Images de page
PDF
ePub

chant le sol de sa patrie, pousse un cri de vengeance et de malédiction, c'est ce que l'on voit tous les jours: ceci au contraire est le spectacle d'un prisonnier qui a su tellement faire servir l'infortune à l'éducation religieuse de son cœur qu'il n'a trouvé, aux jours de sa captivité, que des paroles de consolation pour ses frères, et, redevenu libre, des prières pour ses geôliers.

Jeté dans les fers comme Boëce, le poète avait plus à faire et a mieux fait que le philosophe. La torture n'avait plus rien à enseigner au ministre de Théodoric, que la philosophie, la vieillesse, et surtout l'histoire de son temps avaient dû familiariser assez avec tous les caprices de la fortune.

L'auteur de Mie Prigioni avait à revenir de plus loin, forcé de renoncer tout à coup aux illusions de la jeunesse et de la gloire ! Dans cette épreuve de dix ans, il a, par l'énergie d'une foi sincère, reconquis la sérénité de son ame, et replacé le cœur de l'homme aussi haut que l'avaient mis les premiers martyrs du christianisme. Le confesseur du Christ et de la patrie se nomme Silvio Pellico.

delle, loin des siens, loin de sa patrie, sous le ciel froid et brumeux de la Moravie? L'entreprise de M. Pellico n'ayant pas réussi, il vint à Turin où il fut nommé chef de division au ministère de la guerre. Silvio avait alors six ans; c'était un enfant, mais déjà c'était un poète, I avait à cet âge composé une tragédie. Honorato Pellico lui-même avait publié à Turin de remarquables compositions lyriques. Une dédicace nous apprend, d'une manière touchante, quelle religieuse mémoire Silvio garda des conseils de son père.

Sa seizième année le trouva encore livré à ce culte domestique de la poésie.

Partageant tous ses jours entre une société choisie, élégante, et des études toutes françaises, il semblait avoir oublié l'Italie pour la France, et Alfieri pour Racine, dont l'inspiration se trahira plus d'une fois dans son théâtre; mais voici qu'un jour il lui arriva d'Italie un nouveau poème de Foscolo, les Tombeaux, Ce poème fut pour lui le bouclier de Renaud; en le lisant, il se sentit redevenir italien et se retrouva poète.

Quelques jours après, il était sur le chemin de l'Italie.

Cependant, en 1810, M. H. Pellico avait quitté le Piémont avec sa famille pour aller résider à Milan.... Milan était alors

Silvio Pellico est né, vers 1789, à Saluces en Piémont, où son père occupait alors un emploi dans les postes. Il était encore enfant lorsque M. Honorato Pellico consacra une partie de sa fortune à fonder une filature de soie à Pignerolles, première prison du Masque de Fer, ce tragique personnage de nos annales. J'imagine que plus tard, lorsque dans les longues nuits du Spielberg, Silvio évoquait l'image de son heureuse enfance, le château de Pignerolles lui revint plusieurs fois à la mémoire avec son étrange prisonnier. Qui lui eût dit, lorsqu'il en écoutait la mystérieuse légende sur les genoux de sa mère, qu'il devait Ce jeune homme tenait, pour ainsi un jour, lui aussi, voir s'ensevelir dire, aux grands poètes de l'ancienne Itasa destinée dans les cachots d'une cita- | lie par ses relations avec Monti et Foscolo.

le rendez-vous de tout ce qu'il y avait en Italie de cœurs généreux et d'esprits distingués. A leur tête se plaçaient deux poètes célèbres, aujourd'hui morts l'un et l'autre, Ugo Foscolo et Vincenzo Monti. L'ame douce et tendre de Silvio, tout en se laissant séduire par ce naturel orageux, le dominait par sa facile bonté; brusque, amer pour tout le monde, l'au teur d'Ortis n'eut jamais que pour Silvio une amitié égale et sans caprice.

1

Il avait entrevu l'Allemagne par Schlegel et madame de Staël; il allait toucher à Shakespeare par lord Byron.

325

nous essaierons de le démontrer un jour, par où la vie morale et religieuse puisse encore rentrer dans les sociétés modernes.

De ces deux sentimens, le poète s'éleva à l'amour de l'humanité.

Ce fut à cette époque que ce dernier vint à Milan. Placé long-temps sous la fascination lointaine de cette puissante Il rêvait pour l'Italie une renaissante imagination, Silvio avait traduit Mans- | jeunesse, et la question politique ne s'offred, comme pour se rapprocher davantage de ce génie nouveau qui l'attirait à lui.

Lord Byron, touché de cet hommage rendu par une riante imagination du midi à cette œuvre sombre de l'inspiration septentrionale, demanda à son jeune admirateur pourquoi il avait traduit son drame en prose; Silvio répondit qu'il ne croyait pas qu'on dût traduire les poètes en

vers.

Peu de jours après, Silvio ayant apporté à lord Byron le manuscrit de son plus célèbre ouvrage, Francesca da Rimini, l'auteur de Dom Juan le lui présenta traduit en anglais. Heureux qui découvrira cet essai de traduction dans les papiers de lord Byron !

Cette pièce eut un immense succès sur les théâtres de Naples et de Milan.

frait à lui qu'enfermée dans la question littéraire; il avait entrevu la résurrection de la patrie dans l'avenir de la presse militante.

L'aménité de ses manières lui avait ouvert la maison du comte Briche, qui lui confia l'éducation d'un de ses enfans. Il ne quitta cette aimable famille que pour entrer, au même titre, dans la maison du comte Porro Lambertenghi. Je ne saurais dire tout ce qu'il apporta dans ses fonctions de dévouement tendre, et de patiente persévérance.

Là, chez le comte Porro, apparaissaient tour à tour tous les étrangers de distinction; là, s'entretenaient de leurs communes espérances beaucoup d'Italiens de renom: c'étaient le célèbre Confalonieri, le premier des publicistes de l'Italie; Ludovico de Brême, poète et prosateur à la fois; don Petro Borlieri, de Faenza.

Ce fut au milieu de ce petit cénacle que Silvio Pellico apporta un jour la première idée d'un projet qui lui parut propre à

tion italienne, par la pensée littéraire et scientifique.

L'année 1820 commença pour Silvio une existence nouvelle; il venait, par un coup d'éclat, de prendre rang parmi les plus poétiques intelligences de son âge. Au nom des idées les plus généreuses, il va devenir l'apôtre de cette littérature | résoudre le projet sublime de la régénéradont il n'est encore que l'humble prosélyte. Deux sentimens dominent dans son ame: l'amour du pays. Plein de résignation pour le présent, d'espérance pour l'avenir, sa foi a tiré des souffrances présentes cette merveilleuse consolation que, dans les conseils de la Providence, tant d'infortunes ne peuvent être, pour ceux qui souffrent, que le prélude de la gloire et de la liberté qui les attend.

Cet amour de la patrie se fortifia en lui d'un autre plus intime, l'amour de sa famille, sentiment divin, le seul, comme

Ainsi commença le journal le Conciliateur.

Le comte Porro accueillit avec joie la pensée de son jeune ami, et fonda le Conciliateur. Il semblait que chaque cité, jalouse de s'associer à l'œuvre du chantre de Françoise de Rimini, voulût avoir son représentant à ce congrès de la pensée italienne. On vit bientôt se grouper autour de ce drapeau Romagnoli de Venise, le plus célèbre jurisconsulte de l'Italie, Mel

chior Gioja, le premier de ses économistes, Manzoni, le plus grand de ses poètes et le plus grand de ses prosateurs; Grossi, qui depuis a fait l'Ildegonde; Bréchet, l'auteur des Fantaisies, et sous les auspices du Conciliateur parurent trois pièces du plus haut talent.

Mais bientôt arriva le jour cruel où cette brillante école de Milan fut obligée à se dissoudre. Le contre-coup de la révolution de Naples avait ébranlé la Lombardie; les proclamations de l'Autriche n'étaient pas un avertissement, mais une menace, dont l'effet ne se fit pas attendre; il y eut des arrestations; Porro ne se déroba que par la fuite aux tourmens du Spielberg, où gémit encore l'infortuné Confalonieri. L'Autriche n'avait pas respecté le noble caractère de Confalonieri, ni les cheveux blancs et la haute science de Gioja, elle ne s'arrêta pas davantage devant la glorieuse jeunesse de Silvio; le 13 octobre, ce dernier fut conduit à Sainte-Margue

rite.

Mais, comme pour l'aider à supporter son infortune, la Providence lui gardait un ami. Il y avait alors dans l'établissement typographique de Nicolo Bettoni un jeune homme de Forli, né sous la double inspiration de la poésie et de la musique, c'était Piero Maroncelli. J'avoue que je ne puis me défendre de la plus vive émotion au nom de celui qui a tant souffert à côté de Silvio; leur amitié commença presque par une querelle sur un système de musique; mais avant de se quitter il s'étaient déjà promis une inaltérable amitié; ils se hâtaient de s'aimer, comme pour se trouver prêts à souffrir ensemble, quand l'heure serait venue. Maroncelli fut arrêté le 7 octobre, six jours avant son ami.

Les premiers mois de sa captivité, Silvio les consacra tout entiers aux soins de son procès; ensuite, appelé à Venise devant une commission spéciale, il essaya

d'échapperaux préoccupations de la geôle, se réfugiant glorieusement dans le sanctuaire inviolable de l'art.

Certes, il est toujours beau à un poète captif de dater une œuvre des murs de sa prison; mais lorsque cette prison est à Venise, sous les plombs, lorsque cette œuvre est empreinte de tout ce que le génie biblique a de plus tendre et de plus sublime, on se demande, avec un étonnement mêlé de respect, ce qu'on doit le plus admirer, de l'œuvre ou de la sérénité du poète.

Qui pourrait ne pas reconnaître Silvio lui-même dans ce début d'un troubadour? << Revenez, chansons de mes pères, ré>> cits antiques, qu'aux jours heureux de >> mon enfance j'appris dans mon idiome >> des Alpes, langue rude aux lèvres, mais >> douce au cœur, mais noblement animée >> de passion guerrière et de mélancoliques

>> accens.

>> Revenez, revenez à ma mémoire, et >> qu'avec vos airs touchans, je retrouve >> de gracieuses illusions, qui m'enlèvent >> à mes douleurs, à cette prison où j'expie >> de vaines témérités; revenez et ramenez>> moi les heures de mes joies enfantines!

>> Ramenez-moi dans cet air bien-aimé >> de Saluces que je respirai le premier; >> ramenez-moi sur les coteaux embaumés >> où Pignerolles se réjouit dans le par>> fum de ses fleurs et la limpidité de ses

» eaux. »

Silvio fut condamné, le 21 février 1822, à la peine de mort. Un rescrit impérial commua la peine en quinze années de carcere duro dans la citadelle du Spielberg.

Il partit. A lui maintenant de raconter sa vie du Spielberg, elle est écrite heure par heure dans son livre.

Plusieurs auraient voulu douter de la foi religieuse de Silvio; mais il eût fallu confesser ne connaître ni le livre ni l'auteur. C'est un chrétien simple de cœur et

ferme d'intelligence, qui court aux consolations surnaturelles par l'instinct du malheur, mais aussi par cette infaillible logique d'un esprit élevé qui, forcé de renoncer au monde, regarde au-delà, et juge plus haut.

Le réveil qui suit une première nuit de prison est une chose horrible. - Est-ce bien possible? me disais-je, en me rappelant où j'étais, est-ce bien possible? moi ici! ce que je fais là n'est pas un songe? Il est donc bien vrai qu'hier on m'arrêta? qu'hier j'ai subi ce long interrogatoire qui se continuera demain, et jusques à quand? Dieu le sait. C'est donc hier soir qu'avant de m'endormir j'ai tant pleuré au souvenir de ma famille!

Le repos, le silence absolu, le court sommeil qui avait réparé les forces de mon esprit, semblaient avoir centuplé en moi la force de la douleur. Dans cette absence de toute distraction, le désespoir de tous les miens, et surtout de mon père et de ma mère, à la nouvelle de mon arrestation, se retraçait à moi en imagination avec une force incroyable.

En ce moment, disais-je, ils dorment encore tranquilles, ou ils veillent peutêtre en pensant à moi avec douceur, bien éloignés, hélas! de soupçonner en quel lieu je suis. Trop heureux si Dieu les enlève de ce monde avant que n'arrive à Turin la nouvelle de mon malheur! Qui leur donnera la force de supporter un pareil coup?

Une voix intérieure semblait me répondre: Celui que tous les affligés aiment, invoquent et sentent en eux; celui qui donnait à une mère la force de suivre son fils au Golgotha, et de se tenir sous la croix! l'ami des infortunés, l'ami des mortels!

De ce moment la religion triompha

dans mon cœur, et c'est à l'amour filial que je dois ce bienfait.

Avant ce jour, mille doutes sophistiques affaiblissaient en moi la foi religieuse. Déjà, depuis long-temps ces doutes ne tombaient plus sur l'existence de Dieu; je me répétais que si Dieu existe, c'est une conséquence de la justice, qu'il existe une autre vie pour l'homme qui a souffert dans un monde si injuste: de là l'invincible nécessité d'aspirer aux biens de cette seconde vie; de la un culte qui repose sur l'amour de Dieu et du prochain, un éternel besoin pour l'ame de s'ennoblir en s'élevant aux sacrifices les plus généreux.

Qu'est-ce donc que le christianisme, ajoutais-je, sinon cet éternel élan vers l'ennoblissement de l'ame? et je me demandais avec étonnement comment le christianisme, se manifestant dans son essence, si pur, si philosophique, si inattaquable, il avait pu venir une époque où la philosophie osât dire : « Je jouerai désormais le rôle du christianisme. » Eh! comment le joueras-tu ce rôle? en enseignant le vice? non, certes. La vertu? eh bien! ce sera l'amour de Dieu et des hommes, ce sera précisément ce qu'enseigne le christianisme.

Tout en raisonnant de la sorte, depuis plusieurs années, j'évitais néanmoins de conclure. Sois donc conséquent, sois chrétien! ne te scandalise plus de quelques abus; ne subtilise plus sur la doctrine de l'Église, puisque le point capital est ce-, lui-ci, et de tous le plus lucide: Aime Dieu, aime ton prochain.

Dans ma prison, je me décidai enfin à tirer cette conclusion, et je la tirai. Sentant bien que le malheur ne m'avait point avili, que ma dévotion n'était point fausse, puisqu'elle relevait et ennoblissait toutes les facultés de mon ame, je demeurai ferme dans la volonté d'être et de me déclarer chrétien à l'avenir.

Je roulai cette résolution dans mon es

prit dès cette première nuit de ma captivité; vers le matin mes fureurs s'étaient calmées, et je m'en étonnai. Je pensais encore à mes parens et à tous ceux que j'aimais, et je ne désespérais plus de la force de leur ame; le souvenir des sentimens vertueux que je leur avais connus me revenait et me consolait.

Pourquoi d'abord un tel trouble en
moi, quand je me retraçais le leur, et
maintenant une telle confiance dans l'élé-
vation de leur courage? Cet heureux
changement était-il un prodige? Était-ce

l'effet naturel du sentiment ravivé de ma
croyance en Dieu?

Eh! prodige ou non, qu'importe le
nom que l'on donne aux réels et sublimes
bienfaits de la religion?....

Quand je n'eus plus à subir le martyre des interrogatoires, je sentis amèrement le poids de la solitude. Il me fut permis d'avoir une Bible et le Dante, et mon esprit fut d'abord trop agité pour s'appli.. quer à aucune lecture. Chaque jour j'apprenais par cœur un chant du Dante; mais eet exercice était si machinal qu'en m'y livrant je pensais moins encore aux vers qu'à mes malheurs.

Il en était de même quand je lisais toute autre chose, excepté par momens certains passages de la Bible, ce livre divin que j'avais toujours beaucoup aimé, même quand je me croyais incrédule à force d'être distrait. Mais très-souvent encore,

en dépit de ma bonne volonté, je le lisais ayant l'esprit ailleurs et ne comprenais plus. Insensiblement je devins capable de le méditer plus profondément et de le goûter chaque jour davantage.

Cette lecture, loin de me donner la moindre disposition à la bigotterie, à cette dévotion mal entendue qui rend pusillanime ou fanatique, m'enseignait au contraire à aimer Dieu et les hommes, à désirer toujours plus ardemment le règne

de la justice, à abhorrer l'iniquité en pardonnant à ceux qui la commettent. Le christianisme, au lieu de détruire en moi ce que là philosophie y avait fait de bon, confirmait mes convictions et les étayait de raisons plus hautes, plus puissantes. Comme je me sens fait de manière à ne pouvoir réciter de longues prières sans me laisser aller à des distractions, je m'appliquai seulement à me tenir constamment en présence de Dieu, et j'y trouvai bientôt un plaisir ineffable; la solitude perdit chaque jour quelque chose de son horreur à mes yeux. Ne suis-je pas, me disais-je, en très-bonne compagnie, et mon ame redevenait sereine.

Je m'étudiais à ne me plaindre de rien et à redonner à mon amé toutes les jouissances possibles; je repassais dans mon esprit tout ce qui avait jadis embelli mes jours; père, mère, frères et sœurs excellens, des amis, une bonne éducation, l'amour des lettres : ces souvenirs m'attendrissaient; je pleurais un moment; mais le courage et la joie même revenaient

Bientôt.

Je m'étais fait un ami d'un enfant sourd et muet de cinq à six ans.

Le pauvre petit orphelin était élevé par l'état avec plusieurs autres enfans de même condition; ils habitaient une chambre en face de la mienne. A certaines heures, leur porte s'ouvrait; ils allaient prendre l'air dans la cour. Le sourd-muet venait sous ma fenêtre, il riait, gesticulait; je lui jetais un morceau de pain, il faisait une gambade de joie, courait à ses camarades, en donnait à tous, et venait ensuite manger sa petite part près de ma fenêtre, en m'exprimant sa reconnaissance dans un sourire et d'un regard de ses beaux yeux.

Souvent, sans rien attendre de moi, il folâtrait devant ma fenêtre avec une grâce charmante, et semblait mettre son bonheur à ce que je le visse. Une fois un secon

« PrécédentContinuer »