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liante pour le roseau; elle tient de l'insulte : le plus petit des oiseaux est pour vous un poids qui vous incommode.

Le moindre vent, qui d'aventure

Fait rider la face de l'eau,

Vous oblige à baisser la tête.

que

C'est la même pensée présentée sous une autre image. Le chêne ne raisonne par des exemples; c'est la manière de raisonner la plus sensible, parce qu'elle frappe l'imagination en même temps que l'esprit. D'aventure est un terme un peu vieux, dont la naïveté est poétique. Rider la face de l'eau est une image juste et agréable. Vous oblige à baisser la téte; ces trois vers sont doux : il semble que le chêne s'abaisse à ce ton de bonté par pitié pour le roseau. Il va parler de lui-même en bien d'autres termes.

Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.

Quelle noblesse dans les images! quelle fierté dans les expressions et dans les tours! cependant que, terme noble et majestueux; au Caucase pareil, comparaison hyperbolique; non content d'arrêter les rayons du soleil; arréter marque une sorte d'empire et de supériorité; sur qui? sur le soleil même; brave l'effort, braver ne șignifie pas seulement résister, mais résister avec insolence. Ce n'est point à la tempête seulement qu'il résiste, c'est à son effort, le singulier est ici plus poétique que le pluriel. Ces trois vers, dont l'harmonie est forte, pleine, les idées grandes, nobles, figurent avec les trois précédens, dont l'harmonie est douce de même que les idées : observez encore front et arrêter, à l'hémistiche.

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphir.

T

Le chêne revient à son parallèle, si flatteur pour son amour-propre; et pour le rendre plus sensible, il le réduit en deux mots; tout vous est réellement aquilon; et à moi, tout me semble zéphir. Le contraste est observé partout, jusque dans l'harmonie: tout me semble zéphir, est beaucoup plus doux que tout vous est aquilon; mais quelle énergie dans la briéveté ! Continuons.

Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage

Dont je couvre le voisinage,

Vous n'auriez point tant à souffrir;

Je vous défendrais de l'orage.

L'orgueil du chêne était content; peut-être même qu'il avait un peu rougi. Il reprend son premier ton de compassion, pour engager adroitement le roseau à consentir aux louanges qu'il s'est données, et à flatter encore son amour-propre par un aveu plaintif de sa faiblesse ; mais, malgré ce ton de compassion, il sait toujours mêler dans

son discours les expressions du ton avantageux. A l'abri est vain et orgueilleux dans la bouche du chêne, du feuillage dont je couvre le voisinage: de mon feuillage eût été trop succinct et trop simple; mais dont je couvre, cela étend l'idée et fait image. Le voisinage, terme juste, mais qui n'est pas sans enflure. Je vous défendrais de l'orage; je...qu'il y a de plaisir à se donner soi-même pour quelqu'un qui protége.

Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des royaumes du vent.

Ce tour est poétique, et même de la haute poésie, ce qui ne messied pas dans la bouche du chêne.

La nature envers vous me semble bien injuste.

C'est la conclusion que le chêne prononça sans doute en appuyant, et avec une pitié désobligeante, quoique réelle et véritable.

On attend avec impatience la réponse du roseau. Si on pouvait la lui inspirer, on ne manquerait point de l'assaisonner, La Fontaine, qui a su faire naître l'intérêt, ne sera point embarrassé pour le satisfaire. La réponse du roseau sera polie, mais sèche, et on n'en sera point surpris.

Votre compassion, lui répondit l'arbuste,

Part d'un bon naturel.

C'est précisément une contre vérité. Le roseau n'a pas voulu lui dire qu'elle partait de l'orgueil; mais seulement il lui fait sentir qu'il en avait examiné et vu le principe: c'était au chêne à comprendre ce discours. Tout ce qui suit est sec et menaçant :

Mais quittez ce souci,

Les vents me sont moins qu'à vous redoutables;

Je plie et ne romps pas; vous avez jusqu'ici,

Contre leurs coups épouvantables,

Résisté sans courber le dos;

Mais attendons la fin...

Le propos n'est pas long, mais il est énergique.

Les acteurs n'ont plus rien à se dire; c'est au poète à achever le récit. Il prend le ton de la matière, il peint un orage furieux.

Comme il disait ces mots,

Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfans

Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs.

Le vent part de l'extrémité dè l'horizon; sa rapidité s'augmente dans la course : il y a image. Au lieu de dire un vent du Nord, on le personnifie, et la périphrase donne de la noblesse à l'idée et de l'espace pour y placer l'harmonie.

L'arbre tient bon, le Roseau plie.

Voilà nos deux acteurs en situation parallèle.

Le vent redouble ses efforts,

Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel était voisine

Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.

Ces vers sont beaux, nobles; l'antithèse et l'hyperbole qui règnent dans les deux derniers les rendent sublimes.

Le poète, comme on le voit, a suivi les idées que le sujet présente naturellement : c'est ce qui fait la vérité de son récit. Mais il a su revêtir le fonds de tous les ornemens qui pouvaient lui convenir : c'est ce qui en fait la beauté. Ses pensées, ses expressions, ses tours, forment un accord parfait avec le sujet. Toutes les parties en sont assorties et liées, au dedans par la suite et l'ordre des pensées, au dehors par la forme du style, et nous présentent par ce moyen un tableau de l'art où tout est grâce et vérité. Joignez à cela le sentiment qui règne partout, qui anime tout d'un bout à l'autre. Cette pièce a tout ce qu'on peut désirer pour une fable parfaite.

LA FONTAINE, DÉVELOPPÉ PAR le Batteux.

LE GLOUTON

A son souper, un glouton
Commande que l'on apprête,
Pour lui seul, un esturgeon
Sans en laisser que la tête.
Il soupe: il crève. On y court,
On lui donne maints clystères,
On lui dit, pour faire court,
Qu'il mette ordre à ses affaires.
Mes amis, dit le goulu,

M'y voilà tout résolu ;

Et puisqu'i faut que je meure,
Sans faire tant de façon,

Qu'on m'apporte tout à l'heure

Le reste de mon poisson.

LA FONTAINE.

LE PAYSAN QUI AVAIT OFFENSÉ SON SEIGNEUR.

Un paysan son seigneur offensa:
L'histoire dit que c'était Bagatelle,
Et toutefois ce seigneur le tança

Fort rudement. Ce n'est chose nouvelle.
<«< Coquin, dit-il, tu mérites la hart;
Fais ton calcul d'y venir tôt ou tard;
C'est une fin à tes pareils commune.
Mais je suis bon; et de trois peines l'une,
Tu peux choisir : ou de manger trente aulx,
J'entends sans boire et sans prendre repos;
Ou de souffrir trente bons coups de gaules
Bien appliqués sur tes larges épaules;
Ou de payer sur-le-champ cent écus. »

Le paysan consultant là-dessus :

Trente aulx sans boire ! ha! dit-il en lui même,
Je n'appris onc à les manger ainsi.

De recevoir les trente coups aussi
Je ne le puis sans un péril extrême.
Les cent écus, c'est le pire de tous.
Incertain donc il se mit à genoux,

Et s'écria: «< Pour Dieu, miséricorde! >>
Son seigneur dit : « Qu'on apporte une corde!
Quoi le galant m'ose répondre encor! >>
Le paysan de peur qu'on ne le pende,

Fait choix de l'ail, et le seigneur commande
Que l'on en cueille et surtout du plus fort.
Un après un, lui-même il fait le compte :
Puis, quand il voit que son calcul se monte
A la trentaine, il les met dans un plat;
Et cela fait, le malheureux pied-plat
Prend le plus gros, en pitié le regarde
Mange, et rechigne, ainsi que fait un chat
Dont les morceaux sont frottés de moutarde.

Il n'oserait de la langue y toucher.

Son seigneur rit, et surtout il prend garde
Que le galant n'avale sans mâcher.

Le premier passe, ainsi fait le deuxième :

Au tiers il dit: «< que le diable y ait
part. »
Bref, il en fut à grand' peine au douzième
Que s'écriant: « Haro! la gorge m'ard!
Tôt, tot, dit-il, que l'on m'apporte à boire! >>
Son seigneur dit : «Ah !ah! sire Grégoire,

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Vous avez soif ! je vois qu'en vos repas,
Vous humectez volontiers le lampas.

Or buvez donc, et buvez à votre aise;
Bon prou vous fasse ! hola, du vin, hola!
Mais mon ami, qu'il ne vous en déplaise,
Il vous faudra choisir après cela,
Des cent écus ou de la bastonnade
Pous suppléer au défaut de l'aillade.

-Qu'il plaise donc, dit l'autre, à vos bontés,
Que les aulx soient sur les coups précomptés;
Car pour l'argent, par trop grosse est la somme :
Où la trouver, moi qui suis un pauvre homme?

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Pour prendre cœur, le vassal en sa panse
Loge un long trait, se nourrit le dedans,
Puis souffre un coup avec grande constance:
Au deux il dit : « donnez-moi patience,
Mon doux Jésus, en tous ces accidens.
Le tiers est rude, il en grince les dents,
Se courbe tout et saute de sa place.
Au quart il fait une horrible grimace;
Au cinq, un cri, Mais il n'est pas au bout;
Et c'est grand cas s'il peut digérer tout ;
On ne vit onc si cruelle aventure.
Deux forts gaillards ont chacun un bâton
Qu'ils font tomber par poids et par mesure,
En observant la cadence et le ton.

Le malheureux n'a rien qu'une chanson:

-«< Grâce! dit-il. Mais, las! point de nouvelle;
Car le seigneur fait frapper de plus belle,
Juge des coups et tient sa gravité,
Disant toujours qu'il a trop de bonté,
Le pauvre diable enfin craint pour sa vie.
Après vingt coups, d'un ton piteux il crie:
« Pour Dieu, cessez ! hélas, je n'en puis plus! »
Son seigneur dit: Payez donc cent écus,
Net et comptant: je sais qu'à la desserre
Vous êtes dur, j'en suis faché pour vous.
Si tout est prêt: votre compère Pierre
Vous en peut bien assister entre nous.
Mais pour si peu vous ne vous feriez tondre. »
Le malheureux, n'osant presque répondre,
Court au magot, et dit : « c'est tout mon fait. »
On examine; on prend un trébuchet.

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