de sifflets, les injures les plus atroces pleuvent de toutes parts; quelquefois même, par l'ordre du peuple, et c'est la plus terrible marque de son indignation, un alguazil s'approche du toreador et lui enjoint, sous peine de la prison, d'attaquer au plus vite le taureau. Un jour l'acteur Maïquez, indigné de voir un matador hésiter en présence du plus obscur de tous les taureaux, l'accablait d'injures. - << Monsieur Maïquez, lui dit le matador, voyez-vous, ce ne sont pas ici des menteries comme sur vos planches. >>> Les applaudissemens, et l'envie de se faire une renommée ou de conserver celle qu'ils ont acquise, obligent les toreadors à renchérir sur les dangers auxquels ils sont naturellement exposés. Pepe-Illo, et Romero après lui, se présentaient au taureau avec des fers aux pieds. Le sangfroid de ces hommes dans les dangers les plus pressans, a quelque chose de miraculeux. Dernièrement, un picador, nommé Juan Sevilla, fut renversé de son cheval éventré par un taureau andalous, d'une force et d'une agilité prodigieuses. Ge taurean, au lieu de se laisser distraire par les chulos, s'acharna sur l'homme, le piétina et lui donna un grand nombre de coups de cornes dans les jambes; mais, s'apercevant qu'elles étaient trop bien défendues par le pantalon de cuir garni de fer, il se retourna et baissa la tête pour lui enfoncer sa corne dans la poitrine. Alors Sevilla, se soulevant d'un effort désespéré, saisit d'une main le taureau par l'oreille, de l'autre, il lui enfonce les doigts dans les naseaux, pendant qu'il tenait sa tête collée sous celle de cette bête furieuse. En vain le taureau le secoua, le foula aux pieds, le heurta contre terre, jamais il ne put lui faire lâcher prise. Chacun regardait avec un serrement de cœur cette lutte inégale; c'était l'agonie d'un brave; on regrettait presque qu'elle se prolongeât, on ne pou vait ni crier, ni respirer, ni détourner les yeux de cette scène horrible, elle dura près de deux minutes. Enfin, le taureau vaincu par l'homme dans ce combat corps à corps, l'abandonna pour poursuivre des chulos; tout le monde s'attendait à voir Sevilla emporté à bras hors de l'enceinte: on le relève, à peine est-il sur ses pieds qu'il saisit une cape et veut attirer le taureau, malgré ses grosses bottes et son incommode armure de jambes; il fallut lui arracher la cape, autrement il se faisait tuer à cette fois. On lui amène un cheval, il s'élance dessus, bouillant de colère, et attaque le taureau au milieu de la place; le choc de ces deux vaillans adversaires fut si terrible que cheval et taureau tombèrent sur les genoux. Oh! si vous aviez entendu les viva, si vous aviez vu la joie frénétique, l'espèce d'enivrement de la foule en voyant tant de courage et tant de bonheur, vous eussiez envié comme moi le sort de Sevilla. Cet homme est devenu immortel à Madrid. L'AUTEUR DU THÉATRE DE LES ÉCOSSAIS ET LES VENDÉENS. On est naturellement conduit à comparer les guerres civiles d'Angleterre, pendant le xviie siècle, avec la révolution de France, à la fin du xvme; et l'esprit est surtout frappé de l'analogie entre l'insurrection de la Vendée et celle qui fut dirigée en Écosse par Montrose, dans le siècle précédent. Le parallèle n'est pas sans doute exact sur tous les points. Les montagnards d'Ecosse étaient conduits au combat par leur amour naturel de la guerre, leur usage habituel des armes et leur attachement gues de la campagne. Dans les deux guerres, ils obtinrent de brillantes victoires, malgré le désavantage du nombre, malgré le manque d'armes convenables et surtout de munitions. et patriarcal pour leurs chefs. Les Vendéens, peuple pacifique, ne levèrent l'étendart de la révolte que pour défendre leur religion et leurs libertés de province. Les Highlanders, commandés par le génie supérieur d'un homme dont le cardinal Les habitans du Bocage avaient encore de Retz disait qu'il était celui qui remcette ressemblance avec les montagnards plissait le mieux, pour lui, son idéal d'un écossais, que les mêmes désavantages héros de Plutarque, étendirent la guerre accompagnaient leur mode particulier de plus loin que les Vendéens, , et profitèrent faire la guerre. Étant tous volontaires, mieux de leurs victoires, mais furent acservant sans solde, ils se croyaient libres cablés par une seule défaite. Les habitans de quitter l'armée quand cela leur plaide la Vendée, commandés par différens sait, et une victoire devenait, plus fréchefs, ne montrèrent pas la même énergie quemment encore qu'une défaite, le sidans le succès; mais, se confiant moins gnal de la diminution de leur nombre. à la fortune d'un seul homme, ils se ralLes Vendéens, comme les montagnards, liaient et devenaient victorieux après étaient sans expérience dans l'attaque des avoir subi plusieurs échecs répétés. Le places fortes, et quelques-uns de leurs mode de combattre des Vendéens et celui plus grands revers furent la conséquence des montagnards écossais étaient difféd'imprudentes entreprises de cette nature. rens; les tirailleurs du Bocage comptaient | Dans un pays ouvert, favorable à l'ac sur la guerre des buissons; tandis que les montagnards, après avoir fait feu, chargeaient en colonnes peu nombreuses, mais serrées, sur divers points d'une ligne étendue, et comptaient principalement sur leur habileté à manier l'épée écossaise dans une rencontre d'homme à homme. La religion, qui joua un grand rôle dans l'armée vendéenne, n'était pas au nombre des motifs qui excitaient l'armée de Montrose: tels sont les points de dissidence; mais les points d'analogie sont plus généraux et plus fortement marqués. Dans ces deux guerres mémorables, ce fut une race à part, une race primitive, qui se souleva contre les forces régulières du reste de la nation pour défendre les institutions anciennes qui lui avaient été léguées par ses pères. Dans les deux guerres, l'intrépidité, la sagacité naturelle, la force du corps et l'activité rendirent les insurgens supérieurs à leurs adversaires disciplinés, par l'impétuosité de l'attaque, la justesse des combinaisons, la célérité des marches, et la patience à supporter les fati tion de la cavalerie, ces guerriers primitifs combattaient avec moins d'avantages que dans des terrains bordés de clôtures. Le nombre des chefs et officiers indépendans tendait à introduire la discorde dans leurs conseils. Ce fut ce qui désorganisa plus d'une fois les plans de Montrose et paralysa presque toujours les efforts des Vendéens. Enfin, pour conclure, une guerre qui fit tant d'honneur aux chefs qui la dirigèrent, se termina, en France, comme en Écosse, par leur ruine et leur mort. Plusieurs périrent par les exécutions militaires ou sous les coups d'une sentence judiciaire ; leurs familles furent exilées ou privées de leur héritage, et ils ne laissèrent après eux d'autres fruits de leurs succès que la gloire de leur nom. WALTER SCотт. HONNEURS RENDUS AU GÉNIE CHEZ LES ANCIENS. même? » Témoignage bien fort dans la bouche d'un ennemi malheureux. Thucidide avait été banni comme général; il fut rappelé comme historien. Les Athéniens avaient puni sa lâcheté, ils honorèrent son éloquence. Les rois d'Égypte et de Macédoine rendirent un grand hommage au poète Ménandre, lorsqu'ils lui envoyèrent une flotte et une députation pour l'inviter à venir à leur cour: mais il se rendit un plus grand hommage à luimême, en préférant la jouissance des Qui pourrait décerner la palme du génie, et prononcer entre cette multitude immense de talens et de chefs-d'œuvre de toute espèce? A moins que l'on ne convienne que nul n'a été plus heureux que le poète grec, soit par le succès, soit par le sujet de ses ouvrages. Alexandre (car | lettres à la faveur des rois. une question aussi hardie ne peut être décidée que par des suffrages illustres, et les grands hommes ne sont bien jugés que par leurs pairs), Alexandre, dis-je, avait trouvé, parmi les depouilles de Darius, une boîte de parfums enrichie d'or, de perles et de pierreries. Ses courtisans lui en montraient les différens usages. Mais qu'était-ce que des parfums pour un roi soldat et couvert de poussière? Ah! ditil, renfermons-y plutôt les poésies d'Homère. Il voulait que le plus riche ouvrage de l'art conservât l'ouvrage le plus précieux de l'esprit humain. A la prise de Thèbes, ce prince ordonna que la famille et la maison de Pindare fussent épargnées. Il rebâtit la patrie d'Aristote, et cet hommage généreux répandit un nouvel éclat sur les travaux du philosophe. Les grands de Rome ont honoré aussi le génie, même dans les étrangers. Pompée, après avoir terminé la guerre contre Mithridate, alla rendre visite à Possidonius, célèbre par ses leçons de philosophie. Près d'entrer, il défendit au licteur de frapper de sa baguette selon l'usage; et celui qui avait vu l'Orient et l'Occident à ses pieds baissa ses faisceaux devant la porte d'un savant. Denys-le-Tyran, qui n'était d'ailleurs qu'un monstre d'orgueil et de cruauté, envoya, au-devant du sage Platon, un vaisseau décoré de bandelettes. Il le reçut lui-même au rivage, sur un char attelé de chevaux blancs. Isocrate vendit un seul discours vingt talens (100,000 fr.). Eschyne, célèbre orateur d'Athènes, avait lu aux Rhodiens son accusation contre Ctesiphon; il lut ensuite la harangue de Démosthènes, celle même qui l'avait fait condamner à l'exil. Comme ils étaient frappés d'admiration : « Que serait-ce, leur dit-il, si vous l'aviez entendu luit Dans le temps de cette députation célèbre des trois philosophes athéniens, Caton le censeur, ayant entendu Carnéade, opina que l'on devait les renvoyer au plus tôt, parce que les raisonnemens subtils de cet étranger rendaient la vérité problématique. Quelle révolution dans les mœurs! Ce même Caton persista toujours à soutenir que tous les Grecs, sans exception, devaient être expulsés de l'Italie; et son arrière-petit-fils, Caton d'Utique, amena un philosophe grec avec lui, quand il revint de l'armée: il en amena un second au retour de sa légation en Chypre : c'est un fait remarquable, que la langue grecque ait été proscrite par l'un des Catons, et introduite par l'autre. Mais parlons aussi des honneurs rendus à nos compatriotes. Le premier des Scipions ordonna que la statue d'Ennius fût placée sur son tombeau, et que son dernier monument offrit le nom d'un poète à côté de ce sur nom glorieux, prix de la conquête d'une des trois parties de la terre. mes de la parole: toi, le père de l'éloquence et des lettres latines: toi enfin, et ton ancien ennemi, le dictateur César, l'a écrit lui-même, toi qui as remporté un Auguste, sans égard pour le testament de Virgile, défendit qu'on brûlât son poème : et cette défense fut, pour le poète, ❘ triomphe d'autant plus solennel, que d'a un suffrage plus imposant que n'eût été l'approbation qu'il aurait donnée luimême à son ouvrage. Varron est le seul homme vivant dont la statue ait été posée dans la bibliothèque bâtie à Rome par les soins d'Asinius Pollion, et la première de l'univers qu'on ait rendue publique. Cette distinction accordée à lui seul, dans un siècle si fertile en génies, et par un homme qui tenait lui-❘ même le premier rang et comme orateur et comme citoyen, ne lui fait pas moins | d'honneur, à mon gré, que la couronne navale qu'il reçut du grand Pompée dans la guerre des pirates. Si je voulais suivre ce détail, les exemples seraient innombrables chez les Romains, puisque ce peuple a lui seul produit plus d'hommes supérieurs en tout genre, que n'en ont jamais enfanté toutes les autres nations du monde. Toutefois, o Cicéron, puis-je sans crime passer ton nom sous silence? Et que célébrerai-je comme le titre distinctif de ta gloire? Mais en est-il qu'on puisse préférer aux témoignages universels du peuple-roi, aux seules actions qui, sans compter les autres merveilles de ta vie entière, ont signalé ton consulat? Tu parles, et les tribus renoncent à la loi agraire, c'est-à-dire à leurs besoins : tu conseilles, elles pardonnent à Roscius sa loi théâtrale, et consentent à des distinctions humiliantes: tu pries, et les enfans des proscrits rougissent de prétendre aux honneurs. Catilina fuit devant ton génie : ta voix proscrivit Marc-Antoine: je te salue, ô toi, qui le premier fus nommé père de la patrie; toi, qui le premier méritas le triomphe, sans quitter la toge, et le premier obtins la victoire par les seules ar grandir à ce point les limites du génie, est un bien plus grand succès que d'avoir, par la réunion de tous les autres talens, reculé les bornes de l'empire. Plusieurs ont surpassé en sagesse tous les autres hommes. Tels furent, chez les Romains, ceux qu'on surnomma Catus et Corculus. Tel fut, chez les Grecs, Socrate, que l'oracle d'Apollon pythien déclara le plus sage des mortels. Les hommes ont élevé au rang des oracles, Chilon de Lacédémone, en consacrant à Delphes trois maximes de lui, qui furent gravées en lettres d'or. Les voici: Se connaître soi-même; - ne rien désirer de trop; la misère est la compagne des dettes et des procès. Il mourut de joie en apprenant la victoire de son fils à Olympie, et la Grèce entière suivit ses funérailles. PLINE, le naturaliste. LA TRAITE EN 1826. Il est malheureusement démontré que l'abolition de la traite en Angleterre, a été plutôt préjudiciable qu'utile aux intérêts de l'humanité; et que depuis cette époque, l'Atlantique n'a pas été, année commune, traversée par un seul esclave de moins qu'auparavant. On ne saurait le nier, notre gouvernement a concouru à amener ce triste résultat par la précipitation avec laquelle il a adopté cette mesure. Il a cru devoir la prendre sans se concerter avec les autres puissances européennes, ainsi qu'on l'avait d'abord proposé. Le ministère d'alors, qui pressentait sa chute prochaine, désirait, avant de se retirer, obtenir l'hon neur d'avoir aboli cet infâme trafic, et dans son impatience, il ne voulait consentir à aucun délai. Ce fut inutilement que lord Eldon et lord Hawkesburg soutinrent qu'il fallait d'abord s'entendre avec les gouvernemens des autres nations engagées dans le même commerce; et ce ne fut pas avec plus de succès que lord Saint-Vincent observa qu'après le rétablissement de la paix, la France s'en attribuerait le monopole. Il n'est pas moins regrettable que dans le traité conclu avec la France, le 30 mai 1814, par lequel ses possessions des Antilles lui étaient rendues, on n'ait point mis pour condition à cette restitution, que la traite serait immédiatement abolie, et qu'on n'ait pas exigé une garantie pour l'exécution de cette stipulation. Au lieu de cela, par une libéralité mal entendue, nos négociateurs se contentèrent d'un article additionnel ainsi conçu : « S. M. T. C. s'engage à faire tous ses efforts pour déterminer les puissances de la chrétienté, à abolir la traite, afin qu'elle cesse universellement, comme elle cessera définitivement de la part de la France, dans le cours de cinq ans. >>> Le roi de France s'engage de nouveau, dans un article supplémentaire du traité de Paris, du 20 novembre 1815, «à prendre, sans perte de temps, les mesures les plus efficaces pour l'abolition entière et définitive d'un commerce odieux, également réprouvé par les lois de la religion et par celles de la nature. >>> On sait combien peu les intentions de Louis XVIII ont été remplies, et son successeur ne fut guère plus heureux dans ses efforts pour empêcher ses sujets de prendre part à ces coupables spéculations, quoique douze ans, au lieu de cinq, se soient écoulés depuis le traité de 1814. Quelle que soit l'activité de nos croiseurs, le nombre des bâtimens négriers qu'ils ont visités sur une côte de plus de mille milles d'étendue, ne forme cependant qu'une fraction assez peu considérable de tous ceux qui y viennent faire des chargemens, ce serait vainement qu'on chercherait à se faire une idée des atrocités commises dans ce commerce, par celles dont les marins anglais ont été témoins dans le petit nombre de navires capturés; car, comme l'observe le directeur de l'institution africaine, il ne se commet pas plus de cruautés sur les bâtimens que l'on capture de temps en temps, que sur les cent autres qui échappent. On lit ce qui suit dans le vingtième rapport de cette institution : << Il est constant que la traite s'est beaucoup accrue dans le cours de l'année précédente, et que, malgré toutes les prises qui ont eu lieu, elle se fait aujourd'hui avec plus de fureur qu'à aucune époque, à l'exception des établissemens anglais, et de leur voisinage immédiat, la côte n'a jamais été dans un état plus déplorable: dans moins d'un mois, du 17 juin au 15 juillet 1825, le Maidstone remonta, sur les côtes de Benin et de Biafra, dix-sept négriers, dont quelques-uns sous pavillon français. Sur ce nombre, il y en avait sept qui étaient sur le point de charger trois mille nègres. >> L'état dans lequel mon lieutenant trouva ces infortunés, dit le commodore, est fait pour révolter tous les sentimens de la nature. La totalité des hommes, au nombre de cinq cent quarante, étaient enchaînés deux à deux, les uns par les bras, les autres par les chevilles, et plusieurs même par le cou. L'odeur qui sortait de l'endroit où ces malheureux étaient jetés pêle-mêle, était si infecte, qu'il fallut que mon lieutenant se rappelât combien les ordres que je lui avais donnés, à cet égard, étaient impérieux, pour se déterminer à le visiter. Pourra-t-on le croire ! cet endroit n'avait pas plus de trois pieds d'élévation ! Le commodore parle ensuite d'une espèce de |