucoup de monde avant que la lutte eût commencé avec les Anglais. Ces derniers, ayant aperçu l'ennemi, avaient serré leurs rangs, tellement qu'ils formaient une muraille impénétrable; après avoir fait leur première décharge sur les Génois, ils regardèrent sans bouger le désordre des Français, attendant le commandement | midable des Anglais, et jugeant qu'on ne de leur chef suprême, qui, placé sur la pouvait rien entreprendre de nouveau sommité de Créci, dominait toute l'acavant l'arrivée de la réserve que conduition. Quand Edouard vit que la confusion sait Philippe de Valois. était à son comble dans les rangs ennemis, il envoya l'ordre à ses archers de lancer leurs traits du haut de la troisième terrasse. Les Anglais, confians dans le génie de leur roi, remplirent ses intentions avec ponctualité, et accablèrent les Français de leurs flèches pendant qu'ils se battaient encore avec les arbalétriers italiens. Il n'est pas inutile de rappeler que les Anglais, fort soigneux de leurs armes, les tenaient renfermées dans un étui, et qu'ils avaient ainsi l'avantage de les garantir de la pluie, et de s'en servir mieux que les Génois ne pouvaient le faire des leurs. Enfin Jacques de la Marche parvint à faire ouvrir un passage à ces Italiens pour qu'ils s'écoulassent, ce qui dégagea le front de la ligne, et permit de disposer ces masses pour une attaque régulière. On la dirigea sur trois points vers la colline de gauche. L'ennemi opposa partout une vigoureuse résistance. Protégé par les obstacles naturels d'un côté, et par les palissades de l'autre, il ne fut point en Mais le duc d'Alençon, emporté par sa fougue, et ne se contenant plus, voulut les faire avancer incontinent : il courut sur Jacques d'Estracelle en lui ordonnant de se porter en avant avec sa bannière pour qu'on le suivît. Ce preux, célèbre par d'anciens exploits, persuadé, comme ses compagnons de chevauchée, qu'on attendrait quelque temps avant d'attaquer, avait ôté son bassinet de fer afin de respirer plus à l'aise, car la chaleur était étouffante; il objecta au prince que c'était courir à une perte assurée que de vouloir forcer les terrasses avec de la cavalerie. Le duc insista vivement en disant: Remettez votre bassinet, et marchez. Vous le voulez, répondit d'Estracelle, eh bien! jobeïs à regret; je remets mon bassinet, mais je ne l'óterai plus. En disant ces mots, il se porta en avant; les nobles voyant la bannière de leur chef faire un mouvement vers l'ennemi la suivirent, et reçurent avec courage le jeune Édouard, Ce prince, voulant pro fiter du désordre qui régnait dans les rangs des Français, était sorti des terrasses pour fondre sur eux, afin de les disperser entièrement avant l'arrivée de Philippe de Valois et de l'arrière-garde. Jacques de Bourbon, quoique blessé, se mit à la tête de la noblesse, et se précipita avec tout son monde sur les Anglais. Rien ne put résister à l'impétuosité des Français. Entouré de toutes parts, le prince de Galles fut jeté à terre, et serait infailliblement tombé entre les mains des Français, sans un chevalier de sa maison, Richard de Beaumont, d'origine normande. Ce preux portait la grande bannière du pays de Galles; il descendit de cheval au milieu de cette foule, jeta sur son jeune maître le vaste étendard et l'en couvrit, puis prenant à deux mains son épée, il repoussa avec vigueur ceux qui osèrent approcher. D'Harcourt avertit Arundel du péril que courait le prince; alors le commandant du deuxième corps fit un mouvement en avant, et parvint à déloger les Français de la première ter rasse. ces supérieures; le brave d'Estracelle tomba percé de coups tenant encore sa bannière, et n'ota plus son bassinet, comme il l'avait dit. Là périrent aussi Louis de Châtillon, comte de Blois, Louis de la Cerda, les comtes d'Auxerre et de Sancerre. Les soldats anglais, exécutant fidèlement l'ordre de leur roi, ne faisaient quartier à personne, et s'acharnaient surtout après les hauts barons, bien faciles à reconnaître à cause de leur cotte d'armes. Plusieurs des généraux d'Édouard, effrayés eux-mêmes de ce carnage, montèrent précipitainment vers le haut des terrasses, et firent au roi, leur maître, de vives observations sur le malheur de ces barons de France, et le supplierent de révoquer son ordre, et de commander qu'on les épargnât; mais Édouard répondit froidement que ce devait être ainsi : « Que point ne s'en émerveillassent, car la chose était ainsi ordonnée et ainsi convenait estre. » (Chron. de Tramecourt, p. 312.) Jacques de la Marche, tout blessé qu'il était, s'ouvrit un passage avec quelques cavaliers, et alla gagner le chemin de Le duc d'Alençon et le comte de la Marche, désespérés de ne pouvoir se maintenir dans cette position, résolurent | Marcheville. Il y arriva au moment où de la tourner, et s'engagèrent à cet effet dans la vallée des Clayres; mais ils y trouvèrent des obstacles qui résistèrent à leurs efforts. Le passage était fermé, et les archers anglais, placés sur les hauts rebords des terrasses, accablaient de traits leurs audacieux ennemis. Les divisions des Français qui arrivaient successivement s'engageaient dans la même voie, et s'y écrasaient entre elles. Dans ce moment, les Anglais firent déboucher des troupes fraîches par la route de Créci; les corps qui étaient sur la colline de gauche des cendirent également dans la plaine, et consommèrent la ruine des Français en les prenant en queue et en flanc. Elles écrasèrent les nobles sous le poids de for Philippe de Valois débouchait enfin dans le vallon de Créci, à la tête de la troisième division. Il avait été impossible au roi de joindre ces deux premières divisions, puisqu'en envoyant à celles-ci l'ordre de s'arrêter, il avait lui-même suspendu sa marche, tandis qu'au contraire le comte de Savoie et le duc d'Alençon avaient redoublé de vitesse. Le roi arriva donc au pas de course, croyant n'avoir qu'à se présenter pour recueillir le fruit de la victoire; mais il ne vit que des fuyards éperdus que Jacques de Bourbon essayait de rallier. On sait avec quelle promptitude la frayeur se communique parmi les soldats. Tel qui est brave individuellement se laisse en traîner par les masses. La présence du monarque ne ranima point le courage de son armée. Philippe aurait encore pu en sauver la moitié s'il se fût arrêté dans Créci, et s'il eût recueilli sous ses bannières les débris des premiers corps, mais il ne prit point ce sage parti. Il fit, au contraire, les dispositions pour une nouvelle attaque, quoique les milices montrassent une grande répugnance de combattre après la défaite des nobles. Philippe s'élança lui-même vers les Anglais en criant: - Marchons, mes enfans, au nom de Dieu et de saint Denis. » Les milices, obligées de le suivre, s'écrièrent en s'avançant : « Allons à la mort! » \ C'est à ce cri sinistre que commença un quatrième engagement. Le comte de la Marche y prit part en essayant d'exciter l'ardeur de ces nouveaux combattans; mais la vue du sang qui coulait de ses plaies et qui inondait ses armes n'était point faite pour les rassurer. Philippe, emporté par son ardeur, attaqua l'ennemi, le repoussa jusqu'au pied des terrasses, et monta lui-même sur la première. C'est alors qu'il aperçut distinctement Édouard, qui se tenait immobile sur le plateau; en voyant cet odieux rival, dont la stature élevée et la tête altière se dessinaient sur un ciel d'azur dégagé de nuages, il voulut franchir tout ce qui le séparait de lui, le joindre et punir sur sa personne les maux qu'il avait causés à la France. A l'aspect de cet ennemi, son sang s'alluma tellement, disent les historiens contemporains, qu'il ne fut plus possible de le retenir. Il était dans une sorte de délire. Mais cet accès de fureur n'empêchait pas qu'à la tête du troisième corps il ne tînt en échec toutes les forces anglaises. Sa valeur personnelle et sa résolution maîtrisèrent pour quelques instans la fortune. Le prince de Galles et Arundel lui-même recufèrent devant ce torrent qui les poussait. Édouard, dont le coup d'œil rapide mesurait le danger, s'ébranla dans le moment à la tête de la division de réserve. Ce mouvement ne pouvait manquer d'ètre remarqué, car il fallait que les soldats anglais sautassent le rebord. Aussi, à la vue de ce nouvel orage qui allait fondre sur eux, les gens de Philippe, déjà accablés de fatigue, s'enfuirent épouvantés. Il semblait que le ciel eût répandu l'esprit de vertige sur leurs têtes. Dans quelques instans Philippe se trouva abandonné, et tous ses efforts pour arrêter les fuyards furent inutiles. Poursuivi chaudement par l'ennemi, il fut culbuté, blessé à la gorge, et eut son cheval tué sous lui. Charles de Luxembourg, roi des Romains, fut blessé également à ses côtés. Godefroi de Chauvigny, Jean de Lévis, Pierre d'Aigreville, Hugues de Poursignon et le sire de Créqui furent tués en défendant le roi de France. Sur ces entrefaites le roi de Bohême arriva dans le vallon avec l'extrême arrièregarde. Les nobles qui l'accompagnaient, voyant l'armée en pleine déroute, ne voulaient pas le laisser avancer, et le suppliaient de battre en retraite: << Moi, roi de Bohême, montrer le dos à l'ennemi! disait-il, je veux aller au secours de Philippe, au secours de mon fils, et je ne quitterai la place que victorieux, où j'y périrai en roi. >> Mais ses moyens ne répondaient pas à son ardeur; il espérait pouvoir, avec sa division, rétablir les affaires. La cécité l'empêchait de comprendre tout le degré du mal. Il ordonna à Lemoine Desbacle de prendre le frein de son cheval et de le conduire vers les Anglais, qui, sortis des terrasses une seconde fois, inondaient la plaine, fermaient toutes les issues, en s'avançant dans la direction de Marcheville; et comme les Français tenaient encore sur quelques points, la mêlée continuait. Bacle y mena son maître, qui frappait de son épée à droite et à gauche, les amis et ennemis. Les soldats d'Édouard, impitoyables dans leur victoire, fondirent sur lui, le jetèrent en bas de son cheval, et tuèrent Desbacle, Henri de Rosemberg, et Jean de Leucstemberg qui essayaient de lui faire un rempart de leurs corps. Le roi de Bohême tomba à sept cents pas du village de Créci. plusieurs divisions dans différentes directions. Ces troupes rencontrèrent en effet des corps de mille, deux mille, de trois mille hommes à plusieurs lieues du champ de bataille. Ces soldats de nouvelle levée, effrayés de la défaite du roi, qu'ils apprirent par les fuyards, couraient sans savoir quelle route tenir. Ils vinrent se jeter au milieu des détachemens anglais qu'ils ne reconnaissaient point à cause de l'obscurité; ils furent assaillis et massacrés. Les soldats anglais, excités pas un succès inespéré, n'exécutaient que trop bien les ordres sanguinaires de leur maître; ils se jetèrent sur les fuyards et en firent un Il périt ainsi en détail, dans cette nuit grand carnage, sans en épargner un seul; ❘ horrible, beaucoup de monde. Des histo et tel noble qui était venu dans le dessein de trahir Philippe, dit la chronique d'Abbeville, trouva comme les autres le trépas, sans que sa perfidie eût pu le garantir de la mort; on trouva plus de huit mille hommes égorgés dans les fossés. Édouard, fatigué de cette tuerie, courut lui-même à cheval dans la plaine pour la faire cesser; il eut soin de faire suivre par un corps de six mille hommes, que commandait Arundel, une division de noblesse qui battait en retraite en bon ordre dans la direction de Wignacourt; en effet, ces gens, au nombre de quatre mille, commandés par le sire de Graville, grand maître des arbalétriers, s'arrêtèrent dans ce lieu pour recueillir les débris de tant de bataillons dispersés dans cette malheureuse journée; mais ils ne purent tenir contre les forces supérieures d'Arundel; la majeure partie se fit tuer, et le reste se sauva à la faveur de la nuit. Le sire de Graville, Geoffroy de Lameth, Antoine de Vienne, périrent dans cette dernière action. La résistance des soldats de Graville fit concevoir à Édouard l'idée d'envoyer une partie de ses gens battre la campagne pour empêcher le rassemblement des fuyards. Il avait appris à Créci que de nombreuses milices accouraient de plusieurs points, en conséquence il envoya deux de ses meilleurs généraux, le sire de Holland et le comte de Warwick, avec riens disent trente mille hommes; Froissard et Mézerai assurent qu'on tua le lendemain quatre fois plus de monde que dans la journée du 26; mais il faut se tenir toujours en garde contre de pareilles exagérations; car le nombre des personnes massacrées dans cette confusion était difficile à préciser, et l'on sait quela clameur publique augmente le mal outre mesure. Nous croyons que ce dernier désastre, dans lequel furent enveloppés le grandprieur de France et l'archevêque de Rouen, ne put avoir lieu que de la manière dont nous venons de le dire. Froissard, et ceux qui l'ont copié, racontent que le lendemain de la bataille, trente mille hommes vinrent se jeter dans les lignes anglaises, devant Créci. Comment croire que des troupes qui venaient des lieux vers lesquels les fuyards s'étaient dirigés n'eussent pas été instruites par eux, dans l'espace de douze heures, de ce qui se passait, qu'elles fussent venues ainsi au milieu du camp ennemi? Le lendemain, 27 août, Édouard parcourut la plaine et le vallon avec son fils, et dit à ce jeune prince, en lui montrant ces monceaux de cadavres, ces corps mutilés, ces longues traces de sang : « Que vous semble, mon fils, d'une bataille? croyez-vous que ce soit un jeu bien agréable. Il ordonna à ses clercs de compter les morts, et surtout de spécifier le rang des |