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PIÉTÉ FILIALE DU JEUNE MANLIUS.

Anecdote romaine.

L'histoire romaine est pleine de traits admirables, propres à élever l'ame ou à devenir d'utiles leçons. Je vais en rapporter un, qui sans doute fera plaisir à tous ceux qui connaissent le doux sentiment qui unit les enfans aux pères et mères.

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Ces invectives révoltèrent tous les citoyens contre Manlius, que l'on haïssait déjà; on ne doute pas qu'il n'eût été condamné à une forte amende, sans un événement auquel on était loin de s'attendre. Le jeune Manlius, instruit de ce qui se passait, ne put souffrir qu'à son sujet on entreprit de rendre son père odieux. Il

Manlius imperiosus, avait montré pen- ❘ voulut, par une action éclatante, dit Tite

dant sa dictature un caractère dur, violent et plein de hauteur; il s'était même permis de faire battre de verges plusieurs citoyens. Aussi était-il devenu l'objet de la haine générale. Dès qu'il fut hors de charge, les tribuns du peuple l'appelèrent en jugement. M. Pomponius, un d'eux, fut celui qui porta l'accusation; il insista particulièrement sur cette cruauté que Manlius exerçait, non-seulement sur les personnes qui lui étaient étrangères, mais encore sur ses proches, et même sur son fils. Il lui reprochait de le tenir comme un esclave dans une de ses métairies, de le condamner à des travaux serviles à l'âge où ce jeune Romain devait s'instruire des choses qui convenaient à sa naissance, au moment où il devait écouter les débats de

Live, faire connaître aux dieux et aux hommes que loin de favoriser les accusateurs de son père, il était, au contraire, décidé à le défendre au péril de sa vie. Il prit donc une résolution, qui à la vérité se ressentait de son éducation agreste, et qui pouvait être d'un exemple dangereux. Un matin, sans avertir personne, il se rend à la ville, armé d'un poignard, et va droit à la maison de Pomponius. Ce tribun était encore au lit; averti que le fils de Manlius désirait l'entretenir, et persuadé qu'il venait le remercier, ou lui suggérer quelque nouveau sujet d'accusa❘tion, il le fit aussitôt entrer.

Le jeune Romain, se voyant seul avec le tribun, tire son poignard de dessous sa robe, et le levant sur lui : « Jure, luidtil d'une voix menaçante, jure de ne point tenir d'assemblée du peuple pour accuser mon père!...» Pomponius, qui voyait le fer briller sur sa poitrine, et qui considérait la force de celui qui le tenait, se hâta de faire le serment qu'on exigeait de lui; mais à peine fut-il débarrassé de ce terrible jeune homme, qu'il court sur la place, assemble le peuple, raconte ce qui s'est passé, et demande à être relevé de son

la place publique et acquérir de la gloire dans les armées. « Et pour quel crime estil traité avec cette rigueur? ajouta Pomponius; parce qu'il ne parle pas avec facilité? Un père, s'il avait quelques-uns des sentimens de la nature, ne devrait-il pas travailler à corriger doucement un pareil défaut, plutôt que de le rendre encore plus remarquable par la dureté dont il use envers son fils: Les bêtes elles-mêines ne nourrissent pas avec moins de soin et de tendresse ceux de leurs petits qui ont quelque difformité. Manlius, au contraire, ajoute le mal au mal; et s'il est dans son fils une seule étincelle de vertu, il l'éteint, I des traitemens rigoureux de son père,

serment.

Les Romains savaient apprécier une action généreuse. Ils furent touchés de voir un fils qui n'avait jamais reçu que

s'exposer cependant au plus grand danger rigo, qui avait l'ame généreuse, fut charpour sauver ce père dont il avait à se mé de voir arriver des convives en un jour plaindre. Ils ne voulurent point remaroù il avait amplement de quoi les régaler. quer ce que sa conduite avait de blamable, Il fit donc entrer les pèlerins dans sa case, ils ne considérèrent que le sentiment suleur offrit de la meilleure grâce du monde blime qui l'avait dictée, et ils le récom- ❘ la table et le couvert, et les pria de l'expensèrent. Le jeune Manlius fut élevé au grade de tribun de légion.

MADAME DE RENNEVILLE.

FEDERIGO.

Les peuples chez lesquels le christianisme a succédé au paganisme ont conservé long-temps des traditions et des récits où se confondaient les deux cultes et les deux religions. L'auteur a voulu donner un échantillon de cette littérature bizarre dans ce récit, qu'il dit être fort anciennement répandu et encore aujourd'hui populaire dans le royaume de Naples.

Il y avait une fois un jeune seigneur nommé Federigo, beau, bien fait, courtois et débonnaire, mais de mœurs fort dissolues; car il aimait avec excès le vin, et surtout le jeu; n'allait jamais à confesse, et ne hantait les églises que pour y chercher des occasions de péché. Or il advint que Federigo, après avoir ruiné au jeu douze fils de famille (qui se firent voleurs ' et périrent sans confession dans un combat acharné avec les troupes du roi), perdit lui-même, en moins de rien, tout ce qu'il avait gagné, et de plus, tout son patrimoine, sauf un petit manoir, où il alla cacher sa misère derrière les collines de Cava.

cuser s'il ne les traitait pas selon leur mérite, se trouvant pris au dépourvu. Notre-Seigneur, qui savait à quoi s'en tenir sur l'opportunité de sa visite, pardonna à Federigo ce petit trait de vanité en faveur de ses dispositions hospitalières. << Nous nous contenterons de ce que vous avez, lui dit-il, mais faites apprêter votre souper le plus promptement possible, vu qu'il est tard, et que celui-ci a grand faim, » ajouta-t-il en montrant saint Pierre. Federigo ne se fit pas répéter, et voulant offrir à ses hôtes quelque chose de plus que le produit de sa chasse, ordonna au métayer de faire main basse sur son dernier chevreau, qui fut incontinent mis à la broche.

Lorsque le souper fut prêt, et la compagnie à table, Federigo n'avait qu'un regret, c'était que son vin ne fût pas meilleur.

<< Sire, dit-il à Jésus-Christ :

>> Sire, je voudrais bien que mon vin fût meilleur; >> Néanmoins, tel qu'il est, je l'offre de grand cœur. »

Sur quoi, Notre-Seigneur ayant goûté le vin : « De quoi vous plaignez-vous? dit-il à Federigo, votre vin est parfait; je m'en rapporte à cet homme >> (désignant du doigt l'apôtre saint Pierre). Saint Pierre P'ayant savouré, le déclara excellent (proprio stupendo) et pria son hôte d'en boire.

Federigo, qui prenait tout cela pour de la politesse, fit néanmoins raison à l'apôtre; mais quelle fut sa surprise en trouvant ce vin plus délicieux qu'aucun de ceux qu'il eût jamais goûtés au temps de sa

Trois ans s'étaient écoulés depuis qu'il vivait dans la retraite, chassant le jour, et faisant le soir sa partie d'hombre avec lè métayer. Un jour qu'il venait de rentrer au logis avec une chasse, la plus heureuse qu'il eût encore faite, Jésus-Christ, suivi des saints Apôtres, vint frapper à sa grande fortune ! reconnaissant à ce miporte, et lui demanda l'hospitalité. Fede-racle la présence dn Sauveur, il se leva

aussitôt comme indigne de manger en si sainte compagnie: mais Notre-Seigneur lui ordonna de se rasseoir; ce qu'il fit sans trop de façons. Après le souper, durant lequel ils furent servis par le métayer et sa femme, Jésus-Christ se retira avec les apôtres dans l'appartement qui leur avait été préparé. Pour Federigo, demeuré seul avec le métayer, il fit sa partie d'hombre comme à l'ordinaire, en buvant ce qui restait du vin miraculeux.

Le jour suivant, les saints voyageurs étant réunis dans la salle basse avec le maître du logis, Jésus-Christ dit à Federigo: «Nous sommes très-content de l'accueil que tu nous as fait, et voulons t'en récompenser. Demande-nous trois grâces à ton choix, et elles te seront accordées; car toute puissance nous a été donnée an ciel, sur la terre et dans les enfers. >>>

Lors Federigo, tirant de sa poche le jeu de cartes qu'il portait toujours sur lui: << Maître, dit-il, faites que je gagne infailliblement toutes les fois que je jouerai avec ces cartes. Ainsi soit-il ! >> dit Jésus-Christ (ti sia concesso).

Mais saint Pierre, qui était auprès de Federigo, lui disait à voix basse, « A quoi penses-tu, malheureux pécheur? tu devrais demander au maître le salut de ton

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dans son saint paradis; il en est temps

encore...

- Rien ne presse, >>> repartit Federigo, en s'éloignant de l'apôtre; et Notre-Seigneur ayant dit : «Que souhaites-tu pour troisième grâce?

- Je souhaite, répondit-il, que quiconque s'assiéra sur cet escabeau, au coin de ma cheminée, ne puisse s'en relever qu'avec mon congé. » Notre-Seigneur, ayant exaucé ce vœu comme les deux premiers, partit avec ses disciples.

Le dernier apôtre ne fut pas plus tôt hors du logis, que Federigo, voulant éprouver la vertu de ses cartes, appela son métayer, et fit une partie d'hombre avec lui sans regarder son jeu. Il la gagna d'emblée, ainsi qu'une seconde et une troisième. Sûr alors de son fait, il partit pour la ville, et descendit dans la meilleure hôtellerie, dont il loua le plus bel appartement. Le bruit de son arrivée s'étant répandu, ses anciens compagnons de débauche vinrent en foule lui rendre visite.

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En prières, mes très-chères frères, répartit Federigo d'un ton dévôt; et voici mes heures, ajouta-t-il en tirant de sa poche le paquet de cartes qu'il avait pré

cieusement conservé. >>>

Cette réponse excita un rire général, et chacun demeura convaincu que Federigo avait réparé sa fortune en pays étranger aux dépens de joueurs moins habiles que ceux avec lesquels il se retrouvait alors, et qui brûlaient de le ruiner pour la seconde fois. Quelques-uns voulaient, sans plus attendre, l'entraîner à une table de jeu; mais Federigo, les ayant priés de re

mettre la partie au soir, fit passer la com-
Federigo les éprouva tous à la fois; mais
pagnie dans une salle où l'on avait servi, ❘ songeant à sa fortune passée, il se rappela
par son ordre, un repas délicat qui fut
parfaitement accueilli.

Ce dîner fut plus gai que le souper des apôtres; il est vrai qu'on n'y but que du malvoisie et du lacryma, mais les convives, excepté un, ne connaissaient pas de meilleur vin.

Avant l'arrivée de ses hôtes, Federigo s'étaitmuni d'unjeu de cartes parfaitement semblable au premier, afin de pouvoir, au besoin, le substituer à l'autre; et en perdant une partie sur trois ou quatre, écarter tout soupçon de l'esprit de ses adversaires. Il portait l'un à droite et l'autre à gauche.

les douze fils de famille aux dépens desquels il s'était enrichi; et, persuadé que ces jeunes gens étaient les seuls honnêtes joueurs auxquels il eût jamais eu affaire, il se repentit pour la première fois des victoires remportées sur eux. Un nuage sombre succéda sur son visage aux rayons de la joie qui perce, et il poussa un profond soupir en gagnant la troisième partie.

Elle fut suivie de plusieurs autres, dont Federigo s'arrangea pour gagner le plus grand nombre, en sorte qu'il recueillit dans cette première soirée de quoi payer son dîner et un mois de loyer de son appartement; c'est tout ce qu'il voulait pour ce jour-là. Ses compagnons, désappoin

Lorsqu'on eut dîné, lanoble bande étant assise autour d'un tapis vert, Federigotés, promirent, enle quittant, de revenir le

mit d'abord sur table les cartes profanes,

et fixa les enjeux à une somme raisonna

ble pour toute la durée de la séance. Vou

lant alors se donner l'intérêt du jeu, et

lendemain.

Le lendemain et les jours suivans, Federigo sut gagner et perdre si à propos, qu'il acquit en peu de temps une fortune con

connaître la mesure de sa force, il joua | sidérable, sans que personne en soupçon

de son mieux les deux premières parties, et les perdit l'une et l'autre, non sans un dépit secret. Il fit ensuite apporter du vin, et profita du moment où les gagnans buvařent à leurs succès passés et futurs, pour reprendre d'une main les cartes profanes, et les remplacer de l'autre par les bénites. Quand la troisième partie fut commencée, Federigo, ne donnant plus aucune attention à son jeu, eut le loisir d'observer celui des autres, et le trouva déloyal. Cette découverte lui fit grand plaisir. Il pouvait dès lors vider en conscience les bourses de ses adversaires. Sa ruine avait été l'ouvrage de leur fraude, non de leur bien-jouer ou de leur fortune. Il pouvait donc concevoir une meilleure opinion de sa force relative, opinion justifiée par ses succès antérieurs. L'estime de soi (car à quoi ne s'accroche-t-elle pas), la certitude de la vengeance et celle du gain sont trois sentimens bien doux au cœur de l'homme.

nât la véritable cause; alors il quitta son hôtel pour aller habiter un grand palais où il donnait de temps à autre des fètes magnifiques. Les plus grands seigneurs se disputaient son amitié ; les vins les plus exquis couvraient tous les jours sa table, et le palais de Federigo était réputé le centre des plaisirs.

Au bout d'un an de jeu discret, il résolut de rendre sa vengeance complète, en mettant à sec les principaux seigneurs du pays. A cet effet, ayant converti en pierreries la plus grande partie de son or, il les invita huit jours d'avance à une fête extraordinaire, pour laquelle il mit en réquisition les meilleurs musiciens, baladins, etc., et qui devait se terminer par un jeu des mieux nourris. Ceux qui manquaient d'argent en extorquèrent aux juifs; les autres apportèrent ce qu'ils avaient, et tout fut raflé. Federigo partit dans la nuit avec son or et ses diamans.

!

De ce moment il se fit une règle de ne jouer à coup sûr qu'avec les joueurs de mauvaise foi, se trouvant assez fort pour se tirer d'affaire avec les autres. Il parcourut ainsi toutes les villes de la terre, jouant partout, gagnant toujours, et consommant en chaque lieu ce que le pays produisait de plus excellent.

Cependant le souvenir de ses douze victimes se présentait sans cesse à son esprit, et empoisonnait toutes ses joies; enfin il résolut un beau jour de les délivrer ou de se perdre avec elles.

Cette résolution prise, il partit pour les enfers, un bâton à la main et le sac sur le dos, sans autre escorte que sa levrette favorite qui s'appelait Marchesella. Arrivé en Sicile, il gravit le mont Gibel, et descendit ensuite dans le volcan, autant audessous du pied de la montagne, que la montagne elle-même s'éleve au-dessus du Piémont; de là, pour aller chez Pluton, il faut traverser une cour gardée par Cerbère. Federigo la franchit sans difficulté, pendant que Cerbère s'amusait avec sa levrette, et vint frapperà la portede Pluton. Lorsqu'on l'eut conduit en sa présence: Qui es-tu? demanda le roi de l'abîme. - Je suis le joueur Federigo. -Que diable viens-tu faire ici? - Pluton, répondit Federigo, si tu estimes que le premier joueur de la terre soit digne de faire ta partie d'hombre, voici ce que je propose: nous jouerons autant de parties que tu voudras; que j'en perde une seule, et mon ame te sera légitimement acquise, avec toutes celles qui peuplent tes états; mais si je gagne, j'aurai le droit de choisir parmi tes sujettes, pour chaque partie que j'aurai gagnée, et de l'emporter avec moi.

- Soit, dit Pluton; et il demanda un jeu de cartes.

- En voici un, dit aussitôt Federigo, en tirant de sa poche le jeu miraculeux, et ils commencèrent à jouer.

Federigo gagna une première partie, et demanda à Pluton l'ame de Stephano Pagani, l'un des douze qu'il voulait sauver, Elle lui fut aussitôt livrée; et, l'ayant reçue, il la mit dans son sac. Il gagna de même une seconde partie, puis une troisième, et jusqu'à douze, se faisant livrer chaque fois, et mettant dans son sac une des ames auxquelles il s'intéressait. Lorsqu'il eut complété la douzaine, il offrit à Pluton de continuer.

- Volontiers, dit Pluton (qui pourtant s'ennuyait de perdre), mais sortons un instant; je ne sais quelle odeur fétide vient de se répandre ici.

Or, il cherchait un prétexte pour se débarrasser de Federigo; car à peine était-il dehors avec son sac et les ames, que Pluton cria de toutes ses forces qu'on fermât la porte sur lui.

Federigo, ayant de nouveau traversé la cour des enfers, sans que Cerbère y prît garde, tant il était charmé de sa levrette, regagna péniblement la cime du mont Gibel. Il appela ensuite Marchesella, qui ne tarda pas de le rejoindre, et redescendit vers Messine, plus joyeux de sa conquête spirituelle, qu'il ne l'avait jamais été d'aucun succès mondain. Arrivé à Messine, il s'y embarqua pour retourner en terre ferme, et terminer sa carrière dans son antique manoir.

(A quelques mois de là, Marchesella mit bas une portée de petits monstres dont quelques-uns avaient jusqu'à trois têtes. On les jeta tous à l'eau).

:

Au bout de trente ans (Federigo en avait alors soixante-dix), la Mort entra chez lui, et l'avertit de mettre sa conscience en règle, parce que son heure était Je suis prêt, dit le moribond; mais avant de m'enlever, ô Mort, donnemoi, je te prie, un fruit de l'arbre qui om

venue.

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