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Que je croyois du Ciel les plus chères amours,
Dans cette fource impure auroit puisé ses jours!
Malheureux!

ESTHER.

Vous pourrez rejetter ma prière.

Mais je demande au moins que, pour grace dernière, Jusqu'à la fin, Seigneur, vous m'entendiez parler, Et que fur-tout Aman, n'ose point me troubler.

Parlez.

ASSUÉRUS.

ESTHER.

O Dieu, confonds l'audace & l'imposture! Ces Juifs, dont vous voulez délivrer la Nature, Que vous croyez, Seigneur, le rebut des humains, D'une riche contrée autrefois Souverains, Pendant qu'ils n'adoroient que le Dieu de leurs pères, Ont vu bénir le cours de leurs destins prospères. Ce Dieu, Maître absolu de la Terre & des Cieux, N'est point tel que l'erreur le figure à vos yeux. L'Eternel est son nom: Le Monde est son ouvrage.. Il entend les foupirs de l'humble qu'on outrage.. Juge tous les Mortels avec d'égales loix, Et du haut de son trône interroge les Rois. Des plus fermes Etats la chûte épouvantable, Quand il veut, n'est qu'un jeu de sa main redoutable. Les Juifs à d'autres Dieux oferent s'adresser. Roi, peuple, dans un jour tout se vit disperser.. Sous les Affyriens leur triste servitude

Devint le juste prix de leur ingratitude.
Mais, pour punir enfin nos Maîtres à leur tour,
Dieu fit choix de Cyrus avant qu'il vit le jour,
L'appella par fon nom, le promit à la Terre,
Le fit naître, & foudain l'arma de son tonnerre;
Brifa les fiers remparts & les portes d'airain,
Mit des fuperbes Rois la dépouille en sa main,
De fon Temple détruit vengea sur eux l'injure.
Babylone paya nos pleurs avec usure.
Cyrus, par lui vainqueur, publia ses bienfaits,
Regarda notre peuple avec des yeux de paix,
Nous rendit & nos loix & nos fêtes divines,
Et le Temple déja sortoit de ses ruines.
Mais, de ce Roi si sage héritier insensé,
Son fils interrompit l'ouvrage commencé,
Fut fourd à nos douleurs. Dieu rejetta sa race,
Le retrancha lui-même, & vous mit en sa place.
Que n'espérions-nous point d'un Roi si généreux!
Dieu regarde en pitié fon peuple malheureux,
Disions-nous; un Roi règne, ami de l'innocence.
Par-tout du nouveau Prince on vantoit la clémence.
Les Juifs par-tout de joie en poussèrent des cris.
Ciel, verra-t-on toujours par de cruels esprits
Des Princes les plus doux l'oreille environnée,
Et du bonheur public la source empoisonnée?
Dans le fond de la Thrace un barbare enfanté,
Est venu dans ces lieux souffler la cruauté.
Un Ministre ennemi de votre propre gloire...

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De votre gloire! Moi! Ciel! Le pourriez-vous croire? Moi, qui n'ai d'autre objet, ni d'autre Dieu...

ASSUÉRUS.

Tais-toi,

Ofes-tu donc parler sans l'ordre de ton Roi?

1

ESTHER.

Notre ennemi cruel devant vous se déclare.

C'est lui. C'est ce Ministre infidèle & barbare,

Qui, d'un zèle trompeur à vos yeux revêtu,
Contre notre innocence arme votre vertu.

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Et quel autre, grand Dieu! qu'un Scythe impitoyable,
Auroit de tant d'horreurs dicté l'ordre effroyable!
Par-tout l'affreux fignal, en même tems donné,
De meurtres remplira l'Univers étonné.
On verra, sous le nom du plus juste des Princes
Un perfide étranger désoler vos Provinces;
Et dans ce Palais même, en proie à fon courroux,
Le sang de vos Sujets regorger jusqu'à vous.
Et que reproche aux Juifs sa haine envenimée?
Quelle guerre inteftine avons-nous allumée ?
Les a-t-on vu marcher parmi vos ennemis ?
Fut-il jamais au joug esclaves plus soumis?
Adorant dans leurs fers le Dieu qui les châtie;
Pendant que votre main fur eux appesantie
A leurs persécuteurs les livroit sans secours,
Ils conjuroient ce Dieu de veiller sur vos jours,
De rompre des méchans les trames criminelles,

De mettre votre trône à l'ombre de ses aîles.
N'en doutez point, Seigneur, il fut votre soutien.
Lui seul mit à vos pieds le Parthe & l'Indien,
Difssipa devant vous les innombrables Scythes,
Ét renferma les mers dans vos vastes limites.
Lui seul aux yeux d'un Juif découvrit le dessein
De deux traîtres tout prêts à vous percer le fein
Hélas, ce Juif jadis m'adopta pour sa fille!

Mardochée?

ASSUERUS.

ESTHER.

Il restoit feul de notre famille. Mon père étoit fon frère ; il defcend comme moi Du fans infortuné de notre premier Roi. Plein d'une juste horreur pour un Amalécite, Race, que notre Dieu de sa bouche a maudite, Il n'a, devant Aman, pu fléchir les genoux, Ni lui rendre un honneur qu'il ne croit dû qu'à vous De-là, contre les Juifs & contre Mardochée, Cette haine, Seigneur, fous d'autres noms cachée: En vain de vos bienfaits Mardochée est paré. A la porte d'Aman est déja préparé D'un infâme trépas l'instrument exécrable. Dans une heure au plus tard cė vieillard vénérable, Des portes du Palais par son ordre arraché, Couvert de votre pourpre, y doit être attaché. ASSUÉRUS.

Quel jour mêlé d'horreur vient effrayer mon amel

Tout mon fang de colère & de honte s'enflamme.
J'étois donc le jouet... Ciel, daigne m'éclairer!
Un moinent sans témoins cherchons à respirer.
Appellez Mardochée, il faut aussi l'entendre.

(Afsfuérus s'éloigne.)

UNE ISRAÉLITE.

Vérité, que j'implore, achève de descendre!

SCENE

V.

ESTHER, AMAN, LE CHŒUR.

D'UN

AMAN d Efther.

'UN juste étonnement je demeure frappé. Les ennemis des Juifs m'ont trahi, m'ont trompé. J'en atteste du Ciel la puissance suprême;

En les perdant, j'ai cru vous assurer vous-même.
Princesse, en leur faveur employez mon crédit.
Le Roi, vous le voyez, flotte encore interdit.
Je fais par quels refforts on le pouffe, on l'arrête,
Et fais, comme il me plaît, le calme & la tempête,
Les intérêts des Juifs déja me font facrés.
Parlez. Vos ennemis auffi-tôt massacrés,
Victimes de la foi que ma bouche vous jure,
De ma fatale erreur répareront l'injure.

Quel fang demandez-vous ?

ESTHER.

Va, traître, laiffe-moi.

Les Juifs n'attendent rien d'un méchant tel que toi,

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