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crétion de sa part. Ces quatre personnes attendaient avec la plus grande anxiété l'issue de l'affaire; l'arrivée de Subow ne contribua pas peu à augmenter leur inquiétude. Pendant ce temps, Benningsen était resté dans la chambre de l'empereur avec un petit nombre de conjurés Il était assez embarrassé de sa position, et il l'eût été bien davantage si Paul avait pris son épée et eût essayé de se défendre; mais ce malheureux prince ne proférait pas une parole, et il continuait à rester immobile. Plusieurs des conjurés, à qui l'ivresse avait fait perdre leur chemin, pénétrant alors en tumulte dans l'appartement, le trouvèrent dans cet état de stupeur.

Le prince Tatchwil, major-général d'artillerie, qu'on avait éloigné depuis quelque temps du service, fut le premier qui entra, suivi de ses complices. Il s'élança comme un furieux sur l'empereur qu'il terrassa, renversant d'un même coup la lampe et le paravent. Benningsen, croyant que Paul cherchait à s'enfuir ou à se défendre, lui criait : « Au nom de Dieu, sire, ne songez pas à nous échapper. Votre vie est dans nos mains; vous périssez si vous faites la moindre résistance. >> Pendant qu'il parlait ainsi, le prince Tatchwil, Gardanow, adjudans des gardes à cheval, Partarinow, colonel d'artillerie, le prince Wereinskoi et Seriatin, tous trois hors d'activité de service, luttaient avec l'empereur. Celui-ci réussit d'abord à se relever; mais il fut de nouveau terrassé, et, dans sa chute, il trouva une table de marbre qui lui fit une blessure à la joue et au côté. Le général Benningsen fut le seul qui ne prit aucune part à cette lutte; il ne cessait de conjurer l'empereur de ne pas se défendre. A peine avait-il eu le temps de sortir de la chambre pour aller chercher de la lumière, lorsqu'en rentrant, le premier objet qui frappa sa vue fut le corps de son maître étendu sans mouvement sur le plancher. On l'avait

étranglé avec l'écharpe d'un officier. Paul n'avait fait d'autre résistance que de placer ses mains entre son cou et l'écharpe. Avant de rendre le dernier soupir, il s'était écrié en français: « Messieurs, au nom du ciel, épargnez-moi! laissez-moi le temps de prier Dieu! « Ce furent ses dernières paroles.

Benningsen, voyant que Paul ne donnait plus aucuns signes de vie, fit placer le corps sur le lit, et lui couvrit la tête. Malkow, capitaine de la garde, s'étant présenté dans ce moment accompagné de trente hommes, reçut l'ordre de s'assurer de toutes les avenues qui conduisaient à l'appartement de l'empereur, et de ne permettre à personne d'approcher. Lorsque ces mesures eurent été prises, Benningsen se rendit près du grand-duc qu'il informa de ce qui venait de se passer, Alexandre sut alors à quel prix il obtenait la couronne! Il s'abandonnait à la plus vive douleur, lorsque P'ahlen, qui s'était chargé de la garde du grand escalier, afin de couper la retraite à Paul en cas de besoin, ayant appris que tout était terminé, parut aux yeux du nouvel empereur. Celui-ci s'écria en le voyant « Ah! Pahlen quelle nuit! on dira que je suis l'assassin de mon père; ils m'avaient promis de respecter ses jours. Non, personne n'est plus à plaindre que moi! » Le comte Pahlen, plus occupé d'assurer le trône à l'empereur vivant que de répandre des larmes sur celui qui venait d'expirer, dit à Alexandre: «Sire, daignez, avant tout, vous rappeler qu'un monarque ne peut prendre possession de l'autorité suprême sans la participation du peuple. Un seul instant de faiblesse aurait les conséquences les plus funestes. Hâtez-vous de vous faire reconnaître par l'armée. Et que deviendra ma mère? reprit Alexandre. — Sire, dit le comte, je vais me présenter devant elle. »

En effet, il se rendit aussitôt dans les

appartemens de l'impératrice, et pria la comtesse de Lieven, une des premières dames de la maison de sa majesté, de l'instruire de la mort de son royal époux. Il est à remarquer que toutes ces scènes d'horreur, qui s'étaient passées si près des appartemens de la princesse, de la princesse, n'avaient en aucune façon troublé son sommeil. Éveillée par la comtesse de Liéven, elle crut d'abord que celle-ci voulait la préparer à la nouvelle de la mort de sa fille, la princesse Palatine de Hongrie. « Non, Madame, lui dit la comtesse, votre majesté est condamnée à pleurer un plus affreux malheur. L'empereur vient de mourir d'un accès d'apoplexie. Non, non, dit l'impératrice, il a été assassiné ! - Il faut donc vous l'avouer,» reprit la comtesse. L'impératrice s'habilla à la hâte et courut à la chambre de Paul. Dans le salon, entre ses appartemens et ceux de l'empereur, elle trouva Pettarozkoi, lieutenant des gardes de Semonowski, qui y était avec trente hommes sous ses ordres.

Pettarozkoi déclara à l'impératrice que elle ne pouvait pas s'avancer plus loin. Sur ce que celle-ci insistait, lui demandant s'il ne la connaissait pas et de qui il tenait la consigne, l'officier répondit qu'il avait l'honneur de connaître sa majesté, et quant à sa consigne, qu'il l'avait reçue de son colonel. Néanmoins, l'impératrice tenta de pénétrer plus avant, en dépit des gardes qui, à l'instant, croisèrent leurs baïonnettes pour l'en empêcher. Reconnaissant qu'il lui serait impossible de forcer le passage, elle se tourna vers Pettarozkoi, lui donna un coup sur l'oreille, et tomba sans connaissance dans un fauteuil.

Les deux grandes duchesses, Marie et Catherine, avaient suivi leur mère qu'elles s'efforçaient en vain de calmer. L'impératrice ayant demandé un verre d'eau, un soldat l'arracha des mains de la personne qui l'apportait, et but quelques gout

:

tes, puis, le présentant à l'impératrice : «Votre Majesté peut boire sans crainte dit-il; il n'y a pas de poison là-dedans. » A la fin, elle retourna dans ses appartemens. Pahlen voulut la conduire près de son fils; mais, quoiqu'elle vînt seulement de recouvrer scs, sens, elle retrouva cependant assez de force pour déclarer qu'elle saurait maintenir ses droits, et qu'étant impératrice régnante, en vertu de son couronnement, c'était à elle d'exiger le serment de fidélité. L'empereur avait déjà perdu trop de temps à attendre la réponse de sa mère, lorsque Pahlen lui apprit la disposition d'esprit où elle se trouvait « Voilà, dit-il, un obstacle que nous n'avions pas prévu. » Mais l'autre, qu'aucune considération n'était capable de retenir, obligea l'empereur de sortir sur-le-champ; il le fit monter dans la voiture qui avait été préparée pour conduire Paul à la forteresse, et le mena du palais de Michaëlow au palais d'hiver, afin d'y recevoir les sermens des grands dignitaires de l'empire. Le comte Pahlen et Subow montèrent derrière la voiture que suivaient deux bataillons des gardes. Pendant ce temps, Benningsen demeura avec l'impératrice-mère, pour tâcher de la détourner des idées qu'elle avait en tête. Ce ne fut pas sans de grandes difficultés que Marie Fœdorowna consentit à renoncer à ses prétentions. Que l'on juge, d'après sa conduite, combien sont puissans les charmes de l'autorité suprême, puisque, dans cette nuit d'horreurs, ils surent faire oublier à une femme vertueuse les dangers du pouvoir, la mort terrible d'un époux, les sentimens maternels, et lui faire méconnaître des conseils dictés par la prudence et la raison.

Elle se décida enfin à prêter serment à l'empereur son fils. Dès ce moment, les choses reprirent leur cours ordinaire, comme si Paul eût terminé paisibleinent

sa carrière.

Le chirurgien Wette, et le médecin Stoff, ayant été appelés pour assister à l'ouverture du corps, décrivirent, dans leur langage technique, les diverses causes qui avaient occasioné la mort de l'empereur. Le corps fut ensuite embaumé, exposé pendant quinze jours, et descendu dans le caveau de la famille impériale avec toute la pompe usitée en pareille circon

stance.

Il est nécessaire d'observer que chaque fois le cérémonial obligeait Alexandre que de s'approcher des restes de son père, on remarquait dans tous ses traits l'expression de la plus profonde douleur.

Quant aux assassins de Paul, on les éloigna peu à peu de la cour; plusieurs d'entre eux furent incorporés dans des régimens stationnés en Sibérie. Le comte Pahlen lui-même reçut l'ordre de quitter Saint-Pétersbourg, et la circonstance suivante devint le prétexte dont on se servit pour se débarrasser de lui.

Peu de temps après la mort de Paul, un prêtre prétendit avoir reçu, d'une manière miraculeuse, une image au bas de laquelle étaient écrits ces mots; «< Dieu

punira tous les assassins de Paul Ier. » Le comte Pahlen, informé de l'impression fâcheuse que cette imposture produisait parmi le peuple, s'en plaignit à l'empereur qui permit de mettre fin aux intrigues du prêtre. Le comte ordonna qu'il fût fouetté. Le prétendu visionnaire, en confessant sa fourberie, déclara qu'il n'avait agi que d'après les ordres de l'impératrice-mère, qui possédait une image semblable. Sur cela, Pahlen la fit enlever de force de la chapelle de l'impératrice, qui, outrée de la violence de ce procédé, alla, sur-le-champ, en demander satisfaction à l'emperenr son fils. M. de Becklechew reçut alors d'Alexandre l'ordre d'intimer au comte Pahlen qu'il eût à quitter Pétersbourg en secret. Celui-ci donna immédiatement la démission de toutes ses charges. Lorsque l'empereur l'apprit, il se contenta d'ajouter : « C'est agir sagement; mais, pour que le sacrifice soit complet, il faut qu'il s'éloigne au plus tôt. » Deux heures après, le comte Pahlen était sur le chemin de Riga.

REVUE BRITANNIQUE.

FIN DES NARRATIONS.

DESCRIPTIONS.

ESQUISSES DE L'INDE.

MADRAS.

་་

Ce fut dans l'après-midi du 10 juillet 1818 que nous jetâmes l'ancre dans la rade de Madras, trois mois et demi après notre départ de la terre natale. Combien la scène était changée, et quel contraste entre Ryce, ses petites maisons si propres et si commodes, ses toits de chaume ou d'ardoises, ses jolis jardins, ses rivages dont l'inclinaison est couverte de verdure, et Madras, avec les grandes murailles nues de son fort, ses pompeux édifices, ses verandases, ses hautes colonnes et ses toits en terrasse! La foule se presse dans les rues de cette ville spacieuse, bâtie dans un terrain plat, sur une côte que blanchissent des flots d'écume; ici la rade est animée par une multitude d'yachts élégans, de barques de pêcheurs parfaitement construites, de légères nacelles; là, c'est le bateau noir, informe, du Massoulah que

vous apercevez, des matelots entièrement nus le conduisent en chantant des airs sauvages, mais qui sont loin d'être dépourvus de charme, et que depuis des siècles les vagues d'une mer agitée accompagnent en mugissant.

Il était tard et il faisait déjà nuit quand nous atteignîmes notre gîte; nous ne trouvâmes aucun de nos compatriotes pour nous y recevoir, mais la salle à manger était éclairée et la table mise. Nous nous empressâmes de nous y placer; je crois, dans ce moment, qu'il eût été bien difficile de trouver dans l'Inde entière une réunion plus gaie et plus satisfaite que la nôtre. Quatre ou cinq hommes, proprement vêtus de blanc, avec des turbans également blancs ou d'étoffe rouge, des pendans d'oreilles en or ou en émeraudes, et de larges anneaux en argent à leurs doigts, étaient groupés autour de chacune de nos chaises, et surveillaient tous nos mouvemens pour prévenir nos désirs. Après avoir goûté beaucoup de fruits et de légumes, tout à fait nouveaux pour nous, et nous être prononcés sur leur mé

rite, nous allàmes nous coucher, fort contens de notre soirée.

La scène du matin fut vraiment plaisante; dès la pointe du jour notre chambre avait été envahie : ici, un barbier qu'on n'avait pas demandé, rasait un officier encore tout assoupi; un autre faisait craquer les jointures d'un second officier demi-habillé; deux domestiques s'étaient emparés des mains d'un troisième pour les lui laver, et malgré tous mes efforts pour les en empêcher, deux hommes fort bien vêtus s'étaient saisis de mes pieds dans le mème but. Tout près de moi, un jeune garçon habillait avec beaucoup de dextérité, et comme si c'eût été un enfant confié à ses soins, un autre de mes camarades à peine éveillé. Toute cette scène, qui m'avait fort diverti, finit cependant pas m'affliger, car il y avait, dans ces empressemens serviles, quelque chose qui était fait pour blesser le cœur d'un citoyen d'un état libre.

Avec toutes les aisances dont il est environné, les marches d'un officier anglais dans l'Inde, ne peuvent pas être considérées comme une chose pénible. Il est certainement fort agréable de voyager dans ce pays, quoique cependant on soit obligé de se lever trop tôt. Une heure avant la pointe du jour, vous montez à cheval, vous allez d'un pas modéré, et vous arrivez à l'endroit où vous devez passer la journée avant que le soleil ait atteint toute sa force; vous y trouvez une petite tente dressée, et votre déjeuner servi; votre grande tente, avec votre couchette et vos bagages, arrivent plus tard. A neuf heures du matin, vous pouvez être lavé, habillé et occupé avec votre plume, vos crayons ou vos livres. Des nattes, tressées avec des plantes odoférirantes, sont suspendues à l'entrée de la tente, du côté opposé au vent, et, constamment humectées, elles procurent, pendant les momens les plus chauds du jour, un air agréable et rafraîchissant.

Tandis que nos pères étaient vêtus de peaux de loup, qu'ils habitaient des cavernes, qu'ils subsistaient du produit de leurs chasses, l'Hindou vivait comme il vit aujourd'hui ; comme aujourd'hui, seś princes étaient couverts de riches vêtemens, portaient des turbans resplendissans de pierreries, et logeaient dans des palais; comme aujourd'hui, des prêtres orgueilleux et à demi-nus recevaient les offrandes dans des temples taillés dans le granit et surchargés de sculptures, et l'appelaient à des cérémonies aussi absurdes que celles de maintenant, non moins voluptueuses et encore plus magnifiques. Sa maison, ses vêtemens, les outils des artisans et des laboureurs étaient les mêmes qu'actuellement; à cette époque, il arrosait déjà la terre en pressant son pied sur une planche disposée en travers d'une longue perche, ou bien il faisait tirer par ses bœufs, d'un puits profondément creusé, des sacs de cuir remplis d'eau qu'il répandait dans tous ces petits canaux qui divisent ses champs et ses jardins. Le maître d'école de village apprenait à ses enfans à tracer des lettres sur le sable, à chiffrer et à écrire sur la feuille sèche du palmier; sa femme portait ses grains au même moulin, ou les broyait dans le même mortier. Il pouvait faire ses emplettes dans un bazar, y changer son argent, ou en emprunter à usure pour payer la dépense d'un mariage ou d'une fête. Toutes les inventions utiles et tous les rafinemens de luxe qui frappent aujourd'hui l'attention du voyageur, étaient déjà d'une haute antiquité au temps d'Alexandre. Les costumes, les constructions, les usages, les mœurs, rien n'a changé, et l'officier anglais voit précisément le même spectacle qui s'offrit aux regards des soldats macédoniens, il y a plus de vingt siècles.

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