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SCENE

V.

MATHAN, ATHALIE, ABNER,

Suite d' Athalie.

MATHAN.

GRANDE

RANDE Reine, eft-ce ici votre place? Quel trouble vous agite, & quel effroi vous glace? Parmi vos ennemis que venez-vous chercher ? De ce Temple profane osez-vous approcher ? Avez-vous dépouillé cette haine si vive?...

ATHALIE.

Prêtez-moi l'un & l'autre une oreille attentive.
Je ne veux point ici rappeller le passé,

Ni vous rendre raison du sang que j'ai versé.
Ce que j'ai fait, Abner, j'ai cru le devoir faire.
Je ne prends point pour Juge un peuple téméraire.
Quoique son infolence ait osé publier,
Le Ciel même a pris soin de me justifier.
Sur d'éclatans succès ma puissance établie,
A fait jusqu'aux deux mers respecter Athalie.
Par moi Jérufalem goûte un calme profond.
Le Jourdain ne voit plus l'Arabe vagabond,
Ni l'altier Philistin, par d'éternels ravages,
Comme au tems de vos Rois désoler ses rivages.
Le Syrien me traite & de Reine & de fœur.
Enfin de ma maison le perfide oppresseur,

Qui devoit jusqu'à moi pousser sa barbarie,
Jéhu, le fier Jéhu tremble dans Samarie,
De toutes parts pressé par un puissant voifin,
Que j'ai fù foulever contre cet afsassin,

Il me laisse en ces lieux fouveraine maîtresse.
Je jouissois en paix du fruit de ma sagesse.
Mais un trouble importun vient depuis quelques jours
De mes prospérités interrompre le cours.
Un fonge (me devrois-je inquiéter d'un fonge?)
Entretient dans mon cœur un chagrin qui le ronge.
Je l'évite par-tout, par-tout il me poursuit.
C'étoit pendant l'horreur d'une profonde nuit.
Ma mère Jézabel devant moi s'est montrée,
Comme au jour de fa mort pompeusement parée.
Ses malheurs n'avoient point abattu sa fierté,
Même elle avoit encor cet éclat emprunté,
Dont elle eut soin de peindre & d'orner son visage,,
Pour réparer des ans l'irréparable outrage.
Tremble, m'a-t-elle dit, fille digne de moi.
Le cruel Dieu des Juifs l'emporte aussi fur toi.
Je te plains de tomber dans ses mains redoutables,
Ma fille. En achevant ces mots épouvantables,
Son ombre vers mon lit a paru se baisser;
Et moi, je lui tendois les mains pour l'embrasser.
Mais je n'ai plus trouvé qu'un horrible mélange
D'os & de chair meurtris, & traînés dans la fange;
Des lambeaux pleins de fang & des membres affreux,
Que des chiens dévorans se disputoient entre eux.

Grand Dieu!

ABNER.

ATHALIE.

Dans ce désordre à mes yeux se présente

Un jeune enfant couvert d'une robe éclatante,
Tels qu'on voit des Hébreux les Prêtres revêtus.
Sa vue a ranimé mes esprits abattus.
Mais, lorsque revenant de mon trouble funeste,
J'admirois sa douceur, fon air noble & modefte,
J'ai fenti tout-à-coup un homicide acier,
Que le traître en mon sein a plongé tout entier.
De tant d'objets divers le bisarre assemblage
Peut-être du hafard vous paroît un ouvrage.
Moi-même, quelque tems honteuse de ma peur,
Je l'ai pris pour l'effet d'une sombre vapeur.
Mais de ce fouvenir mon ame possédée,
A deux fois, en dormant, revu la même idée.
Deux fois mes triftes yeux se sont vus retracer
Ce même enfant toujours tout prêt à me percer.
Lasse enfin des horreurs dont j'étois poursuivie,
J'allois prier Baal de veiller sur ma vie,
Et chercher du repos aux pieds de ses Autels.
Que ne peut la frayeur sur l'esprit des Mortels!
Dans le Temple des Juifs un instinct m'a poussée,
Et d'a ppaiser leur Dieu j'ai conçu la pensée.
J'ai cru que des présens calmeroient son courroux;
Que ce Dieu, quel qu'il soit, en deviendroit plus doux.
Pontife de Baal, excusez ma foiblesse.

J'entre. Le peuple fuit. Le sacrifice cesse.
Le Grand-Prêtre vers moi s'avance avec fureur.
Pendant qu'il me parloit, ô surprise! ô terreur!
J'ai vu ce même enfant dont je suis menacée,
Tel qu'un fonge effrayant l'a peint à ma pensée.
Je l'ai vu. Son même air, son même habit de lin,
Sa démarche, ses yeux, & tous ses traits enfin.
C'est lui-même. Il marchoit à côté du Grand-Prêtre.
Mais bientôt à ma vue on l'a fait disparoître.
Voilà quel trouble ici m'oblige à m'arrêter,
Et fur quoi j'ai voulu tous deux vous confulter.
Que présage, Mathan, ce prodige incroyable!

MATHAN.

Ce fonge & ce rapport, tout me semble effroyable.

ATHALIE.

Mais cet enfant fatal, Abner, vous l'avez vu.

Quel eft-il? De quel fang? Et de quelle Tribu?

ABNER.

Deux enfans à l'Autel prêtoient leur ministère.
L'un eft fils de Joad, Jofabet est sa mère.

L'autre m'est inconnu.

MATHAN.

Pourquoi délibérer?

De tous les deux, Madame, il se faut assurer. Vous savez pour Joad mes égards, mes mesures; Que je ne cherche point à venger mes injures; Que la seule équité règne en tous mes avis.

Mais lui-même, après tout, fût-ce son propre fils,

Voudroit-il un moment laisser vivre un coupable?

ABNER.

De quel crime un enfant peut-il être capable ?

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Le Ciel nous le fait voir un poignard à la main.
Le Ciel est juste & fage, & ne fait rien en vain.

Que cherchez-vous de plus?

ABNER.

Mais, sur la foi d'un fonge,

Dans le sang d'un enfant voulez-vous qu'on se plonge ? Vous ne favez encor de quel père il est né.

Quel il eft.

MATHAN.

On le craint, tout est examiné.

A d'illustres parens s'il doit son origine,
La splendeur de son sort doit hâter sa ruine.
Dans le vulgaire obscur si le sort l'a placé,
Qu'importe qu'au hafard un fang vil soit versé?
Eft-ce aux Rois à garder cette lente justice ?
Leur fûreté souvent dépend d'un prompt fupplice.
N'allons point les gêner d'un soin embarrassant.
Dès qu'on leur est suspect, on n'est plus innocent.

ABNER.

Hé quoi, Mathan! d'un Prêtre eft-ce là le langage?
Moi, nourri dans la guerre aux horreurs du carnage,
Des vengeances des Rois ministre rigoureux,
C'est moi qui prête ici ma voix aux malheureux ?
Et vous, qui leur devez des entrailles de père;

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