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cha Achmet, après une carrière glorieuse, | Bey. Cet homme gouvernait sa maison et longue et agitée. Il était beau, grand, bien fait, avait l'air noble et soldat. Il lui fut aisé avec cela d'être un beau Turc, et surtout avec cet habillement et une grande barbe blanche. Il avait auparavant les cheveux en rond, comme ensuite Charles XII, qui les porta peut-être d'après son portrait, car ce roi était plus jeune que lui.

Un des plaisirs du comte de Bonneval était, lorsqu'il était sûr de ne voir personne, de s'habiller à la française. Il se Jonnait la peine de mettre des souliers et des bas blancs; ce qui faisait un singulier contraste avec sa tête rasée et son menton garni.

Le comte de Ludoff, envoyé extraordinaire des Deux-Siciles après le chevalier de Maya, qui a connu long-temps à Constantinople le comte de Bonneval, dit qu'il sortait peu de chez lui, quoiqu'il allât quelquefois dîner chez les ambassadeurs de Hollande et d'Angleterre. Les ministres de Suède et de Sicile mangeaient chez lui très-souvent. On n'y voyait point de viande défendue par l'Alcoran; mais, quoique servi par des domestiques turcs, il ne se génait pas sur le vin et les liqueurs. Sa table était toujours à la française, et il avait un cuisinier de sa nation; c'est où il jouissait davantage, et il y entonnait souvent sa chanson favorite:

Jouissons du présent,
L'avenir est au fou, etc.

lui en imposait; lorsqu'on avait à se défier de quelque indiscrétion de la part du comte de Bonneval, qui y était sujet, surtout en le prenant par la flatterie, on donnait le mot à Soliman-Bey, qui ne le perdait pas de vue. Ce dernier s'étant marié a laissé des enfans, dont l'aîné a succédé, après son père, à la charge du comte de Bonneval, mais en a été privé depuis.

Tels sont les faits qu'on a pu rassembler sur la vie du comte de Bonneval. On l'a souvent sollicité d'écrire son histoire, mais il s'y est refusé constamment.

Le maréchal, prince DE LIGNE,

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S'il m'était permis de donner mon avis, s'écria Paul, je conseillerais de voyager par eau, et d'en suivre le courant le plus promptement possible. Trouvezmoi un bois de cotonniers, et en vingtquatre heures, je vous aurai construit un canot en état de nous porter tous, à l'ex

En public il observait le ramazan, mais il se dédommageait en particulier avec des biscuits et des liqueurs qu'il avait sous clef dans une armoire. Hors de chez lui, il mangeait de tout. Sa maison était à Pera, dans le quartier des ministres étran-ception du baudet. Hélène que voici ne.

gers.

Il avait adopté un Italien, son ancien valet de chambre, qui avait pris le turban avant lui, et se nommait Soliman

manque pas d'agilité; mais elle ne gagnerait pas un prix à la course, et il serait plus commode de faire six à sept cents milles sur une barque que de courir dans

les prairies comme une troupe d'élans;
d'ailleurs, l'eau ne laisse aucune trace.

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Je n'en jurerais point, répondit le chasseur; j'ai souvent pensé que les yeux d'une peau rouge découvriraient des traces dans l'air.

- Voyez, Middleton, s'écria Inez avec la vivacité de la jeunesse, cédant à un élan de plaisir qui lui faisait oublier un instant sa situation, que ce ciel est beau ! certainement, il nous promet des temps plus heureux!

- Il est radieux, en effet, répondit son mari; cette bande, d'un rouge vif, a quelque chose de céleste, et voici un cramoisi encore plus brillant. J'ai rarement vu le soleil se lever revêtu de plus riches

couleurs.

Le soleil se lever! répéta lentement le vieillard en redressant la tête d'un air inquiet, tandis qu'il avait les yeux fixés sur les teintes variables et certainement belles qui se peignaient sous la voûte des cieux. Le soleil se lever ! je n'aime point à voir le soleil se lever de cette manière. Hélas! les coquins nous ont entourés d'une manière terrible. La prairie est en feu.

- Que le Dieu du ciel nous protége, s'écria Middleton, en serrant Inez contre son cœur, frappé soudain de l'idée du danger imminent qui les menaçait. Il n'y a pas de temps à perdre, vieillard; chaque instant est un jour; fuyons!

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sion d'inquiétude qui n'avait rien d'équivoque; j'avoue que si ce lit d'herbes sèches était en flamme, une abeille aurait besoin de voler plus haut que de coutume pour empêcher ses aîles d'être brûlées; c'est pourquoi, vieux chasseur, je suis de l'avis du capitaine, et je dis à cheval et partons.

Vous avez tort, reprit le vieillard, vous avez tort. L'homme n'est pas une brute; il ne doit pas s'en rapporterà l'instinct, et puiser ses connaissances dans l'odeur que l'air apporte à ses narines, ou le son qu'il fait entendre à ses oreilles. II faut qu'il voie, qu'il raisonne, et ensuite qu'il se détermine. Suivez-moi sur cette élévation qui est à notre gauche, et de là nous pourrons faire notre reconnaissance.

Il fit un geste de la main avec un air d'autorité, et, sans parler davantage, se rendit à l'endroit qu'il venait d'indiquer, suivi de tous ses compagnons alarmés. Un œil moins exercé que celui du chasseur aurait eu peine à découvrir cette petite hauteur qui semblait à peine s'élever audessus du reste de la prairie; cependant, quand ils y furent arrivés, l'herbe desséchée annonçait qu'elle manquait de cette humidité qui nourrissait encore celle qui couvrait les autres parties de la plaine, et expliquait comment il avait pu deviner que le terrain qu'il ne pouvait voir était plus élevé en cet endroit. Quelques instans furent perdus à briser les tiges les plus hautes des grandes herbes qui les entouraient et qui s'élevaient même au-dessus de la tête de Paul et de Middleton, malgré l'avantage de leur position; ils eurent alors le moyen de pouvoir contempler la mer de feu qui les environnait.

Cette vue effrayante ne pouvait qu'ajouter à la terreur de ceux qui couraient un danger si imminent. Quoique le jour commencât à poindre, le firmament continuait à se charger de teintes plus vives et plus foncées, comme si l'élément im

:

l'épreuve.

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Voilà de belles paroles, mais quels effets en résulteront? Voici un chasseur d'abeilles qui peut vous donner une leçon de sagesse en pareille occasion.

placable voulait défier le dieu du jour | fermeté, et nous mettrons leur courage à par une rivalité impie. On voyait dans le lointain s'élever çà et là de brillantes colonnes de flamme, semblables aux aurores boréales du nord, mais plus redoutables et plus menaçantes dans leurs couleurs et leurs variétés. L'inquiétude peinte sur les traits austères du chasseur parut augmenter sensiblement, tandis qu'il commentait à loisir ces preuves d'une conflagration qui s'étendait comme une ceinture, qui forma enfin un vaste cercle autour d'eux.

et

Secouant la tête, et fixant de nouveau ses regards sur le point où le danger paraissait le plus voisin et faisait des progrès plus rapides, le chasseur dit : Nous nous sommes trompés en croyant que nous avions fait perdre notre piste à ces sauvages; voici une preuve suffisante, non-seulement qu'ils savent où nous sommes, mais qu'ils ont dessein de nous enfumer comme si nous étions des bêtes de proie. Voyez! ils ont allumé le feu de tous les côtés en même temps, et nous sommes entourés par les flammes aussi complétement qu'une île l'est par les eaux de la mer.

Montons à cheval et fuyons, s'écria Middleton. La vie ne vaut-elle pas qu'on fasse quelques efforts pour la conserver? - Et par où voulez-vous fuir? les chevaux des sauvages sont-ils des Salamandres pour qu'ils puissent traverser les flammes sans qu'elles les brûlent? Croyez-vous que le Seigneur manifestera sa puissance en votre faveur, comme il le fit autrefois, et vous tirera sans danger de la fournaise ardente que vous voyez se réfléchir sur le firmament? d'ailleurs, les Sioux (sauvages) nous attendent avec leurs flèches et leurs lances; ils sont tout autour de nous, ou je ne connais pas leurs inventions meurtrières.

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- Quant à cela, vieux chasseur, dit Paul en s'étendant comme un dogue qui veut déployer ses forces, je me range du côté du capitaine. Mon avis bien décidé est de suivre le feu, quand la fuite me devrait faire tomber dans un wigwam de sauvages. Hélène que voici...

Et à quoi bon votre courage, à quoi vous servira-t-il, quand il faut vaincre l'élément du Seigneur aussi bien que ses créatures? Regardez autour de vous, mes amis; la guirlande de fumée qui s'élève de toutes parts fait assez voir qu'il n'y a pas moyen d'échapper d'ici sans traverser une ceinture de feu. Examinez vous-même, examinez bien, et si vous découvrez un passage, je vous promets de vous suivre.

L'examen que ses compagnons firent avec autant d'attention que de promptitude servit à les assurer de leur situation désespérée plutôt qu'a apaiser leurs craintes; d'immenses colonnes de fumée s'élevaient de la plaine, et s'accumulaient en masses sombres autour de l'horizon. La lueur rouge qui brillait sur leurs replis énormes, tantôt éclairait leur volume de tout l'éclat de sa conflagration, tantôt en illuminait un point particulier suivant la direction que prenait la flamme, laissant envelopper d'épaisses ténèbres tout ce qui était endessous, et proclamant le caractère et l'urgence du péril.

Ce spectacle est terrible, s'écria Middleton, en serrant dans ses bras Inez toute tremblante, dans un pareil moment! d'une telle manière !

Les portes du ciel sont ouvertes à tous ceux qui croient dans la sincérité de leur cœur, dit Inez cherchant une consolation dans la religion.

Cette résignation me fera perdre l'esprit, s'écria Middleton; mais nous sommes des hommes, et nous ne renoncerons pas à la vie sans avoir fait des efforts pour la conserver: Eh bien, mon brave et courageux ami, monterons-nous à cheval et essaierons-nous de traverser les flammes, ou resterons-nous ici pour voir périr, de cette mort horrible, celles que nous aimons, sans avoir essayé de les sauver.

Je suis d'avis d'essaimer, et de nous envoler avant que la ruche soit trop chaude pour que nous puissions y rester, répondit le chasseur d'abeilles à qui l'on comprend bien que s'adressait Middleton presque au désespoir. Allons, vieux chasseur, continua-t-il, vous devez convenir que ce n'est pas là le moyen de sortir du danger. Si nous restons plus long-temps, nous serons comme les abeilles qu'on voit étendues autour de la paille brûlée dont on s'est servi pour enfumer leurs ruches afin d'en tirer le miel. Vous pouvez déjà entendre le bruit des flammes, et je sais par expérience que quand l'herbe des prairies est une fois bien allumée, il faut avoir de bonnes jambes pour courir plus vite que le feu.

- Croyez-vous, dit le vieillard, en montrant avec dérision les grandes herbes desséchées qui les entouraient, que le pied d'un homme puisse courir plus vite que le feu sur une telle arène ? si je savais seulement de quel côté sont ces mécréans?

- Qu'en dites-vous, ami docteur? s'écria Paul hors de lui, s'adressant au naturaliste avec cette sorte de désespoir qui fait que le plus fort cherche le secours du plus faible, quand le pouvoir humain est arrêté par la main d'un être plus puissant; qu'avez-vous à dire? n'avez-vous pas un avis à donner dans une occasion où il y va de la vie et de la mort?

pour résoudre les difficultés de quelque problème scientifique. Distrait par ses réflexions par la question de Paul, il se tourna vers son autre compagnon, le chasseur, dont la physionomie était également calme, quoique son esprit fût différemment occupé.

- Vénérable chasseur, lui dit-il, vous avez sans doute souvent vu de semblables expériences prismatiques?

Il fut brusquement interrompu par Paul, qui lui fit tomber les tablettes des mains avec une violence qui prouvait que la confusion qui régnait dans son esprit l'avait emporté sur son égalité d'ame ordinaire. Avant que le docteur eût le temps de se récrier, le vieillard qui, pendant tout ce temps, était resté immobile, comme un homme qui ne sait trop ce qu'il doit faire, mais qui a l'air plus embarrassé qu'alarmé, prit tout à coup un air décidé, comme s'il n'eût plus douté du parti qu'il devait pren

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Vos souvenirs viennent trop tard, misérable vieillard, s'écria Middleton; les flammes ne sont plus qu'à un quart de mille de nous, et le vent les fait avancer avec une rapidité effrayante!

Bah! les flammes! je me soucie peu des flammes. Si je savais seulement comment déjouer l'astuce des sauvages, aussi bien que je sais comment nous préserver de l'incendie de la prairie, il ne nous resterait qu'à rendre grâce au ciel de notre délivrance. Appelez-vous cela un incendie? si vous aviez vu ce que j'ai vu dans les provinces orientales, où d'énormes montagnes étaient comme la fournaise d'un forgeron, vous sauriez ce que c'est que de

- Le naturaliste, les tablettes en mains, regardait ce spectacle terrible avec le même | craindre les flammes, et vous auriez appris sang-froid que si l'incendie çût été allumé à remercier le ciel d'y avoir échappé, Al

flammes fourchues, comme on voit la langue des animaux ruminans chercher la nourriture, comme pour en choisir les portions les plus savoureuses.

lons, mes amis, allons, il est remps d'agir | un instant on vit glisser dans la prairie des et de cesser de parler, car ces tourbillons de flamme arrivent véritablement vers nous comme un élan qui trotte. Arrachez ces herbes desséchées qui nous entourent, et dépouillez en la terre.

- Est-ce par ce moyen puéril que vous espérez priver le feu de ses victimes? s'é

cria Middleton.

Un léger sourire se peignit un instant sur les traits du vieillard, et il répondit avec gravité :

-Votre grand-père aurait dit que lorsque l'ennemi est en présence, le soldat n'a rien de mieux à faire que d'obéir.

Le capitaine sentit la justesse du reproche, et il imita sur-le-champ l'exemple de Paul, qui, obéissant aux ordres du chasseur, arrachait l'herbe sèche avec un courage qui tenait du désespoir. Hélène mit aussi la main à l'ouvrage, et Inez s'en occupa pareillement, quoique personne ne sût quel était le but et quel serait le résultat de ce travail. On manque rarement de courage quand on croit que la vie sera la récompense des efforts auxquels on se livre. Quelques instans suffirent pour dépouiller d'herbe un espace circulaire d'environ vingt pieds de diamètre. Le chasseur plaça les deux femmes à l'une des extrémités de ce cercle, et dit à Paul et à Middleton d'envelopper des couvertures qu'ils avaient leurs robes légères et inflammables. Dès que cette précaution eut été prise, le vieillard s'approcha de l'autre extrémité du cercle, où les hautes herbes les environnaient encore de dangers, et prenant une poignée de celles qui étaient le plus desséchées, il les plaça sur le bassinet de son fusil, y mit le feu en brûlant une amorce, les jeta tout embrasées au milieu des grandes herbes, et se retira près de ses compagnons pour attendre le résultat de

cette manœuvre,

L'élément dévorateur saisit avidement les alimens qui lui étaient présentés, et en

-Maintenant, dit le vieillard en levant un doigt et en riant silencieusement à sa manière, vous allez voir le feu combattre le feu. Ah! je me suis bien des fois brûlé un sentier, uniquement par paresse de me frayer un chemin à travers les hautes herbes.

Mais cet expédient ne nous sera-t-il pas funeste? s'écria Middleton avec surprise; au lieu d'éviter l'ennemi, ne l'amenez-vous pas plus près de nous?

- Avez-vous la peau si délicate? demanda le chasseur. Celle de votre grandpère était plus robuste. Mais attendez le résultat. Nous vivrons tous pour le voir. L'expérience du chasseur ne le trompait pas. A mesure que le feu gagnait de la force, il s'étendait en avant et des deux côtés, et mourait en arrière faute d'alimens. Tandis qu'il augmentait et que le bruit des flammes en annonçait la violence, il faisait disparaître toutes les herbes devant lui, et laissait le sol noir et fumant plus nu que si la faux y avait passé. La situation des fugitifs aurait pourtant encore été dangereuse si le cercle dans lequel ils se trouvaient ne se fût agrandi en avant, à mesure que les flammes approchaient d'eux en arrière. Mais en avançant à l'endroit où le chasseur avait mis le feu aux herbes, ils évitèrent les flammes; et au bout de quelques instans elles commencerent à reculer de tous côtés, les laissant enveloppés d'un nuage épais de fumée, mais parfaitement à l'abri du torrent de feu qui roulait tout autour d'eux.

Les spectateurs regardaient l'expédient bien simple employé par le chasseur, avec le même étonnement que les courtisans de Ferdinand virent, dit on, Christophe Colomb faire tenir son œuf sur le petit

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