Soumis enfin et plus tranquille, A pas lents il quitte ces lieux.
Deux mois sont écoulés à peine,
Il retourne vers le rocher.
<< Grands Dieux ! votre voix souveraine
Au trépas daigna m'arracher; Bientôt votre main secourable A mon cœur offrit un ami. J'abjure un murmure coupable; Sur mon destin j'ai trop gémi. Vous ouvrez un port dans l'orage; Souvent votre bras protecteur S'étend sur l'homme, et le malheur N'est pas son unique héritage. » Il se tait par les vents ployé, Faible, sur son frère appuyé, Un jeune pin frappe sa vue : Auprès il place une statue, Et la consacre à l'amitié. Deux ans après la fraîche aurore Sur le rocher le voit encore : Ses regards sont doux et sereins; Vers le ciel il lève ses mains : « Je t'adore, ô bonté suprême ! L'amitié, l'amour enchanteur Avaient commencé mon bonheur, Mais j'ai trouvé le bonheur même. Périssent les mots odieux Que prononça ma bouche impie! Oui, l'homme, dans sa courte vie, Peut encore égaler les Dieux. »
Il dit: sa piétés'empresse
De construire un temple en ces lieux;
Il en bannit avec sagesse
L'or et le marbre ambitieux,
Et les arts, enfans de la Grèce;
Mais à mes yeux encor plus familière, Plus près de moi, plus facile à saisir, La vérité, dans les jeux de Molière, De ses leçons sait me faire un plaisir. Enseigne-nous où tu trouvas la rime, Lui dit Boileau, sans doute en badinant; Est-ce donc là ce que ton art sublime, Divin Molière, a de plus étonnant? Enseigne-nous plutôt quel microscope, Depuis Agnès jusqu'au fier Misantrope, Te dévoila les plis du cœur humain; Quel Dieu remit ses crayons dans ta main ? Dans tes écrits, quelle séve féconde, Quelle chaleur, quelle ame tu répands!, La cour, la ville, et le peuple et le monde, Tu fais de tout une étude profonde, Et nous rions toujours à nos dépens. Le jaloux rit d'un sot qui lui ressemble : Le médecin se moque de Purgon; L'avare pleure et sourit tout ensemble D'avoir payé pour entendre Harpagon : Le seul Tartufe a peu ri, ce me semble, Moi, qui n'ai point le masque d'un dévot, Quand la vapeur d'une bile épaissie S'élève autour de mon ame obscurcie, Quand de l'ennui j'ai bu le froid pavot, Ou que la sombre et vague inquiétude Trouble mes sens fatigués de l'étude; J'appelle à moi Sottenville et Dandin, Le bon Sosie, et Nicolle et Jourdain ; Le rire alors dans mes yeux étincelle, A pleins canaux mon sang coule soudain; De mes esprits le feu se renouvelle,
e rois renaître, et ma sérénité En un jour clair me peint l'humanité. Tous ces travers qui m'excitaient la bile, Ne sont pour moi qu'un spectacle amusant; Moi-même enfin je me trouve plaisant D'avoir tranché du censeur difficile.
Mais de Diane au ciel l'astre vient de paraître, Qu'il luit paisiblement sur ce séjour champêtre! Éloigne tes pavots, Morphée et laisse-moi Contempler ce bel astre, aussi calme que toi. Cette voûte des cieux mélancolique et pure, Ce demi-jour si doux levé sur la nature, Ces sphères qui, roulant dans l'espace des cieux, Semblent y ralentir leur cours silencieux; Du disque de Phœbé la lumière argentée, En rayons tremblotans sous ces eaux répétées, Ou qui jette en ces bois, à travers les rameaux, Une clarté douteuse et des jours inégaux; Des différens objets la couleur affaiblie: Tout repose la vue, et l'ame recueillie. Reine des nuits, l'amant devant toi vient rêver, Le sage réfléchir, le savant observer. Il tarde au voyageur, dans une nuit obscure, Que ton pâle flambeau se lève et le rassure : Le ciel d'où tu me suis est le sacré vallon, Et je sens que Diane est la sœur d'Apollon.
Tout son cortége, en une morne attente, De ce combat inquiet spectateur, Allume encor sa haine et sa valeur. Triomphe-t-il, Dieu! quel transport éclate! Il fait voler son casque d'écarlate; D'un rouge obscur son œil s'est coloré; Son bec sanglant proclame la victoire. Je vois s'enfler son plumage doré, Et chaque plume a tressailli de gloire. Est-il vaincu; muet, abandonné, Objet de haine, il court dans la retraite, Loin du sérail, en sultan détrôné, Pleurer sa honte et cacher sa défaite.
Connaissez nos désirs, vous qui nous voulez plaire, Auteurs qui prétendez retenir le parterre Jusqu'au dernier salut que lui font les acteurs, De chacun avec soin, retracez-nous les mœurs. Peignez de leurs couleurs la vieillesse et l'enfance. Cet enfant qui déjà s'exprime avec aisance, Et dont le pied plus sûr marque un peu mieux ses pas, Cherche avec ses pareils de folâtres ébats; Sa colère naît vite, elle est bientôt passée, Et chaque instant qui naît voit changer sa pensée. Le jeune homme, affranchi d'un censeur ennuyeux, Aime le champ de Mars, les coursiers et les jeux, Est vain, facile au mal, rétif à la censure, Imprévoyant, léger, prodigue sans mesure. Changeant dans l'âge mûr de soins et de désirs, L'homme fuit l'imprudence et craint les repentirs; Il cherche les honneurs, les amis, la richesse. Des défauts importuns assiégent la vieillesse ; Elle désire, et n'ose, et ne sait plus jouir: Difficile, grondeur, ennemi du plaisir, Lent dans tout ce qu'il fait, le vieillard se tourmente, Gourmande avec chagrin la jeunesse imprudente; Et ne sachant jamais que vanter son printemps, N'ose sur l'avenir lever des yeux mourans. Ainsi fuit loin de nous, aux jours de notre automne, Cette foule de biens que le printemps nous donne;
Mais surtout n'allez pas peindre indifféremment Le jeune homme en vieillard, le vieillard en enfant. Que le ton de l'acteur à son âge convienne.
Si vous avez goûté tous les biens des humains, Si vous les connaissez, le choix est dans vos mains : Bornez-vous aux plus vrais, et laissez les chimères Dont le repentir suit les lueurs passagères. Quel fut votre bonheur? à présent sans désirs, Vous avez, dites-vous, connu tous les plaisirs. Hé quoi! n'en est-il point au-dessus de l'ivresse, Où le monde a plongé notre aveugle jeunesse? Ce tourbillon brillant de folles passions, Cette scène d'erreur, d'excès, d'illusions, Du bonheur des mortels bornent-ils donc la sphère? La raison à nos vœux offre une autre carrière. Croyez-moi, cher ami, nous n'avons pas vécu. Employer ses talens, son temps et sa vertu, Servir au bien public, illustrer sa patrie, Penser enfin: c'est là que commence la vie : Voilà les vrais plaisirs dignes de tous nos vœux, La volupté par qui l'honnête homme est heureux : Notre ame pour ces biens est toute neuve encore.
Effroyable ascendant d'un pouvoir ennemi! J'ai donc assassiné ma mère et mon ami! Ciel exterminateur, anéantis mon être, Anéantis le jour, le lieu qui m'a vu naître..... Mais quel vide effrayant se forme sous mes pas!... Grâces au ciel ! je vois les gouffres du trépas.... Dans leur profonde nuit courons cacher mon crime.... Mais quel spectre se meut au fond de cet abîme.... C'est ma mère, grands dieux...! fuyons... mais la voici... Egiste l'accompagne, et toi, Pylade, aussi? Comme eux tu me poursuis! toi, mon Dieu tutélaire, Tu sers de mes bourreaux l'implacable colère!
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