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Le chef des sbires nous mit les menottes; nous le suivîmes accompagnés du chef des autres sbires. En descendant le magnifique escalier des géans, nous nous rappelâmes le doge Marino Faliéro, décapité en ce lieu-même.

Au milieu de la Piazetta était l'échafaud sur lequel nous devions monter.

De l'escalier des géans à cet échafaud étaient rangées deux files de soldats autrichiens; il fallut passer entre les deux.

Deboutsur l'échafaud, nous regardâmes autour de nous, et sur cette immense population nous vîmes planer la terreur ; on apercevait dans l'éloignement d'autres soldats se former en pelotons sur divers points. On nous dit que là étaient les canons avec les mèches allumées.

Le capitaine autrichien nous cria de nous tourner du côté du palais et de lever les yeux en haut. Nous obéîmes, et ce fut pour voir, sous les arcades de la terrasse, un homme du palais qui tenait un papier à la main : c'était la sentence. Il la lut à haute voix.

Il se fit un profond silence jusqu'à cette expression condamnés à mort; alors s'éleva un murmure général; il y eut un nouveau silence pour écouter le reste de la lecture, et un nouveau murmure accueillit ces mots condamnés au carcere duro, Maroncelli pour vingt ans, et Pellico pour quinze.

On nous fit descendre, remonter l'escalier, et retourner à la chambre d'où l'on nous avait tirés, enfin on nous ôta les menottes et nous fûmes ramenés à Saint-Michel.

Nous partîmes dans la nuit du 25 an 26 mars, et nous arrivâmes le 12 avril au lieu de notre destination.

Près des murs de Bruner, à l'occident,

s'élève une hauteur sur laquelle est située cette fatale forteresse du Spielberg. Environ trois cents malheureux, voleurs ou assassins, pour la plupart, y sont détenus, condamnés les uns au carcere duro, les autres au carcere durissimo.

Subir le carcere duro, c'est être obligé au travail, porter une chaîne aux pieds, dormir sur des planches nues, et vivre de la plus pauvre nourriture qu'on puisse imaginer.

D'abord on nous occupa à faire de la charpie, ensuite on nous employa à fen

dre du bois; en dernier lieu on nous fit tricoter des bas avec l'obligation d'en livrer deux paires par semaine.

Nous autres prisonniers d'état nous étions condamnés au carcere duro.

Subir le carcere durissimo, c'est être enchaîné d'une façon plus horrible encore, avec un cercle de fer autour des reins, et la chaîne fixée à la muraille, de telle sorte qu'on a grand'peine à se traîner autour de la planche qui sert de lit ; la nourriture est la même, quoique la loi dise du pain et de l'eau.

FIN DE LA MORALE.

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POÉSIE.

LES PLAISIRS DE LA SOLITUDE.

Tircis, il faut penser à faire la retraite ;
La course de nos jours est plus qu'à demi faite;
L'âge insensiblement nous conduit à la mort.
Nous avons assez vu sur la mer de ce monde
Errer au gré des flots notre nef vagabonde ;
Il est temps de jouir des délices du port.

Le bien de la fortune est un bien périssable;
Quand on bâtit sur elle on bâtit sur le sable :
Plus on est élevé plus on court de dangers :
Les grands pins sont en butte aux coups de la tempête,

Et la rage des vents brise plutôt le faîte
Des maisons de nos rois que les toits des bergers.

Et bien heureux celui qui peut de sa mémoire
Effacer pour jamais ce vain espoir de gloire,
Dont l'inutile soin traverse nos plaisirs,
Et qui, loin, retiré de la foule importune,
Vivant dans sa maison content de sa fortune
A selon son pouvoir mesuré ses désirs!

Il laboure le champ que laboura son père,
Il ne s'informe point de ce qu'on délibère

Dans ces graves conseils d'affaires accablés ;
Il voit sans intérêt la mer grosse d'orages
Et n'observe des vents les sinistres présages
Que pour le soin qu'il a du salut de ses blés...

Roi de ses passions il a ce qu'il désire;
Son fertile domaine est son petit empire;

Sa cabane est son Louvre et son Fontainebleau,
Ses champs et ses jardins sont autant de provinces;
Et, sans porter envie à la pompe des princes,
Se contente chez lui de les voir en tableau.

Il voit de toutes parts combler d'heur sa famille,
La javelle à plein poing tomber dans sa faucille,
Le vendangeur ployé sous le faix des paniers ;
Il semble qu'à l'envie les fertiles montagnes,
Les humides vallons, et les grasses campagnes
S'efforcent à remplir sa cave et ses greniers.

Il suit aucune fois un cerf par les foulées,
Dans ses vieilles forêts des peuples reculées
Et qui même du jour ignorent le flambeau ;
Aucune fois des chiens il suit les voix confuses
Et voit enfin le lièvre, après toutes ses ruses,
Du lieu de sa naissance en faire le tombeau.

Il soupire en repos l'ennui de sa vieillesse
Dans ce même foyer où sa tendre jeunesse
A vu dans le berceau ses bras emmaillottés;
Il tient par les moissons registre des années,
Et voit de temps en temps leurs courses enchaînées
Vieillir avecque lui les bois qu'il a plantés.

Il ne va point fouiller aux terres inconnues,
A la merci des vents et des ondes chenues,
Ce que nature avait caché de ses trésors,
Et ne recherche point pour honorer sa vie
De plus illustre mort ni plus digne d'envie
Que de mourir au lit où ses pères sont morts.

Il contemple du sort les insolentes rages
Des vents de la faveur acteurs de nos orages,
Allumer des mutins les desseins factieux :

Et voit en un clin d'œil, par un contraire échange

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