Sacrés monts, fertiles vallées, Par cent miracles fignalées, Du doux pays de nos ayeux Serons-nous toujours exilées?
ESTHER, MARDOCHÉE, ELISE, LE CHOŒUR.
Q UEL profane en ce lieu s'ose avancer vers nous ? Que vois-je, Mardochée, ô mon père, est-ce vous? Un Ange du Seigneur, sous son aîle facrée, A donc conduit vos pas, & caché votre entrée ? Mais d'où vient cet air fombre, & ce cilice affreux, Et cette cendre, enfin, qui couvre vos cheveux? Que nous annoncez-vous?
O d'un peuple innocent barbare destinée!
Lisez, lifez l'arrêt détestable, cruel...
Nous sommes tous perdus, & c'est fait d'Ifraël.
Juste Ciel, tout mon fang dans mes veines se glace!
On doit de tous les Juifs exterminer la race; Au fanguinaire Aman nous sommes tous livrés. Les glaives, les couteaux font déja préparés.
Toute la Nation à la fois est proscrite. Aman, l'impie Aman, race d'Amalécite, A pour ce coup funeste armé tout son crédit; Et le Roi, trop crédule, a signé cet Edit. Prévenu contre nous par cette bouche impure, Il nous croit en horreur à toute la Nature. Ses ordres font donnés; &, dans tous ses Etats, Le jour fatal est pris pour tant d'affaffinats. Cieux, éclairerez-vous cet horrible carnage? Le fer ne connoîtra ni le sexe, ni l'âge.
Tout doit fervir de proie aux Tigres, aux Vautours, Et ce jour effroyable arrive dans dix jours.
O Dieu, qui vois foriner des desseins fi funestes, As-tu donc de Jacob abandonné les restes ?
UNE DES PLUS JEUNES ISRAÉLITES.
Ciel, qui nous défendra, si tu ne nous défends? MARDOCHÉE.
Laissez les pleurs, Esther, à ces jeunes enfans. En vous est tout l'espoir de vos malheureux frères; Il faut les fecourir. Mais les heures font chères. Le tems vole, & bientôt amenera le jour Où le nom des Hébreux doit périr fans retour. Toute pleine du feu de tant de faints Prophètes, Allez, ofez au Roi déclarer qui vous êtes.
Hélas, ignorez-vous quelles sévères loix Aux timides Mortels cachent ici les Rois!
Au fond de leur Palais leur majesté terrible Affecte à leurs Sujets de se rendre invisible. Et la mort est le prix de tout audacieux Qui, fans être appellé, se présente à leurs yeux, Si le Roi, dans l'instant, pour sauver le coupable, Ne lui donne à baifer son fceptre redoutable. Rien ne met à l'abri de cet ordre fatal, Ni le rang, ni le sexe, & le crime est égal. Moi-même, sur son trône à ses côtés afsise, Je suis à cette loi comme une autre soumise; Et, sans le prévenir, il faut, pour lui parler, Qu'il me cherche, ou du moins qu'il me fasse appeller.
Quoi! lorsque vous voyez périr votre patrie,
Pour quelque chose, Efther, vous comptez votre vie? Dieu parle, & d'un Mortel vous craignez le courroux ? Que dis-je, votre vie, Efther, est-elle à vous ? N'est-elle pas au sang dont vous êtes issue? N'est-elle pas à Dieu, dont vous l'avez reçue ? Et qui fait, lorsqu'au trône il conduifit vos pas, Si, pour sauver son peuple, il ne vous gardoit pas? Songez-y bien. Ce Dieu ne vous a pas choifie Pour être un vain spectacle aux peuples de l'Afie, Ni pour charmer les yeux des profanes humains. Pour un plus noble usage il réserve ses Saints. S'immoler pour fon nom & pour son héritage, D'un enfant d'Ifraël voilà le vrai partage.
Trop heureuse pour lui de hafarder vos jours! Et quel besoin son bras a-t-il de nos fecours? Que peuvent contre lui tous les Rois de la terre ? En vain ils s'uniroient pour lui faire la guerre; Pour diffiper leurs ligues il n'a qu'à se montrer: Il parle, & dans la poudre il les fait tous rentrer. Au seul fon de sa voix la mer fuit, le Ciel tremble. Il voit comme un néant tout l'Univers ensemble; Et les foibles Mortels, vains jouets du trépas, Sont tous devant ses yeux comme s'ils n'étoient pas. S'il a permis d'Aman l'audace criminelle, Sans doute qu'il vouloit éprouver votre zèle. C'est lui qui, m'excitant à vous ofer chercher, Devant moi, chère Esther, a bien voulu marcher. Et s'il faut que sa voix frappe en vain vos oreilles, Nous n'en verrons pas moins éclater ses merveilles. Il peut confondre Aman, il peut brifer nos fers, Par la plus foible main qui soit dans l'Univers. Et vous, qui n'aurez point accepté cette grace, Vous périrez peut-être, & toute votre race.
Allez. Que tous les Juifs, dans Suze répandus, A prier avec vous jour & nuit affidus, Me prêtent de leurs vœux le secours falutaire, Et pendant ces trois jours gardent un jeune austère. Déja la sombre nuit a commencé son tour. Demain, quand le Soleil rallumera le jour,
Contente de périr, s'il faut que je périsse, J'irai pour mon pays m'offrir en facrifice.
Qu'on s'éloigne un moment.
(Le Chœur se retire vers le fond du Théâtre.)
O Mon fouverain Roi!
Me voici donc tremblante & seule devant toi. Mon père mille fois m'a dit dans mon enfance, Qu'avec nous tu juras une fainte alliance, Quand, pour te faire un peuple agréable à tes yeux, Il plut à ton amour de choifir nos ayeux. Même tu leur promis de ta bouche sacrée, Une postérité d'éternelle durée. Hélas, ce peuple ingrat a méprisé ta loi! La Nation chérie a violé sa foi !
Elle a répudié son époux & fon père, Pour rendre à d'autres Dieux un honneur adultère. Maintenant elle sert sous un Maître étranger;
Mais c'est peu d'être esclave, on la veut égorger. Nos fuperbes vainqueurs, insultant à nos larmes, Imputent à leurs Dieux le bonheur de leurs armes, Et veulent aujourd'hui qu'un même coup mortel Aboliffe ton nom, ton peuple & ton autel.
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