ceux qui condamnent Jansénius, est trop grand: le moyen de se faire connoître dans la foule? Jettez-vous dans le petit nombre de ses défenseurs ; commencez à faire les importans; mettez-vous dans la tête que l'on ne parle que de vous, & que l'on vous cherche partout pour vous arrêter; délogez souvent; changez de nom, fi vous ne l'avez déja fait, ou plutôt n'en changez point du tout, vous ne sauriez être moins connu qu'avec le vôtre; fur-tout louez vos Messieurs, & ne les louez pas avec retenue. Vous les placez justement après David & Salomon, ce n'est pas assez: mettez-les devant, vous ferez un peu souffrir leur humilité; mais ne craignez rien, ils font accoutumés à bénir tous ceux qui les font fouffrir. Aussi vous vous en acquittez assez bien: vous les voulez obliger à quelque prix que ce foit. C'est peu de les préférer à tous ceux qui ont jamais paru dans le monde. vous les préférez même à ceux qui se sont le plus fignalés dans leur parti; vous rabaissez M. Paschal pour relever l'Auteur des Imaginaires; vous dites que M. Pafchal n'a que l'avantage d'avoir eu des sujets plus heureux que lui. Mais, Monfieur, vous qui êtes plaifant, & qui croyez vous connoître en plaisanterie, croyezvous que le pouvoir prochain & la grace fuffisante fufsent des sujets plus divertissans que tout ce que vous appellez les vifions de Desmarêts ? Cependant vous ne nous perfuaderez pas que les dernières Imaginaires soient aussi agréables que les premières Provinciales; tout le monde lisoit les unes & vos meilleurs amis peuvent à peine lire les autres. Pensez-vous vous-même que je fasse une grande injustice à ce dernier, de lui attribuer une Chamillarde? Savez-vous qu'il y a d'assez bonnes choses dans ces Chamillardes? Cet homme ne manque point de hardiesse; il posséde assez bien le caractère de Port-Royal; il traite le Pape familièrement ; il parle aux Docteurs avec autorité. Que dis-je ? Savez-vous qu'il a fait un grand Ecrit qui a mérité d'être brûlé? Mais cela seroit plaisant que je prisse contre vous le parti de tous vos Auteurs; c'est bien assez d'avoir défendu M. Pafchal. Il est vrai que j'ai eu quelque pitié de voir traiter l'Auteur des Chamillardes avec tant d'inhumanité, & tout cela parce qu'on l'a convaincu de quelques fautes. Il fera mieux une autre fois ; il a bonne intention. Il s'est fait cent querelles pour vos amis; voulez-vous qu'il soit mal avec tout le monde, & qu'il ne foit estimé des Jésuites ni des Jansénistes ? Ne craignez-vous point que l'on vous fasse le même traitement ? Car qui empêchera quelqu'un de me répondre, & de me dire, en parlant de vous: Quoi, Monfieur, vous avez pû croire que MM. de Port-Royal avoient adopté une Lettre si peu digne d'eux! Ne voyez-vous point qu'elle rebat cent fois la même chose, qu'elle est obfcure en beaucoup d'endroits, & froide par-tout? Ils me diront ces raisons & d'autres encore, & j'en ferai fâché pour vous; car votre belle humeur tient à peu de chose, la moindre mortification la suspendra, & vous retomberez dans la mélancolie de votre Confrère. Mais il s'ennuieroit peut-être, fi je le laissois plus long-tems fans l'entretenir; il faut revenir à lui, & faire tout ce que je pourrai pour le divertir. J'avoue que ce n'est pas une petite entreprise; car, que dire à un homme qui ne prend rien en raillerie, & qui trouve par-tout des sujets de se fâcher ? Ce n'est pas que je condamne fa mauvaise humeur; il a ses raisons : c'est un homme qui s'intéresse sérieusement dans le succès de vos affaires; il voit qu'elles vont de pis en pis, & qu'il n'est pas tems de se réjouir. C'est, sans doute, ce qui fait qu'il s'emporte tant contre la Comédie. Comment peut-on aller au Théâtre? Comment peut-on se divertir, lorsque la vérité est persécutée, lorsque la fin du monde s'approche, lorsque tout le monde a tantôt figné? Voilà ce qu'il pense, & c'est ce qu'allégua un jour fort à propos un de vos Confrères; car je ne dis rien de moi-même. C'étoit chez une personne qui, en ce tems-là, étoit fort de vos amis; elle avoit eu beaucoup d'envie d'entendre lire le Tartuffe, & l'on ne s'opposa point à fa curiofité; on vous avoit dit que les Jéfuites étoient joués dans cette Comédie: les Jéfuites, au contraire, se flattoient qu'on en vouloit aux Jansénistes; mais il n'importe: la Compagnie étoit assemblée; Moliere alloit commencer, lorsqu'on vit arriver un homme fort échauffé, qui dit tout bas à cette personne : Quoi, Madame, vous entendrez une Comédie le jour que le mystère de l'iniquité s'accomplit; ce jour qu'on nous ôte nos Mères? Cette raison parut convaincante: la Compagnie fut congédiée, Molière s'en retourna bien étonné de l'empressement qu'on avoit eu pour le faire venir, & de celui qu'on avoit pour le renvoyer...... En effet, Meffieurs, quand vous faisonnerez de la forte, nous n'aurons rien à répondre, il faudra se rendre; car, de me demander, comme vous faites, si je crois la Comédie une chose sainte, si je la crois propre à faire mourir le vieil homme, je dirai que non; mais je vous dirai en même tems, qu'il y a des choses qui ne sont pas saintes, & qui font pourtant innocentes. Je vous demanderai fi la chasse, la musique, le plaifir de faire des sabots, & quelques autres plaisirs que vous ne vous refusez pas à vous-mêmes, font fort propres à faire mourir le vieil homme, s'il faut renoncer à tout ce qui divertit, s'il faut pleurer à toute heure! Hélas, oui, dira le mélancolique. Mais que dira le plaisant? Il voudra qu'il lui foit permis de rire quelquefois, quand ce ne feroit que d'un Jésuite; il vous prouvera, comme ont fait vos amis, que la raillerie est permise, que les Pères ont ri, que Dieu même a raillé. Et vous semble-t-il que les Lettres Provinciales soient autre chose que des Comédies! Dites-moi, Messieurs, qu'est-ce qui se passe dans les Comédies? On y joue un Valet fourbe, un Bourgeois avare, un Marquis extravagant, & tout ce qu'il y a dans le monde de plus digne de risée. J'avoue que le Provincial a mieux choisi ses personnages : il les a cherchés dans les Couvens & dans la Sorbonne; il introduit sur la Scène tantôt des Jacobins, tantôt des Docteurs, & toujours des Jésuites. Combien de rôles leur fait-il jouer ? Tantôt il amène un Jésuite bon-homme, tantôt un Jésuite méchant, & toujours un Jésuite ridicule. Le monde en a ri pendant quelque tems; & le plus austère Janséniste auroit cru trahir la vérité que de n'en pas rire. Reconnoissez donc, Monfieur, que puisque nos Comédies ressemblent fi fort aux vôtres, il faut bien qu'elles ne foient pas fi criminelles que vous le dites. Pour les Pères, c'est à vous de nous les citer; c'est à vous, ou à vos amis, de nous convaincre par une foule de passages, que l'Eglise nous interdit absolument la Ccmédie en l'état qu'elle est ; alors nous cesserons d'y aller, & nous attendrons patiemment que le tems vienne de mettre les Jésuites sur le Théâtre. , J'en pourrois dire autant des Romans, & il semble que vous ne les condamnez pas tout-à-fait. Mon Dieu, Monfieur, me dit l'un de vous, que vous avez de chofes à faire avant que de lire les Romans ! Vous voyez qu'il me défend pas de les lire, mais il veut auparavant que je m'y prépare sérieusement. Pour moi, je n'en avois pas une idée si haute; je croyois que ces fortes d'Ouvrages n'étoient bons que pour désennuyer l'esprit, pour l'accoutumer à la lecture, & pour le faire passer ensuite à des choses plus solides. En effet, quel moyen de retourner aux Romans, quand on a lû une fois les voya |