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COMBIEN LE TEMPS EST PRÉCIEUX.

• Connaître tout le prix du temps, c'est savoir vivre. Un sommeil agité par des songes pénibles ne laisse que de la fatigue et un souvenir désagréable, il en est ainsi d'une longue vie qui a été mal employée.

Je réparerai le temps perdu; phrase bien irréfléchie: on peut en expier le mauvais usage, on n'en répare point la perte.

Je suppose qu'ayant passé deux ou trois ans dans la paresse, vous vous soyez ensuite livré avec ardeur au travail pendant le même espace de temps, il n'en sera pas moins vrai que si vous eussiez mis à profit les années précédentes écoulées dans l'oisiveté, vous auriez obtenu du temps le double de ce qu'il vous a donné.

Non-seulement le temps n'accorde qu'à ceux qui savent l'apprécier, mais il reprend ses dons à ceux qui, après l'avoir cultivé, le négligent. On perd tous ses bienfaits, quand on ne s'en occupe pas habituellement.

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que la vertu ; mais, au contraire, le vice en est prodigue, et quoiqu'il soit souvent effrayé de sa rapidité, il craint également son poids et la longueur de sa durée ; il le consume par sa folie, il se repent ensuite de l'avoir abrégé. Le vice a des momens d'abattemens, de paresse, d'inquiétude et de découragement qui sont inconnus à la vertu. On marche mollement dans le chemin aplani du vice; car en y entrant, on abandonne la véritable vigueur, c'est-à-dire toute sa force morale on marche avec activité dans la route heureuse de la vertu. Plus on avance, plus la perspective que l'on découvre devient belle et ravissante. Cette route n'a

point de ténèbres, et à chaque pas que l'on y fait, on est guidé par une clarté plus vive. La vieillesse n'y ralentit point le courage, et un attrait céleste, un pouvoir surnaturel y donnent des ailes à la décrépitude même; ce sentier divin n'est pas, il est vrai, assez battu, assez fréquenté; mais comme on chérit ceux qu'on y rencontre, comme ces nobles compagnons de voyage paraissent beaux, grands, héroïques ! Là, jamais la basse envie n'a pu flétrir un seul sentiment. Là, nous admirons du fond de l'ame ceux mêmes qui nous devancent et qui nous surpassent.

Combien le vice, au contraire, fait perdre de temps par ses intrigues, ses complots ténébreux et la nécessité des précautions et du mystère !... Il n'existe pas un seul vice (sans parler de la paresse) qui ne consume un temps prodigieux : l'orgueil s'empare de toutes les pensées de ceux qu'il domine; l'avarice, qui sème sur toute la vie les cruelles inquiétudes de la plus triste prévoyance, la remplit aussi des plus ennuyeux et des plus misérables calculs; que de brouilleries, de tracasseries, d'explications, d'injustices, qu'il faut réparer, de chagrins causés par la colère et par la médisance. La gourmandise dévore honteusement une partie des journées de

ceux qui s'y livrent, et ses suites déplorables, de longues maladies, n'emploient pas seulement le temps d'une manière douloureuse; mais très-souvent l'anéantissent en causant des morts prématurées. La lâcheté et la délicatesse physique font perdre un temps incalculable; beaucoup de gens suspendent leurs occupations pour une souffrance légère, et c'est une véritable honte, les maux habituels du corps étant bien rarement assez violens pour autoriser l'inaction, et les peines de l'ame n'étant jamais une raison valable d'interrompre des travaux utiles. Chercher à se distraire d'un chagrin de cœur par les plaisirs de la dissipation, est à la fois une sottise et une indécence; la meilleure de toutes les distractions est l'étude; mais enfin si la faiblesse de votre caractère Vous rend l'application impossible, allez dans quelques greniers redonner la vie à des infortunés qui manquent de pain; quelle que soit la médiocrité de votre fortune, vous trouverez là plus de consolation qu'aux spectacles ou dans le grand monde, et vous n'aurez pas perdu votre temps.

Il y a une heureuse activité dans toutes les vertus dont la religion est la base : rien n'est agissant comme la véritable charité; elle ne se refuse à rien, et ne trouve rien d'ennuyeux et de pénible lorsqu'il est question d'être utile aux autres!

Lorsqu'après bien des soins et des démarches on échoue dans les projets formés par l'amour-propre et l'ambition, on éprouve un dépit et des regrets amers; mais lorsque des desseins bienfaisans ne réussissent pas, il en reste du moins la satisfaction inexprimable de les avoir conçus. On se rappelle avec plaisir tous les pas qu'on a faits, tous les moyens (toujours légitimes) qu'on a employés ; on sait que ce temps n'a pas été perdu, et que le souverain juge en tiendra compte.... et tandis que l'ambitieux se désole des obstacles invincibles qu'il a rencontrés et

que ce souvenir lui rávit le repos et le sommeil, l'homme religieux trouve dans ce même souvenir des consolations, de nouvelles espérances et la tranquillité. LA MÊME.

DE LA SENSIBILITÉ.

Celui qui honore sa mère est comme un homme qui amasse un trésor; celui qui honore son père trouvera sa joie dans ses enfans, et il sera exaucé au jour de sa prière, il jouira d'une longue vie. Celui qui craint le Seigneur, honorera son père et sa mère, et il servira comme ses maîtres ceux qui lui ont donné la vie.

Honorez votre père par actions, par paroles et par toute sorte de patience. (Proverbes, chap. Ier.)

« Dieu vous récompensera pour avoir supporté les défauts de votre mère, il vous établira dans la justice, il se souviendra de vous au jour de l'affliction, et vos péchés se fondront comme la glacé en un jour serein.

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>> Combien est infàmé celui qui abandonne son père, et combien est maudit de Dieu celui qui aigrit l'esprit de sa mère. » (Eccles., chap. III.)

«Enfans, obéissez à vos pères et à vos mères en ce qui est selon le Seigneur, car cela est juste. Honorez votre père et votrë mère, afin que vous soyez heureux, et que vous viviez long-temps sur la terre. » (Saint-Paul, aux Éphésiens, Chap. VI.)

ÉDUCATION DU DUC DE BOURGOGNE.

Un caractère indomptable, un orgueil révoltant, des penchans irascibles, et toutes ces passions violentes que beaucoup

d'esprit naturel, et une extrême aptitude à acquérir tous les talens et toutes les connaissances, pouvaient rendre encore plus fatales au repos et au bonheur des hommes: tel est le portrait que tos les historiens nous ont laissé du caractère que le duc de Bourgogne (petit-fils de Louis XIV, et l'élève de Fénelon) avait apporté en naissant.

Sans doute un enfant de sept ans ne pouvait encore s'être montré sous des formes aussi redoutables; mais il fallait bien qu'il eût laissé entrevoir, dès son premier âge, et pendant les premières années de son éducation, tout ce que l'on avait à craindre de lui, puisque ceux qui ont vanté, avec la plus juste admiration, ce qu'il était devenu, rappelaient encore avec une espèce d'effroi ce qu'il avait été.

<< M. le duc de Bourgogne, dit M. de Saint-Simon, naquit terrible, et dans sa première jeunesse fit trembler. Dur, colère jusqu'aux derniers emportemens contre les choses inanimées, impétueux avec fureur, incapable de souffrir la moindre résistance, même des heures et des élémens, sans entrer dans des fougues à faire craindre que tout ne se rompît dans son corps (c'est ce dont j'ai été souvent témoin). Opiniâtre à l'excès, passionné pour tous les plaisirs, la bonne chère, la chasse avec fureur, la musique avec une sorte de ravissement, et le jeu encore, où il ne pouvait supporter d'être vaincu, et où le danger avec lui était extrême ; enfin livré à toutes les passions et transporté de tous les plaisirs; souvent farouche, naturellement porté à la cruauté, barbare en raillerie, saisissant les ridicules avec une justesse qui assommait. De la hauteur des cieux, il ne regardait les homines que comme des atomnes avec qui il n'avait aucune ressemblance, quels qu'ils fussent. A peine les princes ses frères lui paraissaient intermédiaires entre lui et le genre humain, quoiqu'on eut toujours affecté

de les élever dans une égalité parfaite. L'esprit, la pénétration brillaient en lui de toutes parts, jusque dans ses emportemens; ses reparties étonnaient; ses réponses tendaient toujours au juste et au profond; même dans ses erreurs, il se jouait des connaissances les plus abstraites l'étendue et la vivacité de son esprit étaient prodigieuses, et l'empêchaient de s'appliquer à une seule chose à la fois, jusqu'à l'en rendre incapable! »

Voilà l'enfant qui fut confié à Fénelon; tout était à craindre d'un pareil caractère, tout était à espérer d'une ame qui annonçait tant d'énergie.

Tant d'esprit, et une telle force d'esprit jointe à une telle sensibilité, à de telles passions, et toutes si ardentes, n'étaient pas d'une éducation facile. Le due de Beauvilliers, qui en sentait exactement les difficultés et les conséquences, s'y surpassa lui-même, par son application, sa patience, la variété des remèdes. Fénelon, Fleury, quelques gentilshommes, Moreau, premier valet de chambre, fort au-dessus de son état, quelques rares valets de l'intérieur, le duc de Chevreuse, seul du dehors; tous furent mis en œuvre, et tous du même esprit travaillèrent, chacun sous la direction du gouverneur, dont l'art déployé dans un récit serait un ouvrage également curieux et instructif. Le prodige est qu'en très-peu de temps il devint un autre homme, et de si redoutables défauts se changèrent en vertus parfaitement contraires. De cet abîme sortit un prince affable, doux, humain, modéré, patient, modeste, humble et austère pour soi, tout appliqué à ses obligations, et les comprenant immenses; il ne pensa plus qu'à allier les devoirs de fils et de sujet à ceux auxquels il se voyait destiné.

Mais que de soin, d'attention, de pa tience, que de délicatesse et de variété dans le choix des moyens, ne fallut-il pas pour opérer une révolution aussi extraor

dinaire dans le caractère d'un enfant, d'un prince, d'un héritier du trône!

L'enfant confié aux soins de Fénelon était appelé à régner, et Fénelon voyait dans cet enfant vingt millions d'hommes qui attendaient leur bonheur ou leur malheur du succès de ses soins; ainsi il ne se prescrivit qu'une seule règle, celle d'observer à chaque moment le prince, de suivre avec une attention calme et patiente toutes les variations et tous les écarts de ce tempérament fougueux, et de faire toujours ressortir la leçon de la faute même.

C'est pour le duc de Bourgogne que Fénelon écrivait des fables qui se rapportaient presque toujours à un fait qui venait de se passer. Mais il n'était pas au pouvoir de l'instituteur de maîtriser tout à coup un caractère impérieux qui se révoltait souvent contre la main paternelle attentive à mettre un frein à ses fureurs.

Lorsque le jeune prince se livrait à ces accès de colère et d'impatience, auxquels son naturel irascible ne le rendait que trop sujet, tout le monde se concertait alors pour observer avec lui le plus profond silence. On se bornait à lui offrir les soins et les secours nécessaires à sa conservation. On lui retirait tous ses livres, devenus inutiles à l'état déplorable où il se trouvait réduit, on l'abandonnait ainsi à lui-même, à ses réflexions, à ses remords. Alors le jeune prince rougissait de lui-même; dans son isolement et dans sa solitude venait se jeter aux pieds de son précepteur, déposer dans son cœur la ferme résolution de prendre plus d'empire sur lui-même, et arroser de ses larmes les mains de Fénelon qui le pressait contre son sein, avec la tendre affection d'un père compatissant, toujours accessible au repentir.

Dans ces combats si violens d'un caractère impétueux avec une raison prématurée, le jeune prince semblait se méfier

de lui-même, et il appelait l'honneur en garantie de ses promesses. On a encore les originaux de ces deux engagemens d'honneur qu'il déposa entre les mains de Fénelon.

« Je promets, foi de prince, à M. l'abbé de Fénelon de faire sur-le-champ ce qu'il m'ordonnera, et de lui obéir dans le moment qu'il me défendra quelque chose; et si j'y manque, je me soumets à toutes sortes de punitions et de déshonneur.

» Fait à Versailles, le 29 novembre 1689.

» Signé : LOUIS.

» Louis, qui promets de nouveau de mieux tenir ma promesse.

» Ce 20 septembre.

>> Je prie M. de Fénelon de le garder

encore. >>

Le prince qui souscrivait ces engagemens d'honneur n'avait encore que huit ans, et déjà il sentait la force de ce mot magique honneur.

Fénelon lui-même ne fut pas à l'abri des vivacités de son élève. On nous a conservé le récit de la manière dont Fénelon se conduisit dans une circonstance délicate. S'étant vu forcé de parler à son élève avec une autorité et même une sévérité qu'exigeait la nature de la faute dont il s'était rendu coupable, le jeune prince se permit de lui répondre, non, non, monsieur, je sais qui je suis, et qui vous êtes! Fénelon ne répondit pas un seul mot; mais le lendemain, à peine le jeune prince fut-il éveillé que Fénelon entra chez lui. « Je ne sais, monsieur, dit-il, si vous vous rappelez ce que vous m'avez dit hier que vous saviez ce que vous êtes, et ce que je suis : il est de mon devoir de vous apprendre que vous ignorez l'un et l'autre. Vous vous imaginez donc, monsieur, être plus que moi; quelques valets, sans doute, vous l'auront dit;

et moi je ne crains pas de vous dire, puisque vous m'y forcez, que je suis plus que vous. Vous comprenez assez qu'il n'est pas question ici de la naissance, vous regarderiez comme un insensé celui qui prétendrait se faire un mérite de ce que la pluie a fertilisé sa moisson, sans arroser celle de son voisin. Vous ne seriez pas plus sage si vous vouliez tirer vanité de votre naissance, qui n'ajoute rien à votre mérite personnel. Vous ne sauriez douter que je suis au-dessus de vous par les lumières et les connaissances. Vous ne saviez pas ce que je vous ai appris, et ce que je vous ai appris n'est rien, comparé à ce qui me resterait à vous apprendre. Quant à l'autorité, vous n'en avez aucune sur moi, et je l'ai moi-même au contraire pleine et entière sur vous. Le roi vous l'a dit assez souvent, Vous croyez peut-être que je m'estime fort heureux d'être pourvu de l'emploi que j'exerce auprès de vous; désabusez-vous encore, monsieur, je ne m'en suis chargé que pour obéir au roi, et nullement pour le pénible avantage d'être votre précepteur, et afin que vous n'en doutiez pas, pas, je vais vous conduire chez sa majesté pour la supplier de vous en nommer un autre, dont je souhaite que les soins soient plus heureux que les

miens. »

Le duc de Bourgogne, que la conduite sèche et froide de son précepteur, depuis la scène de la veille et les réflexions d'une nuit entière, passée dans les regrets et dans l'anxiété,"avaient accablé de douleur, fut attéré par cette déclaration. Il chérissait Fénelon avec toute la tendresse d'un fils, et d'ailleurs son amour-propre et un sentiment délicat sur l'opinion publique lui faisaient déjà pressentir tout ce que l'on penserait de lui, si un instituteur du mérite de Fénelon se voyait forcé de renoncer à son éducation. Les larmes, les soupirs, la crainte, la honte, lui permirent à peine de prononcer ces paroles entre

coupées à chaque instant par ses sanglots; Ah! monsieur, je suis désespéré de ce qui s'est passé hier, si vous en parlez au roi, vous me ferez perdre son amitié... si Vous m'abandonnez, que pensera-t-on de moi! Je vous promets... Je vous promets que vous serez content de moi..... mais pro

mettez-moi...

Fénelon ne voulut rien promettre; il le laissa un jour entier dans l'inquiétude et dans l'incertitude. Ce ne fut que lorsqu'il eut lieu d'être bien convaincu de la sincérité de son repentir, qu'il céda à ses nouvelles supplications, et aux instances de madame de Maintenon.

La suite de la vie du duc de Bourgogne a fait voirque celui de tous les princes qui a été le moins flatté par ses instituteurs, le prince à qui l'on a dit les vérités les plus fortes et les plus sévères dans son enfance et dans sa jeunesse, a été celui qui a conservé la plus tendre reconnaissance pour les hommes vertueux qui avaient présidé à son éducation.

Le cardinal de BEAUSSET.

SILVIO PELLICO.

Cette notice est extraite de la préface des Mémoires de Silvio Pellico, traduits par M. de La

tour.

Un livre nous est venu de l'Italie, œuvre de haute philosophie morale, de simple et d'évangélique poésie. Enseveli dix ans sous les plombs de Venise et dans les cachots du Spielberg, un homme a raconté ses longues douleurs sans permettre à ses lèvres aucun murmure contre des juges qui lui ont pris tant d'années d'une vie déjà pleine de renommée.

Qu'un condamné rendu à l'air et à la liberté secoue la poussière de ses pieds contre les murs de sa prison, et, en tou

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