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LA

PRÉFACE.

A célèbre Maison de Saint-Cyr ayant été principalement établie pour élever dans la piété un fort grand nombre de jeunes Demoiselles rassemblées de tous les endroits du Royaume, on n'y a rien oublié de tout ce qui pouvoit contribuer à les rendre capables de servir Dieu, dans les différens états où il lui plaira de les appeller. Mais, en leur montrant les chofes essentielles & nécessaires, on ne néglige pas de leur apprendre celles qui peuvent fervir à leur polir l'esprit & à leur former le jugement. On a imaginé pour cela plusieurs moyens, qui, sans les détourner de leur travail & de leurs exercices ordinaires, les inftruisent en les divertissant. On leur met, pour ainsi dire, à profit leurs heures de récréation. On leur fait faire entre elles, fur leurs principaux devoirs, des conversations ingénieuses, qu'on leur a composées exprès, ou qu'elles-mêmes composent sur le champ. On les fait parler sur les Histoires qu'on leur a lues, ou fur les importantes vérités qu'on leur a enseignées. On leur fait réciter par cœur, & déclamer les plus beaux endroits des meilleurs Poëtes; & cela leur fert, fur-tout, à les défaire de quantité de mauvaises prononciations qu'elles pourroient avoir apportées de leurs Provinces. On a soin aussi de faire apprendre à chanter à celles qui ont de la voix, & on ne leur laisse pas perdre un talent qui les peut amufer innocemment, & qu'elles peuvent em ployer un jour à chanter les louanges de Dieu.

Mais la plupart des plus excellens vers de notre langue ayant été composés sur des matières fort profanes, & nos plus beaux airs étant fur des paroles extrêmement molles & efféminées, capables de faire des impreffions dangereuses sur de jeunes esprits, les perfonnes illuftres qui ont bien voulu prendre la principale direction de cette Maison, ont fouhaité qu'il y eût quelque Ouvrage, qui, fans avoir tous ces défauts, pût produire une partie de ces bons effets. Elles me firent l'honneur de me communiquer leur dessein, & même de me demander si je ne pourrois pas faire fur quelque sujet de piété & de morale une espèce de Poëme, où le chant fût mêlé avec le récit ; le tout lié par une action qui rendît la chose plus vive & moins capable d'ennuyer.

Je leur proposai le sujet d'Esther, qui les frappa d'abord, cette Histoire leur paroissant pleine de grandes leçons d'amour de Dieu, & de détachement du monde au milieu du monde même. Et je crus, de mon côté, que je trouverois afsez de facilité à traiter ce sujet; d'autant plus qu'il me sembla que, sans altérer aucune des circonstances tant foit peu considérables de l'EcritureSainte, ce qui feroit, à mon avis, une espèce de facri lège, je pourrois remplir toute mon action avec les seules scènes que Dieu lui-même, pour ainsi dire, a préparées, J'entrepris donc la chose, & je m'apperçus qu'en travaillant sur le plan qu'on m'avoit donné, j'exécutois en quelque forte un dessein qui m'avoit souvent paflé dans l'esprit, qui étoit de lier, comme dans les anciennes Tragédies Grecques, le cœur & le chant avec l'action, & d'employer à chanter les louangės du vrai Diéu, cette partie du Chœur que les Payens employoient à chanter les louanges de leurs fausses Divinités.

A dire vrai, je ne pensois guère que lá chose dût être aussi publique qu'elle l'a été. Mais les grandes vérités de l'Ecriture, & la manière fublime dont elles y font énon cées , pour peu qu'on les présente, même imparfaitement aux yeux des hommes, sont si propres à les frapper, & d'ailleurs ces jeunes Demoiselles ont déclamé & chanté cet Ouvrage avec tant de grace, tant de mo destie & tant de piété, qu'il n'a pas été possible qu'il de meurât renfermé dans le secret de leur Maison: de forte qu'un divertissement d'Enfans est devenu le sujet de l'empressement de toute la Cour; le Roi lui-même, qui en avoit été touché, n'ayant pû refuser tout ce qu'il y a de plus grands Seigneurs de les y mener, & ayant eu la fatisfaction de voir, par le plaifir qu'ils y ont pris, qu'on se peut aussi-bien divertir aux choses de piété, qu'à tous les spectacles profanes.

Au reste, quoique j'aie évité soigneusement de mêler le profane avec le sacré, j'ai cru néanmoins que je pou vois emprunter deux ou trois traits d'Hérodote, pour mieux peindre Assuérus. Car j'ai fuivi le sentiment de plusieurs savans interprêtes de l'Ecriture, qui tiennent que ce Roi est le même que le fameux Darius fils d'Hyf

taspe, dont parle cet Historien. En effet, ils en rapportent quantité de preuves, dont quelques-unes me paroissent des démonstrations. Mais je n'ai pas jugé à propos de croire ce même Hérodote sur sa parole; lorsqu'il dit que les Perfes n'élevoient ni Temples, ni Autels, ni fłatues à leurs Dieux, & qu'ils ne se servoient point de libations dans leurs facrifices. Son témoignage est expressément détruit par l'Ecriture, aussi-bien que par Xénophon, beaucoup mieux inftruit que lui des mœurs & des affaires de la Perse, & enfin par Quinte-Curce.

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On peut dire que l'unité de lieu eft observée dans cette Pièce en ce que toute l'action se passe dans le Palais d'Affuérus. Cependant, comme on vouloit rendre ce divertissement plus agréable à des Enfans en jettant quelque variété dans les décorations, cela a été cause que je n'ai pas gardé cette unité avec la même rigueur que j'ai fait autrefois dans mes Tragédies.

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Je crois qu'il est bon d'avertir ici, que bien qu'il y ait dans Efther des Personnages d'hommes ces Perfonnages n'ont pas laissé d'être représentés par des filles avec toute la bienséance de leur sexe. La chose leur a été d'autant plus aifée, qu'anciennement les habits des Persans & des Juifs étoient de longues robes qui tomboient jusqu'à terre.

Je ne puis me réfoudre à finir cette Préface, fans. rendre à celui qui a fait la Musique, la justice qui lui eft dûe, & fans confeffer franchement que ses chants ont fait un des plus grands agrémens de la Pièce. Tous les

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