Si l'amour des grandeurs, la foif de commander, Avec fon joug étroit pouvoient s'accommoder. Qu'est-il besoin, Nabal, qu'à tes yeux je rappelle De Joad & de moi la fameuse querelle, Quand j'ofai contre lui disputer l'encensoir;
Mes brigues, mes combats, mes pleurs, mon désespoir? Vaincu par lui, j'entrai dans une autre carrière, Et mon ame à la Cour s'attacha toute entière. J'approchai par degrés de l'oreille des Rois, Et bientot en Oracle on érigea ma voix. J'étudiai leur cœur, je flattai leurs caprices, Je leur femai de fleurs le bord des précipices. Près de leurs paffions rien ne me fut facré. De mesure & de poids je changeois à leur gré. Autant que de Joad l'infléxible rudesse De leur fuperbe oreille offensoit la mollesse, Autant je les charmois par ma dextérité; Dérobant à leurs yeux la triste vérité, Prêtant à leurs fureurs des couleurs favorables, Et prodigue fur-tout du sang des miférables. Enfin, au Dieu nouveau qu'elle avoit introduit, Par les mains d'Atalie un Temple fut construit. Jérusalem pleura de se voir profanée. Des enfans de Lévi la troupe consternée, En poussa vers le Ciel des hurlemens affreux. Moi seul, donnant l'exemple aux timides Hébreux, Déserteur de leur Loi j'approuvai l'entreprise, Et par-là de Baal méritai la prêtrife.
Par-là je me rendis terrible à mon rival, Je ceignis la thiare, & marchai fon égal. Toutefois, je l'avoue, en ce comble de gloire, Du Dieu que j'ai quittai l'importune mémoire Jette encore en mon ame un reste de terreur. Et c'est ce qui redouble & nourrit ma fureur. Heureux, fi fur fon Temple, achevant ma vengeance, Je puis convaincre enfin fa haine d'impuissance; Et parmi les débris, le ravage, & les morts, A force d'attentats perdre tous mes remords ! Mais voici Jofabet.
ENVOYÉ par la Reine,
Pour rétablir le calme & dissiper la haine; Princesse, en qui le Ciel mit un esprit si doux, Ne vous étonnez pas si je m'adresse à vous. Un bruit, que j'ai pourtant foupçonné de mensonge, Appuyant les avis qu'elle a reçus en fonge, Sur Joad accufé de dangereux complots, Alloit de sa colère attirer tous les flots. Je ne veux point ici vous vanter mes services. De Joad contre moi je fais les injustices.
Mais il faut à l'offense opposer les bienfaits, Enfin je viens chargé de paroles de paix. Vivez, folemnifez vos fêtes fans ombrage. De votre obéissance elle ne veut qu'un gage. C'est (pour l'en détourner j'ai fait ce que j'ai pu Cet enfant fans parens, qu'elle dit qu'elle a vu.
J'en ai pour elle quelque honte. D'un vain songe peut-être elle fait trop de compte Mais vous vous déclarez fes mortels ennemis,
Si cet enfant fur l'heure en mes mains n'est remis. La Reine impatiente attend votre réponse.
Et voilà de sa part la paix qu'on nous annonce!
Pourriez-vous un moment douter de l'accepter! D'un peu de complaifance est-ce trop l'acheter?
J'adınirois si Mathan, dépouillant l'artifice, Avoit pu de fon cœur surmonter l'injustice, Et fi de tant de maux le funeste inventeur, De quelque ombre de bien pouvoit être l'auteur.
De quoi vous plaignez-vous ? Vient-on avec furie Arracher de vos bras votre fils Zacharie ?
Quel eft cet autre enfant si cher à votre amour ? Ce grand attachement me surprend à mon tour.
Eft-ce un tréfor pour vous fi précieux, fi rare? Eft-ce un libérateur que le Ciel vous prépare? Songez-y. Vos refus pourroient me confirmer Un bruit fourd, que déja l'on commence à semer.
Que cet enfant vient d'illustre origine;
Qu'à quelque grand projet votre époux le destine.
Et Mathan, par ce bruit qui flatte sa fureur....
Princesse, c'est à vous à me tirer d'erreur. Je fais que, du mensonge implacable ennemie, Josabet livreroit même sa propre vie, S'il falloit que sa vie à sa fincérité
Coûtât le moindre mot contre la vérité. Du fort de cet enfant on n'a donc nulle trace? Une profonde nuit enveloppe sa race ? Et vous-même ignorez de quels parens issu, De quelles mains Joad en ses bras l'a reçu. Parlez, je vous écoute, & fuis prêt de vous croire. Au Dieu que vous servez, Princesse, rendez gloire.
Méchant, c'est bien à vous d'oser ainsi nommer Un Dieu que votre bouche enseigne à blafphémer! Sa vérité par vous peut-elle être attestée? Vous, malheureux, assis dans la Chaire empeftée,
Où le mensonge règne & répand fon poifon; Vous nourri dans la fourbe & dans la trahison ?
SCENE V.
JOAD, JOSABET, MATHAN, NABAL.
U fuis-je ? De Baal ne vois-je pas le Prêtre, Quoi, fille de David, vous parlez à ce traître ? Vous souffrez qu'il vous parle, & vous ne craignez pas Que du fond de l'abîme entr'ouvert sous ses pas, Il ne forte à l'instant des feux qui vous embrasent, Ou qu'en tombant sur lui ces murs ne vous écrasent? Que veut-il? De quel front cet ennemi de Dieu Vient-il infecter l'air qu'on respire en ce lieu ?
On reconnoît Joad à cette violence.
Toutefois il devroit garder plus de prudence, Respecter une Reine, & ne pas outrager
Celui que de fon ordre elle a daigné charger.
Hé bien, que nous fait-elle annoncer de finistre ? Quel sera l'ordre affreux qu'apporte un tel Ministre!
J'ai fait à Josabet savoir sa volonté.
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